Dans une interview accordée à la chaîne Al Arabiya, Ahmad Al Sharaa a indiqué qu’il faudrait quatre ans pour organiser des élections crédibles en Syrie. En attendant, une Conférence de dialogue national inclusive devrait se tenir dans les prochains jours pour s’entendre sur la conduite de la période de transition.
C’est l’un des chantiers les plus importants annoncés il y a quelques jours par Ahmad Al Sharaa, le nouvel homme fort de la Syrie : la restructuration de l’armée syrienne en y intégrant l’ensemble des factions armées. Al Sharaa avait même promis que le groupe qu’il dirige, et qui est actuellement à la tête du processus de transition en Syrie, à savoir Hayat Tahrir Al Sham (HTS), sera le premier à dissoudre sa branche militaire.
Cette opération est cruciale dans la mesure où elle conduira à la réunification de la Syrie sous une même autorité et une même armée, abolissant le système des milices qui avaient proliféré durant la guerre civile. Pour mettre en pratique cette grande résolution, le nouveau ministre syrien de la Défense, le général Marhaf Abu Qasra, a entamé une série de réunions avec les chefs des différentes milices dont la plupart ont contribué à la chute d’Al Assad.
Dans une déclaration reprise par l’agence officielle Sana, Marhaf Abu Qasra a précisé : «Dans le cadre des directives du Commandement général visant à restructurer les forces armées et à réorganiser l’armée arabe syrienne, nous avons entamé des sessions de travail avec les factions militaires afin d’élaborer les étapes de leur intégration au sein du ministère de la Défense.» Et d’ajouter : «Ces sessions ont pour but de dégager une feuille de route visant à stabiliser la structure organisationnelle des forces armées.»
Le ministre de la Défense rencontre les chefs de factions
Le site aljazeera.net rapporte de son côté : «Le ministère intérimaire de la Défense syrien a commencé à tenir ce qu’il a décrit comme des sessions d’organisation avec des chefs militaires pour entamer le processus d’intégration des factions armées au sein du ministère.» Al Jazeera signale que ces réunions de concertation ont débuté vendredi 3 janvier.
La même source précise que «les discussions portaient sur la structure de la nouvelle institution militaire et sur les officiers désignés pour être membres de l’état-major général – dont le commandant n’a pas encore été nommé». Al Jazeera affirme qu’«un accord a d’ores et déjà été conclu entre les factions qui ont participé au renversement du régime de Bachar Al Assad». Cet accord prévoit que les milices consentent à «se dissoudre une fois que la structure de la nouvelle institution militaire aura été approuvée».
Avant les réunions qui se tiennent avec le ministre de la Défense, les chefs des groupes armés se sont entretenus avec Ahmad Al Sharaa. Il faut rappeler que le chef du groupe HTS était dans la même coalition que ces factions qui ont participé au renversement de Bachar Al Assad. Ils se connaissaient donc parfaitement, et il était naturel que le leader islamiste, à présent qu’il occupe de facto le poste de dirigeant suprême de la Syrie, les reçoive au palais présidentiel et s’entretienne directement avec eux en leur faisant part de ses intentions.
Par ailleurs, Al Jazeera a indiqué qu’une importante «conférence de dialogue national» est en préparation en précisant que celle-ci devrait se tenir le 15 janvier à Damas. «Des sources ont révélé à Al Jazeera que des préparatifs sont en cours pour organiser la Conférence du dialogue national syrien le 15 janvier avec la participation d’environ 1500 personnes pour discuter des fondements de la prochaine période de transition, de la structure de l’armée, de la dissolution des services de sécurité et de la reconstitution d’un nouveau système de sécurité» peut-on lire dans un article d’aljazeera.net daté du 2 janvier.
D’après Al Jazeera, cette conférence devrait aboutir à «un organe général chargé de désigner un gouvernement de transition et à un comité chargé de rédiger la Constitution». Le mandat de ce gouvernement «sera déterminé par consensus national au cours de la conférence», poursuit aljazeera.net. Rappelons que le mandat du gouvernement intérimaire actuel, dirigé par Mohammed Al Bashir, est extrêmement court. Il a été nommé pour une durée de trois mois seulement et son mandat est censé expirer le 1er mars 2025.
Création d’un Conseil consultatif
Dans une interview accordée à la chaîne Al Arabiya et diffusée le 29 décembre dernier, Ahmad Al Sharaa avait déclaré qu’il faudrait quatre ans pour organiser des élections crédibles en Syrie. «La préparation et la rédaction d’une nouvelle Constitution dans le pays pourraient prendre jusqu’à trois ans, et l’organisation d’élections pourrait prendre jusqu’à quatre ans», a-t-il estimé, avant de faire remarquer : «Toute élection digne de ce nom nécessitera un recensement complet, ce qui prendra du temps.»
Et de souligner dans la même interview : «Le pays est maintenant en train de reconstruire le droit.» En attendant la tenue d’élections générales, Ahmad Al Sharaa avait préconisé l’organisation d’une grande conférence inclusive : «La Conférence de dialogue national inclura toutes les composantes de la société, formera des comités spécialisés et prévoira également des votes», avait annoncé le dirigeant syrien.
Selon aljazeera.net, un «comité préparatoire a été formé». Ce dernier est chargé de tous les détails logistiques. «Nos sources ont expliqué que des invitations seront envoyées à tous les représentants de la société syrienne pour qu’ils participent aux organes et aux comités qui résulteront de la conférence», rapporte le même média. En outre, «les discussions sont en cours avec les Forces démocratiques syriennes (les FDS, factions à majorité kurde) et le Conseil national kurde pour qu’ils participent à la conférence», assure aljazeera.net.
La même source nous apprend dans un autre article à propos de cette grand-messe démocratique intitulé «Conférence de dialogue national : quel est son agenda et qui va participer ?» (aljazeera.net, 28 décembre 2024) que ce congrès devrait également déboucher sur la création d’un «conseil consultatif qui se verra accorder un statut législatif» et qui servira à contrôler l’action du gouvernement.
Dans une interview accordée à aljazeera.net, Mohammad Rassem Kuntar, un des coordinateurs de cette conférence, relevait qu’«après la chute du régime, l’Etat syrien se trouve dans un état de vide constitutionnel». Selon lui, la Conférence de dialogue national devrait annoncer officiellement «la dissolution du Parlement syrien et l’annulation de la Constitution de 2012». Le Conseil consultatif qui devrait sortir de cette conférence, a-t-il ajouté, «rédigera et approuvera une déclaration constitutionnelle» et «accordera sa confiance à la nouvelle administration dirigée par Ahmad Al Sharaa».
Blinken va s’entretenir avec ses homologues européens sur la Syrie
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, rencontrera, jeudi à Rome, plusieurs de ses homologues européens pour aborder la situation en Syrie, au moment où les Occidentaux cherchent à prendre contact avec les nouvelles autorités du pays, a annoncé le département d’Etat. M. Blinken «rencontrera des homologues européens pour prôner une transition politique pacifique, inclusive, conduite par les Syriens», indique un communiqué diffusé, alors que le secrétaire d’Etat se trouvait hier en déplacement à Séoul. Les noms des parties prenantes de ces entretiens n’ont pas été divulgués par la diplomatie américaine.
Après la Corée du Sud, M. Blinken doit se rendre au Japon et en France, et rejoindre le président américain, Joe Biden, en Italie, lors de ce qui constituera probablement le dernier voyage à l’étranger du dirigeant américain avant l’investiture de Donald Trump. Les pays occidentaux, qui ont accueilli des milliers de réfugiés syriens durant le conflit, cherchent depuis à nouer contact avec le nouveau pouvoir.
Celui-ci est scruté quant à son respect des droits humains, son traitement des minorités dans un pays multiethnique et multiconfessionnel, et l’avenir des régions kurdes semi-autonomes du nord de la Syrie. Les chefs de la diplomatie française et allemande, Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, ont rencontré vendredi le nouveau dirigeant Ahmad Al Sharaa. Il s’agit de la première réunion à ce niveau entre des responsables de grandes puissances occidentales et le numéro un islamiste.
«Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens, c’est-à-dire en particulier aussi les femmes de ce pays», a déclaré à cette occasion la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. Le mois dernier, Barbara Leaf, responsable du Moyen-Orient au sein du département d’Etat américain, avait également rencontré Ahmad Al Sharaa et annoncé que les Etats-Unis abandonnaient l’offre de récompense pour son arrestation. Elle avait qualifié cette rencontre de «positive». AFP