Une livraison d’armes suspendue par Washington : Biden sanctionne Netanyahu et préserve Israël

11/05/2024 mis à jour: 21:17
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Photo : D. R.

La suspension de la livraison d’armes, au-delà de l’impact recherché sur l’opinion, aussi bien en sol américain que dans le monde, est aussi une manière d’isoler davantage Netanyahu et de l’affaiblir en interne pour précipiter sa chute.

Loin de constituer un tournant dans les relations entre Washington et Tel-Aviv, le caractère inédit des faits invite objectivement à les considérer comme le signe d’une sérieuse exaspération américaine envers son protégé israélien. Compte tenu du lien quasi ombilical et existentiel entre l’Etat hébreu et les Etats-Unis, les impacts diplomatique et politique escomptés dépassent bien les conséquences militaires d’une simple suspension de livraison d’un lot de munitions.

Après près de trois mois de relations difficiles avec Benyamin Netanyahu et son gouvernement, au sujet de la conduite de la guerre et ses conséquences à Ghaza, Joe Biden est donc passé à l’acte mercredi soir, en confirmant le gel d’une opération de dotation de l’allié israélien d’une cargaison d’armements constituée essentiellement de bombes largables : 1800 bombes de plus de 900 kg et 1700 autres de plus de 225 kg. Dans une interview avec la chaîne CNN, le président américain a reconnu, pour la première fois, ce que les Ghazaouis et le monde entier savaient déjà que de «lourdes munitions made in USA ont bien servi à tuer des civils dans l’enclave palestinienne». 

La décision avait été annoncée deux jours auparavant par le secrétariat d’Etat à la Défense, qui avait précisé que la suspension ne touchait pas la suite du programme de livraison, même si la régularité et la consistance de celui-ci allait être conditionné par le comportement de l’armée israélienne à Rafah, où elle mène depuis plusieurs jours des opérations qu’elle prétend limitées et destinées à traquer les «derniers bataillons du Hamas». 
A en juger par les premières réactions, tous les centres de décision à Tel-Aviv semblent être surpris et surtout prennent très mal ce «lâchage» de l’allié inconditionnel.

Le représentant de l’Etat hébreu à l’ONU a dit toute sa «déception», alors que les représentants de l’extrême droite se sont chargés, comme à l’accoutumée, de dire tout haut ce que le sommet du gouvernement pense tout bas. Itamar Ben Gvir, ministre israélien de la Sécurité intérieure – que le conflit en cours a rendu célèbre pour ses déclarations incendiaires et ses appels au génocide des Palestiniens – a glissé que le Hamas doit désormais tenir en haute estime Joe Biden et son administration.

Un autre membre du même gouvernement estime quant à lui que le moment était venu d’en finir avec la dépendance militaire envers les Etats-Unis. D’autres voix, situées dans l’opposition, estiment pour leur part qu’il est indéniable que la nouvelle posture américaine place Israël dans une position délicate, en tenant pour responsables Benyamin Netanyahu et sa coalition de droite, de l’«impasse stratégique» dans laquelle ils ont précipité l’Etat hébreu.

En quête de l’ascendant perdu

Ayant investi sa puissance diplomatique dans la recherche d’une trêve négociée depuis la veille du Ramadhan dernier, et ayant multiplié les mises en garde contre une offensive militaire à Rafah sans son feu vert, Washington a fini donc par se retrouver dans l’obligation de faire une entorse au dogme de soutien inconditionnel pour affirmer son ascendant de parrain sur le protégé israélien.

Une journée avant de confirmer la suspension de la livraison d’armes concernée, Joe Biden avait pris la parole mardi dernier, lors de la commémoration annuelle de la Shoah au musée de l’Holocauste au Capitole, pour s’inquiéter de la «montée de l’antisémitisme» dans les universités, en référence aux manifestations qui agitent les campus américains depuis des semaines, ajoutant que les Etats-Unis allaient rester le premier bouclier, militaire et diplomatique, de l’Etat hébreu. Le 20 avril dernier, cette affirmation s’est concrétisée si besoin, par l’octroi d’une aide fort conséquente de près de 14 milliards de dollars d’assistance militaire à Tel-Aviv pour appuyer sa campagne à Ghaza.

Le président américain a redit à peu près la même chose lors de l’interview accordée le lendemain à CNN, juste avant de se démarquer des méthodes de Netanyahu et de son gouvernement. Et c’est sans doute dans cette nuance, destinée également à ne pas donner un «mauvais signal» aux «ennemis d’Israël», qu’il faut puiser pour expliquer la toute récente rétention de munitions.

En décembre 2023, la Maison-Blanche, qui pariait sur une guerre de quelques mois seulement à Ghaza, commençait déjà à s’irriter de l’aveuglement israélien et de la propension de son gouvernement à trop s’affranchir des orientations américaines et à ne pas tenir compte du désastreux impact diplomatique des massacres à grande échelle commis à Ghaza.

Le 12 décembre, Joe Biden avait déclaré que Benyamin Netanyahu devait au plus vite changer son gouvernement d’«extrémistes», pour sortir de l’ornière et éviter à l’Etat hébreu et à son premier allié d’affronter une vague de plus en plus grandissante de condamnations dans le monde. Or, le gouvernement non seulement n’a pas changé à Tel-Aviv, mais ses ministres se sont plu à multiplier les déclarations de défiance envers le parrain américain, tout en continuant à engager le conflit sur la voie de la guerre messianique totale et génocidaire.

Le très peu diplomatique tollé israélien qui a réagi à l’abstention américaine lors de l’adoption, le 26 mars dernier, de la résolution du Conseil de sécurité sur un cessez-le-feu à Ghaza, avec des piques qui ont raillé jusqu’à la santé mentale de Joe Biden, marque un des écarts les plus démonstratifs des désaccords de violons avec l’Etat hébreu, mais surtout de la perte de contrôle sur le personnel qui le gouverne.

En s’enlisant dans une logique de massacres de plus en plus décriée dans le monde comme un génocide, et en fermant la voie à toute issue négociée, voire tactique, le gouvernement Netanyahu a mis son principal allié dans une position qu’il a eu de plus en plus de mal à justifier face à la communauté internationale.

De plus, les risques encore intacts de débordements du conflit vers le Liban, de relance des hostilités avec l’Iran et sa batterie de proxys, la tension que maintiennent les insaisissables Houthis en mer Rouge…, sont autant de «complications» qui interpellent en premier lieu Washington. La vague de protestations sur les campus vient aggraver le cas de Joe Biden et de son administration, alors qu’ils se préparent à affronter, dans quelques mois, une incertaine épreuve électorale pour rempiler à la Maison-Blanche.

Le statut de première puissance mondiale et de principal acteur de la diplomatie internationale met les Etats-Unis devant des responsabilités qui semblent exiger aujourd’hui de sacrifier un gouvernement israélien, aussi suicidaire que peu coopératif. La suspension de la fameuse livraison d’armes, au-delà de son impact recherché sur l’opinion, aussi bien en sol américain que dans le monde, est aussi une manière d’isoler davantage Netanyahu et de l’affaiblir pour précipiter sa chute.

L’AG de l’ONU soutient la demande d’adhésion de la Palestine

L’Assemblée générale des Nations unies a soutenu hier la demande de la Palestine à un statut de membre à part entière de l’Organisation (ONU). L’AG de l’ONU reconnaît la Palestine comme éligible au statut de membre à part entière et renvoie la demande, présentée au nom du groupe arabe, au  Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il «réexamine la question favorablement».

Le texte a recueilli 143 votes pour, 9 contre et 25 abstentions. Le texte soutient que «l’Etat de Palestine remplit les conditions requises pour devenir membre» de l’ONU, et «devrait donc être admis à l’Organisation». Dans cette perspective, le texte recommande d’octroyer à la Palestine une série de «droits et privilèges supplémentaires» à partir de la 79e session de l’Assemblée en septembre prochain.

En effet, si l’AG ne peut, à elle seule, accorder le statut de membre à part entière de l’ONU, le projet de résolution voté hier accordera aux Palestiniens certains «droits et privilèges supplémentaires» à partir de septembre 2024, tel qu’un siège parmi les membres de l’ONU dans la salle de l’assemblée, sans lui accorder le droit de vote.

La Palestine est actuellement un Etat observateur non membre. «L’adoption du projet de résolution soutenant l’adhésion de la Palestine à part entière à l’ONU constituerait un investissement dans la préservation de la solution à deux Etats», a affirmé l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour, dans une allocution prononcée avant le vote. Un soutien à la demande d’adhésion de la Palestine «constituerait une réaffirmation claire du soutien, en ce moment très critique, au droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y c compris le droit à un Etat indépendant», a-t-il ajouté.

Le Conseil de sécurité avait échoué, en avril dernier, à adopter un projet de résolution présenté par l’Algérie, au nom du groupe arabe, recommandant l’admission de l’Etat de la Palestine en tant que membre à part entière des Nations unies. Le texte  avait recueilli 12 votes pour, 1 contre (veto des Etats-Unis) et 2 abstentions (Royaume-Uni et Suisse).
 

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