La tension monte alors que le massacre se poursuit à Ghaza : Le spectre d’une guerre majeure au Moyen-Orient

29/10/2023 mis à jour: 02:38
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L'Iran est sur le pied de guerre depuis les attaques du mouvement Hamas contre des colonies et des bases militaires israéliennes le 7 octobre dernier, et l'effroyable riposte militaire de Tel-Aviv contre la bande de Ghaza. 

 La République islamique est la cible régulière  d'accusations directes ou à peine voilées du gouvernement Netanyahu, mais et surtout de son parrain américain. Le leitmotiv est repris par ailleurs par de nombreuses capitales occidentales : Téhéran aurait fourni du soutien à la Résistance palestinienne dans le contexte et serait prêt à encore jeter de l'huile sur le feu pour appuyer l'action des factions islamistes, voire militairement intervenir dans le conflit, accuse-t-on, sans pouvoir présenter de preuves sur une quelconque implication. 

Les responsables politiques et les dignitaires religieux iraniens ont multiplié, quant à eux, les démentis sur la question : aucune assistance, encore moins de soutien direct, n’ont été apportés à Hamas dans l'occurrence des attaques du 7 octobre dernier. Dès le 10 octobre, l'ayatollah Khamenei avait ainsi nié toute implication de son pays dans la préparation ou l'exécution de l'offensive du Hamas, et à sa suite, le président Ebrahim Raïssi a fait de même ainsi que son ministre des Affaires étrangères. 

Ces déclarations n'ont pas empêché le président américain, Joe Biden, de lancer son fameux : «We made it clear to the Iranians : Be careful.» (Nous avons clairement signalé aux Iraniens : Faites attention). Benyamin Netanyahu s'en est évidement réjoui et enhardi. «Iran et Hezbollah ne nous testez pas dans le nord. Le prix que vous aurez à payer sera beaucoup plus élevé. Je vous dis en hébreu ce que le président des Etats-Unis a dit en anglais : ne le faites pas !» a-t-il à son tour averti. Les suspicions de départ se transforment rapidement en avertissement sur d'éventuels plans d’intervention de l’Iran. 

Craintes réelles ou  besoin de justifier le déploiement sans précédent de l'armada aéronavale américaine dans la région, annoncé précocement par le département de Défense dès le 8 octobre dernier ? Anthony Blinken, le secrétaire d'Etat américain relaie le même message. «Nous sommes préoccupés par la possibilité que des mandataires iraniens intensifient leurs attaques contre notre propre personnel, notre propre peuple.» «Nous pensons qu'il y a une probabilité d'escalade», confie-t-il à la chaîne d'information CBS, deux semaines après le début du déluge de feu abattu par Tsahal sur l'enclave de Ghaza.  En parallèle, le renforcement continu des moyens militaires déjà déployé en Méditerranée orientale s'est poursuivi. 

Le 15 octobre, un deuxième groupe aéronaval, composé du porte-avions Dwight Eisenhower avec ses 80 avions de chasse, sa suite des croiseurs et de sous-marins et 2000 marines, a été engagé. Ce renfort est venu se joindre à un impressionnant  premier contingent , constitué de ce que possède l'armée US comme plus récente et plus puissante arme de frappe :l'USS Gérald Ford, le plus gros porte-avions au monde, avec son cortège d'appoint constitué du croiseur lance-missiles USS Normandy, quatre destroyers, des frégates lance-missiles, ainsi que des sous-marins nucléaires d'attaque. Les troupes embarquées avoisinent désormais les 10 000 hommes. 
 

Téhéran harcelé

Les Etats-Unis se préparent donc clairement à une guerre et voient en La République islamique d'Iran et ses «intermédiaires», selon le mot de Blinken (comprendre notamment le Hezbollah,  Hamas et le Jihad islamique), l'ennemi à abattre. La série d'attaques aux drones et roquettes qui ont visé des bases militaires et économiques  américaines en Irak et en Syrie dans le contexte et qui n'ont fait que des dégâts minimes, est l'autre levier sur lequel s'appuie l'appréhension, ou la stratégie, américaine de ce retour en force de la présence militaire dans la région.  

Pas plus tard que mardi dernier, le secrétaire d'Etat américain a dû renouveler fortement ses mises en garde et menaces contre Téhéran. «Les Etats-Unis ne cherchent pas le conflit avec l’Iran. Nous ne voulons pas que cette guerre s’étende. Mais si l’Iran ou ses intermédiaires attaquent le personnel américain où que ce soit, ne vous y trompez pas. Nous défendrons notre peuple – nous défendrons notre sécurité – de manière rapide et décisive», a-t-il réitéré lors d'une réunion du Conseil de sécurité. Jeudi dernier, en réaction à des attaques menées par des «milices» financées par Téhéran contre ses personnels militaires basés en Irak et en Syrie, selon le ministre de la Défense US, deux bases des Gardiens de la révolution iraniens ont été ciblées par des frappes américaines en territoire syrien.

 Après les démentis successifs de toute implication, l'Iran semble modifier sa communication sur le sujet et passe à son tour aux mises en garde. Intervenant lors d'une Assemblée générale d'«urgence» de l'ONU tenue jeudi dernier et consacrée à la situation en Palestine, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a prévenu que les Etats-Unis s’exposaient à des «conséquences incontrôlables», si le massacre se poursuivait à Ghaza. Le diplomate accuse l'administration américaine «de gérer les tueries» à Ghaza et en Cisjordanie, à fournir un soutien financier et militaire complet à Tel-Aviv,  et que ses décideurs devraient s'attendre à ce que «l'incendie» ne les épargne pas si les attaques contre l'enclave palestinienne continuaient à semer la mort et la dévastation. 

Le propos prend des intonations de menace, d'autant qu'il est tenu au moment où l'armée iranienne annonce des manœuvres militaires globales, impliquant la marine, l'armée de l'air et les forces terrestres. Indéniablement, les ingrédients d'une montée des périls en dehors du terrain des opérations actuel sont bien là. Les projets guerriers israéliens, basés grosso modo sur une éventuelle reprise territoriale de Ghaza, la neutralisation «définitive» du mouvement Hamas et cet ambigu objectif de «remodeler» les équilibres au Moyen-Orient – tel que lancé aux premiers jours du siège meurtrier de l'enclave palestinienne par Benyamin Netanyahu –  appellent visiblement l'engagement direct d'une puissance aussi déterminante et dissuasive que les Etats-Unis. Ennemi existentiel d'Israël et puissance militaire et politique qui pèse dans la région, l'Iran se présente objectivement comme le principal obstacle aux plans américano-israéliens. 

Du côté de Téhéran, les enjeux sont autrement plus radicaux : toute recomposition des équilibres géopolitiques dans cette partie sensible du monde qui serait conduite par le duo Washington–Tel-Aviv, se fera à son détriment, voire au prix de l'effondrement de son régime politique et de la neutralisation de son potentiel militaire. Ali Vaez, expert chargé du dossier Iran au niveau de l'ONG Crisis Group, cité par Euronews,  estime : «Si nous entrons dans une guerre à grande échelle, les Etats-Unis et Israël y verront probablement l’occasion de détruire le programme nucléaire iranien, qui n’a jamais été aussi proche de la mise au point d’armes nucléaires. Cela aura un coût énorme, en termes de capacités militaires, et peut-être en termes de pertes humaines.»
 

La Prophétie d'Isaïe 

Pour d'autres raisons, liées notamment au risque de déplacement massif des populations, l'Egypte et la Jordanie appréhendent pour leur part un débordement des hostilités en cours sur leurs territoires respectifs. Les tueries perpétrées par Tsahal à Ghaza et son acharnement à y détruire les infrastructures de base et le bâti en général (près de 50% des habitations y seraient aujourd'hui hors d'usage), poussent à une évacuation de l'enclave et au bouleversement des données démographiques au profit de Tel-Aviv. L'Egypte serait la première concernée par un départ des populations de Ghaza vers le sud  pour leur établissement dans le Sinaï. 
 

Le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi se démène depuis deux semaines pour dissuader le gouvernement Netanyahu, et convaincre notamment ses parrains occidentaux, de renoncer à «la liquidation de la cause palestinienne» par l'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leur territoire. 

Devant le chancelier allemand, en visite au Caire le 18 octobre dernier, Al Sissi a tout de même formulé une menace à peine voilée. Si le scénario d'un déplacement massif de Palestiniens vers  le Sinaï venait à se concrétiser, a-t-il développé en substance, on ne fera que déplacer le foyer de résistance et des opérations anti-israéliennes pourraient s'organiser à partir de ces territoires égyptiens, ce devant quoi Israël invoquera son «droit à se défendre». «L'Egypte est un grand pays qui a depuis longtemps investi dans la paix, au prix d'énormes sacrifices. C'est ce capital qui risque demain d'être perdu.» 

En décodé, sans doute, l'Egypte sera dans l'obligation de défendre son territoire, rompre les liens avec Tel-Aviv et peut-être bien entrer en guerre. Les éclats des hostilités, qui mettent la bande de Ghaza à feu et à sang depuis trois semaines, débordent déjà en territoire égyptien : 6 personnes ont été blessées avant-hier, lorsqu'un drone d'origine inconnue s'est écrasé dans la station balnéaire de Taba (près de la frontière avec Israël). Un incident de même type s'est produit lors de la même journée dans une localité limitrophe.

 Il y a une semaine, un char israélien a ciblé «par erreur» une unité de soldats égyptiens stationnés près du poste frontière de Rafah, blessant «légèrement», selon Le Caire, 9 d'entre eux. Benyamin Netanyahu, dans un récent discours télévisé, révèle l'état d'esprit qui est le sien en ce moment. S'engageant, messianique, à réaliser la «prophétie d'Isaïe» et à «mener le peuple des lumières» à la victoire «contre le peuple des ténèbres», l'homme et son gouvernement d'extrémistes semblent de plus en plus décidés à faire couler le sang et faire perdurer la guerre. Une guerre qui pourrait être celle de «la fin du monde» selon d'autres versions de la prophétie.  
 

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