Après la décision du chef du PKK de déposer les armes : Quel avenir pour les kurdes syriens ?

01/03/2025 mis à jour: 00:22
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Abdullah Ocalan, 75 ans, leader historique du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, a lancé ce jeudi, à partir de sa cellule où il est détenu depuis 1999, un «appel à la paix et pour une société démocratique», rapporte l’AFP. Dans son message, Ocalan a appelé le PPK à «déposer les armes et (...) à se dissoudre», en disant «assumer la responsabilité historique de cet appel». 

C’est une lourde décision que celle que vient d’annoncer cette figure emblématique de la communauté kurde en Turquie, lui qui a consacré la plus grande partie de sa vie à militer pour l’unification du Kurdistan et l’établissement d’un Etat kurde. C’est en 1978 que Abdullah Ocalan, alors étudiant en Sciences politiques, a fondé le PKK, parti d’obédience marxiste-léniniste avec un objectif indépendantiste. Ocalan l’a d’emblée pensé non pas comme une ONG ou bien un mouvement de droits civiques mais comme une organisation paramilitaire destinée à encadrer une lutte armée pour la libération du Kurdistan. En 1984, il met en place une véritable guérilla, si bien que le PKK sera considéré par Anakara comme un mouvement terroriste et le combattra avec acharnement. 

Selon l’AFP, la guérilla kurde dirigée par le Parti des travailleurs du Kurdistan «a fait plus de 40 000 morts» en quatre décennies de combat. Fuyant la répression du gouvernement turque, Ocalan et ses hommes trouvent refuge en Syrie et au Liban. Le chef du PKK fut ensuite contraint de fuir la Syrie pour se réfugier en Europe. «Menacé, le chef du PKK a quitté la Syrie et entamé un périple entre plusieurs pays européens. Il est arrêté le 15 février 1999 au Kenya. Condamné à mort en Turquie, il est placé à l'isolement sur l'île-prison d'Imrali, au large d'Istanbul. Sa peine est commuée en prison à vie en 2002 quand la Turquie a renoncé à la peine capitale», écrit l’AFP. 

Le Président du Kurdistan Irakien satisfait

En 2013, Abdullah Ocalan a appelé une première fois le PKK à déposer les armes alors que des négociations avaient été engagées avec le président Erdogan. Les négociations échouent, et les attaques répétées contre les territoires kurdes au sud-est de la Turquie et en Irak exacerbent les tensions. Le PKK riposte en multipliant les attentats. Depuis quelque temps, le chef du PKK s’est dit prêt à lancer un appel à la cessation de la lutte armée. 

Ce jeudi 27 février, le message d’Ocalan, qui était «attendu depuis des semaines, a été lu en kurde puis en turc dans une salle bondée d'un hôtel d'Istanbul, sous une large photo prise le matin même, le montrant les cheveux blanchis, devant une foule de journalistes et des ''Mères du samedi'', des femmes kurdes qui manifestent chaque semaine pour leurs proches disparus aux mains des autorités», indique l’AFP. 


Ni le président Recep Tayyip Erdogan ni aucune figure du gouvernement turc n'ont pour l’heure réagi à l'appel de Abdullah Ocalan. 

Sachant que les Kurdes sont partagés entre quatre pays, à savoir la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran, la déclaration du fondateur du PKK n’a pas manqué de faire réagir, en revanche, dans ces pays. En Irak, Nechirvan Barzani, le président du Kurdistan irakien, une région autonome, a salué le geste fort du vieux militant kurde. «Nous saluons chaleureusement le message de M. Ocalan et son appel au désarmement et à la dissolution du PKK», a déclaré M. Barzani avant-hier sur le réseau social X, avant d’ajouter : «Nous appelons le PKK à respecter ce message et à le mettre en œuvre. Nous espérons que cet appel ouvrira la voie à la paix et à une solution pacifique. C’est le temps de la lutte pacifique, civile et démocratique, grâce à laquelle de meilleurs résultats seront obtenus. C’est mieux que les armes et la violence.» «Nous, dans la région du Kurdistan, soutenons pleinement le processus de paix et sommes prêts à jouer un rôle pour faire de ce processus un succès», a assuré Nechirvan Barzani. Et le président du Kurdistan irakien de faire le vœu d’une solution durable «avec la participation et le soutien des autres parties en Turquie». «Puissent la paix et la stabilité régner dans le pays et dans toute la région», a-t-il conclu.

Les FDS se disent «non concernés» par l’appel d’Ocalan

En Syrie, où les Kurdes représentent entre 12 et 15% de la population et où plus de 2,5 millions d’habitants vivent sous l’administration autonome kurde dans le nord-est du pays (territoire appelé le Rojava), l’accueil de l’appel a été plutôt mitigé. Le leader des Forces démocratiques syriennes (FDS), à majorité kurde, Mazloum Abdi, a déclaré : «Cet appel ne concerne pas nos forces.»

 Toutefois, le commandant en chef des FDS a précisé qu’il saluait cette décision historique, estimant qu’elle «aurait des conséquences positives dans la région», indique Reuters. Historiquement, la principale force politique kurde en Syrie est le Parti de l’union démocratique kurde (le PYD). Créé en 2003, ce dernier est considéré comme la branche syrienne du PKK turc. Lorsqu’a éclaté la guerre civile syrienne en 2011, le Parti de l’union démocratique kurde s’est doté d’un bras armé : les Unités de protection du peuple (YPD). Les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les Etats-Unis, ont vu le jour, quant à elles, en octobre 2015.

 Il s’agit d’une «coalition de milices ethniques kurdes et arabes et de groupes rebelles», d’après la BBC. Les FDS sont dominées par les combattants des Unités de protection du peuple. Ces troupes contrôlent «des zones allant de l'est de l'Euphrate à la frontière irakienne et les villes de Tell Rifaat et Manbij à l'ouest», précise la BBC. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les FDS qui contrôlent l’administration autonome kurde, appelée aussi l’Aanes (Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie, l’organe qui gouverne le Rojava). Les FDS se sont données pour mission de combattre à la fois les terroristes de Daech et les groupes proturcs. Selon Reuters, «l’annonce d'Ocalan n'aurait pas d'impact immédiat sur les FDS, malgré l'affiliation au PKK des principaux groupes kurdes de Syrie au cœur des FDS, les Unités de protection du peuple (YPG)». 

Les milices kurdes prêtes à intégrer l’armée syrienne

Du côté de la Turquie, on est certain que les Unités de protection du peuple «sont indissociables du PKK» et c’est la raison pour laquelle Ankara les combat, par le truchement de groupes syriens proturcs. «Si la paix règne en Turquie, cela signifie qu'il n'y a plus d'excuse pour continuer à nous attaquer ici en Syrie», espère Mazloum Abdi, cité par Reuters. Si elle était suivie d’effet, la dissolution du PKK pourrait emporter avec elle un pan important de l’infrastructure organique du nationalisme kurde. Les Kurdes syriens, qui sont génétiquement liés au Parti des travailleurs du Kurdistan, vont se retrouver un peu plus isolés. 

Cet isolement était déjà perceptible mardi dernier, au Palais présidentiel à Damas, où se tenait la Conférence de dialogue national. Ni les FDS ni aucune organisation kurde n’étaient représentées à cette réunion pourtant décisive pour l’avenir du pays. Les FDS n’étaient pas invitées au nom du principe de l’exclusion de toutes les factions armées. Lors de son allocution, le président par intérim, Ahmad Al Charaa, a encore insisté sur la démilitarisation de toutes les factions syriennes. Une résolution qui a été reprise dans la déclaration finale de la Conférence. Les Kurdes ont très peu goûté cet argument et ont déclaré que la Conférence de dialogue national «ne représente pas le peuple syrien». 

Quand on sait que Ahmad Al Charaa et le groupe HTS qu’il dirigeait sont très proches de la Turquie, on comprend mieux l’intransigeance du nouvel homme fort de la Syrie à vouloir désarmer les milices kurdes. Ne voulant pas aller vers un bras de fer qui serait fatal pour la Syrie, Mazloum Abdi s’est dit prêt à négocier. «M. Abdi a déclaré que les autorités kurdes syriennes organiseraient leur propre dialogue local sur l'avenir de la région du Nord-Est», rapporte Reuters. 

Le commandant en chef des FDS serait même disposé à renoncer à ses forces armées en échange de l’intégration de ses troupes en tant que bloc unitaire au sein de la nouvelle armée nationale syrienne. «M. Abdi a exprimé sa volonté de voir ses forces faire partie du nouveau ministère de la Défense, mais il a déclaré qu'elles devraient s'y joindre en tant que bloc plutôt qu'à titre individuel, une idée rejetée par le nouveau gouvernement», nous apprend Reuters. 

Dans son édition du 18 février, le quotidien Al Sharq Al Awsat écrivait que «le commandement des Forces démocratiques syriennes (FDS) a annoncé la fusion de ses structures militaires et de sécurité avec les institutions de sécurité de l'administration autonome (kurde), comme prélude à l'entrée dans la structure de l'armée syrienne». 

Malgré leur méfiance mutuelle, Mazloum Abdi et Ahmad Al Charaa entretiendraient des relations assez cordiales. Le chef des FDS a félicité avec ferveur Abou Mohamed Al Joulani pour son accession à la présidence de la Syrie et «l’a invité à visiter les zones contrôlées par ses forces dans le nord-est de la Syrie» selon Al Sharq Al Awsat. 

Le journal arabophone paraissant à Londres fait mention, par ailleurs, d’un «procès-verbal d’une réunion tripartite» qui s’est tenue récemment, et «qui comprenait, outre le commandant en chef Mazloum Abdi, la direction de l’aile politique des FDS, le Conseil démocratique syrien (CDS), ainsi que l’administration civile exécutive et l’administration autonome kurde». 

Selon ce procès-verbal, «la réunion a convenu d'intégrer les institutions militaires et de sécurité des FDS et les institutions de sécurité de l'administration autonome dans la structure de l'armée syrienne, de réactiver les institutions civiles et de service de l'Etat syrien dans le nord-est de la Syrie, de retirer les combattants étrangers des rangs des FDS et de quitter les zones qu'elles contrôlent afin de promouvoir la souveraineté et la stabilité nationales». Mustapha Benfodil

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