Peu à peu s’estompe l’émotion suscitée par la chute de Bachar Al Assad et se mettent en place de nouveaux jeux géopolitiques dans lesquels est intégrée la nouvelle Syrie libérée par le mouvement Hayat Tarhir Al Sham, conduit par Mohammad Al Joulani.
Alors que le gouvernement de transition dessine le futur paysage politique interne, le nouvel homme fort de la Syrie multiplie les gestes d’apaisement tant vis-à-vis de sa population que de la communauté internationale. L’objectif est de rassurer qu’aucune nouvelle dictature sanglante ne prendra le relais de l’ancienne et que la «Syrie nouvelle» ne pourra être que pacifique, multiculturelle et libre. Entre pessimisme et espoir, les observateurs optent pour une prudente expectative tant est lourd le poids du passé et tant sont vifs les pressions et les appétits des puissances régionales et internationales.
Le jeu de la Turquie est particulièrement scruté en raison de la question kurde, de la présence de millions de réfugies syriens sur son sol et de sa proximité frontalière. Quant à l’Iran, affaibli par la perte de vitesse du Hezbollah au Liban et en Syrie sous les coups d’Israël, sa préoccupation majeure est la finalisation de son programme nucléaire.
C’est son assurance-vie au Moyen-Orient que tente de dominer le duo Tel-Aviv-Washington, soutenu par divers pays occidentaux, tant il représente un intérêt majeur au double plan de l’approvisionnement énergétique et du contrôle militaire stratégique mondial. La dynastie Al Assad était vue comme un obstacle pour les affaires du monde occidental et la politique expansionniste d’Israël, en raison de son alliance avec l’URSS puis la Russie et de son rôle-clé au sein du «front de la résistance» arabe voulu comme anti-impérialiste.
Cela a duré un demi-siècle, le summum a été l’atroce guerre civile à partir de 2012, qui a vu s’affronter le régime syrien avec divers groupes intégristes et de l’opposition démocratique. L’intervention de l’aviation russe sauva Bachar Al Assad, mais cette fois-ci, après l’offensive d'Al Joulani et de son mouvement Hayat Tahrir Al Sham, elle ne le fit pas : la préoccupation stratégique de Moscou est le front ukrainien, mais elle pourrait garder sa base navale de Tartous.
Dans ce grand basculement, Israël tente de tirer profit, d’abord en éliminant tout l’arsenal militaire syrien au prétexte qu’il pourrait être utilisé contre lui, et pour affaiblir ensuite ce pays considéré comme relais du Hezbollah et de l'Iran. C’est un autre pas dans sa stratégie expansionniste mise en œuvre depuis la guerre des Six Jours de 1967, avec des hauts et des bas et intensifiée après l’attaque du 7 Octobre par le Hamas palestinien.
Une aubaine pour Tel-Aviv afin d'accélérer sa propagande mondiale visant à présenter l’Etat d’Israël comme le seul défenseur des intérêts du «monde libre» au Moyen-Orient et comme un «modèle» de démocratie. Tel-Aviv a particulièrement ciblé les Etats-Unis, pris en otage par les lobbies juifs. Ils se sont montrés totalement insensibles au coût humain terrifiant de Ghaza, actuellement de 50 000 mots, dont les deux tiers sont des femmes et des enfants, et des 5000 décès au Liban et ont fermé les yeux devant l’accaparement des terres palestiniennes par des colons juifs suprémacistes et l’assassinat de centaines d’habitants de Cisjordanie, déclarée comme territoire à coloniser totalement.
Le summum de l’implication américaine dans la politique israélienne a été la visite au Congrès US de Netanyahu qui l’acclama et lui offrit une impressionnante cargaison d’armes et des milliards de dollars. L’Europe s’est impliquée dans cette sinistre saga israélienne, les pays les plus en vue, la France et l’Allemagne, pays culpabilisés par la Shoah, le premier du fait du régime collaborationniste de Vichy, le second, berceau du nazisme.
Le nouveau président américain Donald Trump pourrait aller plus loin dans son projet, déjà entamé, d’accords d’Abraham qui ont fait capituler un groupe de pays arabes. Il vise à diluer la question palestinienne dans un projet global américano-israélien dans lequel les Etats-Unis trouvent leur compte en matière d’intérêts économiques et géostratégiques et dans lequel Israël pourra éliminer définitivement toute idée d’Etat palestinien menaçant son projet expansionniste.
C’est dans ce jeu-là que sera intégrée la question syrienne. L’axe américano-israélien ne tolérera d'Al Joulani et des nouveaux dirigeants syriens aucune autre politique.