Traitement des grandes affaires de corruption : Dernière ligne droite pour la justice

29/03/2023 mis à jour: 23:30
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La majorité des grandes affaires de corruption ont été traitées par le tribunal de Sidi M'hamed/ photo : H. LYÈS

Plusieurs dossiers de corruption impliquant trois chefs de gouvernement, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal et Noureddine Bedoui, de nombreux ministres, des hommes d’affaires liés aux cercle présidentiel, incarné par Saïd Bouteflika, le frère-conseiller du défunt Président déchu, ainsi que de hauts fonctionnaires de l’Etat, et ouverts entre 2019 et 2020, sont pour la plupart clôturés avec des décisions définitives et quelques-uns restent pendants au niveau de la Cour suprême. 

La justice entame, depuis le début de l’année en cours, l’examen de nombreuses affaires ouvertes entre 2021 et 2022 avec des procès en chaîne au niveau du pôle pénal financier de Sidi M’hamed (Alger), en attendant que les enquêtes judiciaires, engagées en 2023, soient achevées. 

Ainsi jeudi dernier, l’ancien ministre de la Solidarité et ex-secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbès, a vu sa peine confirmée définitivement, après le rejet de son pourvoi en cassation contre les décisions de la cour d’Alger, relative à l’affaire liée à la somme de 45 000 dollars trouvée dans son coffre-fort bancaire, constituant les intérêts générés du don de 5 millions de dollars, offert à l’Algérie par le Koweït en guise de solidarité avec les familles des victimes du terrorisme. 

Le chèque en question avait été remis par la Présidence au ministre de la Solidarité, alors Djamel Ould Abbès, puis versé sur un compte du département, non mouvementé. Les intérêts générés ont été versés sur le compte personnel du ministre, puis transférés dans un coffre-fort bancaire. Une affaire pour laquelle il a écopé d’une peine de 4 ans de prison assortie d’une confiscation de tous les biens mobiliers et immobiliers. 

Des biens qu’il n’avait pas déclarés lors de la première affaire relative au trafic des listes de candidature FLN à la députation, lors du scrutin d’avril 2017, pour laquelle il a été condamné à 6 ans de prison ferme, devenue définitive après le rejet de son pourvoi en cassation. C’est à la lumière d’une commission rogatoire que le patrimoine non déclaré de Djamel Ould Abbès a été retrouvé.

 Il s’agit d’une villa, d’une clinique, d’un bungalow, mais aussi de fonds placés dans des coffres-forts bancaires, déposés dans plusieurs enveloppes (contenant chacune 26 billets de 200 dollars, 84 billets de 200 euros, 50 billets de 100 euros, 162 billets de 100 euros, 33 billets de 500 euros, 660 billets de 100 dollars), en plus d’une somme de 100 dollars et de 4,10 millions de dinars. Ainsi, dans les jours à venir, tous les biens de Djamel Ould Abbès seront confisqués. 

La veille de cette décision, c’était la tombée de rideau pour l’un des nouveaux procès, qui sont inscrits au rôle du pôle pénal près le tribunal d’Alger. Il s’agit du procès de l’ancien ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, poursuivi avec son épouse et ses trois enfants, ainsi que l’ancien directeur général de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH), le promoteur immobilier Naceri et son fils pour une affaire de corruption liée à plusieurs chefs d’inculpation : «passation de marchés en violation de la réglementation», «abus de fonction», «conflit d’intérêt», «trafic d’influence», «octroi d’indus avantages», «blanchiment d’argent»... 

Il est reproché à l’ex-ministre d’avoir privilégié deux sociétés française et suédoise pour l’obtention de marchés d’équipements de radiothérapie pour des centres anti-cancer (CAC) alors qu’elles «n’avaient pas les compétences», ce qui s’est traduit, selon l’enquête, par un préjudice financier compris de 6 à 7 milliards de dollars. Le parquet a requis une peine de 12 ans de prison contre l’ancien ministre, une autre de 5 ans contre ses deux enfants et une de 4 ans contre son épouse. Le procureur a également requis 5 ans de prison contre l’ancien directeur général intérimaire de la PCH et le promoteur Naceri, ainsi que 3 ans contre des cadres de la PCH. Le verdict est attendu le 2 avril prochain. 

Devant la même juridiction est attendu demain (30 mars), l’ouverture du procès de l’ancien ministre des Ressources en eau, Arezki Baraki, qui comparaîtra avec les membres de sa famille, de nombreux cadres de l’Agence nationale des barrages et des transferts (ANBT) et des hommes d’affaires, des opérateurs économiques, des membres de la commission des marchés poursuivis pour «octroi d’indus avantages», «abus de fonction», «détournement et dilapidation de deniers publics», «conflit d’intérêt», «enrichissement illicite», «blanchiment d’argent», «trafic d’influence», «perception d’indus avantages». 

Le 2 avril, est prévu l’examen, en appel, de l’affaire Sonatrach, qui englobe plusieurs dossiers, dont BRC, SLC-Lavalin, Saipem, Petrofac, etc., qui avait éclaboussé le défunt Président déchu avant qu’elle ne soit fermée, dès le retour de ce dernier de sa longue convalescence à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, en France, l’été 2013, puis rouverte en 2021. Ayant joué un rôle important, selon l’enquête judiciaire, dans ces dossiers de corruption, liés aux secteurs de l’énergie et des travaux publics, deux anciens ministres, Chakib Khelil, de l’Energie, et Mohamed Bedjaoui, des Affaires étrangères, en fuite à l’étranger, ont été condamnés à des peines respectives de 20 et 5 ans de prison ferme assorties d’une amende d’un million de dinars et de la confirmation du mandat d’arrêt international émis à leur encontre. 
 

Mohamed Bedjaoui, Réda Hamech, Ryad Benaissa rattrapés par la justice

Si Mohamed Bedjaoui a été condamné pour «octroi d’indus avantages», «détournement», «dilapidation de deniers publics», «corruption», «trafic d’influence» et «conflit d’intérêt», des faits liés à son intervention dans les marchés de l’autoroute Est-Ouest, notamment sa relation avec le trafiquant d’armes français Pierre Falcon, Chakib Khelil est, quant à lui, reconnu coupable de «passation de marché public en violation de la réglementation», «corruption», «trafic d’influence», «abus de fonction volontaire dans le but de bénéficier d’indus avantages», «violation de la réglementation de change et de mouvement de capitaux de et vers l’étranger», «conflit d’intérêt», «acceptation d’indus cadeaux». Des griefs liés à son «implication» dans les contrats obtenus par Saipem, filiale du géant pétrolier italien Eni, grâce à Farid Bedjaoui (neveu de Mohamed Bedjaoui), son conseiller financier. 

Le pôle pénal de Sidi M’hamed a également prononcé une peine de 10 ans de prison contre l’ancien ministre des Travaux publics Ammar Ghoul (en détention), après avoir été reconnu coupable de «faits de corruption». 
 

Trois anciens PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, Abdelhamid Zerguine et Abdelmoumène Ould Kaddour, ainsi que l’ancien PDG de Sonelgaz et ancien ministre de l’Energie, Noureddine Bouterfa, ont eux aussi écopé des peines respectives de 5, 3, 10 et 5 ans de prison ferme. Meziane est lié aux marchés obtenus par Saipem, alors que Ould Kaddour a été jugé pour l’affaire BRC. Exfiltré dès l’éclatement de cette affaire en 2010, Réda Hamech, l’ancien chef de cabinet de Mohamed Meziane, et homme de confiance de Chakib Khelil, ainsi que Farid Bedjaoui, toujours en fuite à l’étranger, ont été quant à eux rattrapés par la justice. Ils ont écopé d’une peine de 10 ans de prison ferme prononcée par défaut. 

Cité dans plusieurs affaires de corruption à l’international, l’ancien vice-président à la division construction de SNC-Lavalin, Ryad Benaissa, poursuivi en Suisse où il était détenu (pour des faits de corruption en Libye) et au Canada, vers où il a été extradé pour être jugé pour une affaire de corruption impliquant le géant canadien, a joué un rôle important dans l’obtention par SLC-Lavalin de plusieurs marchés en Algérie, dont ceux de la réalisation de la centrale électrique de Hadjret Ennous à Tipasa en 2008, et du complexe gazier de Rhourde Nouss 2009. 

Il a été condamné à une peine de 7 ans de prison ferme par défaut, assortie d’un mandat d’arrêt international, alors que Tullio Orsi, ex-patron de Saipem Algérie, qui avait quitté le pays la veille des interpellations opérées par les services de sécurité chargés de l’enquête préliminaire sur Sonatrach, a écopé d’une peine de 6 ans. Il était au centre des révélations, faites en Italie, sur l’affaire de corruption qui a éclaboussé Saipem et Eni en Algérie. 


BRC, SLC-Lavalin, Saipem au box des accusés

L’enquête a touché de nombreux responsables du géant italien, mais aussi des intermédiaires. Le pôle pénal financier a condamné la société Saipem Contraction Algérie, en tant que personne morale, au paiement d’une amende de 5 millions de dinars, pour avoir usé de «trafic d’influence» et «perçu d’indus avantages». SLC-Lavalin, Petrofac et JGC ont écopé de la même peine et pour les mêmes chefs d’inculpation liés au marché de construction de la central électrique de Hadjret Ennous, à Tipasa, et celui de réalisation du complexe gazier de Rhourde Ennous au sud du pays, et pour lesquels l’ex-PDG de Sonelgaz Noureddine Boutarfa, l’ancien PDG de Sonatrach Mohamed Meziane et Chakib Khelil ont été condamnés. 

L’ex-ministre de l’Energie est également jugé et condamné dans l’affaire BRC, au même titre que Abdelmoumène Ould Kaddour et Abdelhamid Zerguine. Elle concerne 13 marchés de gré à gré obtenus par BRC (joint-venture entre Sonatrach et la compagnie américaine Brown and Root) auprès de nombreux ministères, sur instruction de Chakib Khelil, puis sous-traités et surfacturés. Cinq autres peines allant de 3 à 6 ans de prison ferme ont été prononcées, alors que plus d’une dizaine de prévenus ont bénéficié de la relaxe. Le pôle pénal a, par ailleurs, condamné Chakib Khelil, Réda Hamech et Mohamed Bedjaoui à s’acquitter de la somme de 10 millions de dinars à titre de dédommagement.

Au rôle de la chambre pénale près la cour d’Alger, de nombreux procès en appel sont programmés. D’abord l’affaire de Mahieddine Tahkout et les membres de sa famille qui concerne la dissipation de véhicules alors qu’ils étaient sous administration judiciaire. Le 2 avril sera prononcé le verdict du procès de Hamid Melzi, ancien patron de la résidence d’Etat Sahel, lié à la surfacturation, ainsi que le procès des frères Aissiou, des hommes d’affaires en fuite à l’étranger. 

Le 4 avril, aura lieu le procès en appel de Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt Président déchu, et de plusieurs hommes d’affaires, alors que le 16 avril, se tiendra le procès en appel de l’affaire de l’Entreprise national de transport maritime des voyageurs (ENTMV), relative aux traversées des navires sans voyageurs, dans laquelle les cadres dirigeants de la compagnie seront au box des accusés. 

En plus de toutes, ces affaires, d’autres dossiers de corruption ont été ouverts durant l’année 2022 et en début de 2023 et sont toujours en instruction au niveau du pôle pénal économique et financier. Parmi ces derniers, ceux de l’Anep, de l’importation de 135 millions de masques chirurgicaux (durant la période de la Covid-19), du groupe Imetal et Sider et de Cnan-Nord. 

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