Les nouvelles taxes décidées par Donald Trump sur toutes les importations vers les Etats-Unis, dont celles algériennes, ont déclenché une vague de réactions critiques dans le monde. Trois grandes institutions – l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) et la Réserve fédérale américaine (FED) – expriment leur vive inquiétude.
Pour de nombreux experts, cette décision pourrait marquer le retour d’une ère de protectionnisme qui menace de bouleverser l’ordre économique mondial. Selon l’OMC, «ces mesures pourraient entraîner une baisse du commerce mondial pouvant atteindre 1% dès cette année, soit une contraction équivalente à plusieurs centaines de milliards de dollars».
Sa directrice générale, Ngozi Okonjo-Iweala, a appelé «les pays membres à faire preuve de responsabilité pour éviter une nouvelle guerre commerciale», soulignant que le système commercial multilatéral est déjà mis à rude épreuve. Elle a rappelé que «74% du commerce mondial est encore régi par les règles de l’OMC, mais que cette part tend à diminuer face à la montée des accords bilatéraux et aux politiques unilatérales». Du côté de la Cnuced, la secrétaire générale Rebeca Grynspan a alerté sur «les effets socioéconomiques de ces nouvelles taxes, en particulier pour les pays en développement».
Ces derniers, souvent très dépendant de leurs exportations vers les marchés occidentaux, risquent de subir une perte importante de revenus, mettant en péril des millions d’emplois. Mme Grynspan a plaidé pour «une réponse coordonnée à l’échelle mondiale, afin d’éviter que le commerce ne devienne un vecteur d’instabilité et d’inégalités accrues».
La FED n’est pas en reste. Son président, Jerome Powell, s’est montré particulièrement préoccupé par les implications macroéconomiques de cette décision. En plus d’un risque accru d’inflation importée, il a évoqué «la possibilité d’un scénario de stagflation : une combinaison périlleuse entre hausse des prix, stagnation de la croissance et montée du chômage. Une telle configuration rendrait toute intervention monétaire extrêmement délicate, alors que la FED cherche déjà à maintenir un équilibre fragile dans un contexte d’incertitude mondiale».
Les mesures annoncées par Trump entreront en vigueur en deux phases : à partir du 5 avril, une taxe universelle de 10% s’appliquera à toutes les importations, sans distinction d’origine, à partir du 9 avril, des tarifs supplémentaires viseront certains pays, notamment ceux affichant un excédent commercial élevé avec les Etats-Unis.
Rupture avec les principes de libre-échange
Ce durcissement marque une rupture claire avec les principes de libre-échange défendus pendant des décennies par Washington. Du côté des marchés, la réaction a été immédiate : les principales Bourses mondiales ont enregistré des baisses significatives, tandis que les entreprises exportatrices, notamment dans les secteurs de l’automobile, de la technologie et de l’agroalimentaire, ont vu leurs actions chuter.
Les grandes multinationales américaines s’inquiètent de représailles commerciales qui pourraient être mises en place par la Chine, l’Union européenne ou d’autres partenaires économiques majeurs. JP Morgan, dans une note adressée à ses clients, évalue à 60% la probabilité d’une récession mondiale si ces politiques sont maintenues dans le temps. Selon la banque d’investissement, «l’effet domino pourrait se traduire par une chute de la consommation, un ralentissement des investissements et une perturbation grave des chaînes d’approvisionnement mondiales, déjà fragilisées par les séquelles de la pandémie et les tensions géopolitiques».
Plus largement, cette décision alimente une inquiétude grandissante : celle d’une démondialisation accélérée. Si plusieurs pays venaient à adopter une logique similaire, la croissance mondiale pourrait s’essouffler durablement, avec des conséquences sociales majeures.
Les appels à une réponse multilatérale et à la relance des discussions commerciales au sein de l’OMC se multiplient, mais le climat actuel est loin d’être propice au dialogue. Ainsi, les mesures de Donald Trump s’inscrivent dans une stratégie politique de court terme, mais dont les effets pourraient s’étendre sur la décennie à venir.
Les institutions économiques internationales s’accordent à dire que «la montée du protectionnisme représente une menace sérieuse pour la stabilité et l’équité de l’économie mondiale. Dans un monde plus interconnecté que jamais, les murs tarifaires risquent de créer plus de divisions que de solutions». M.-F. Gaïdi