Une armée d’avocats dépose plainte contre Israël devant la CPI : La balle est désormais dans le camp de Karim Khan

03/12/2023 mis à jour: 00:14
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Karim Khan, avocat britannique, procureur de la Cour pénale internationale (CPI) - Photo : D. R.

Concentrés sur la nécessité de poursuivre l’entité sioniste pour les crimes génocidaires commis à Ghaza, les participants à la Conférence internationale d’Alger «Justice pour la Palestine» ont achevé leurs travaux avec l’annonce d’un dépôt de plainte pas uniquement à la CPI, mais aussi au niveau de tous les tribunaux à compétence universelle. Ils ont installé un comité pour exécuter la décision et suivre les procédures. Pour certains experts, c’est une victoire, mais les plus sceptiques parlent d’utopie.

Ayant pris fin tard dans la journée de jeudi dernier, les travaux de la Conférence internationale d’Alger «Justice pour la Palestine» ont permis à une assistance de plus de 500 personnes, constituée notamment de magistrats, d’avocats et de professionnels du droit, de lever le voile sur l’impunité et la complicité dont bénéficie Israël.

La rencontre a permis également de dénoncer la politique des deux poids, deux mesures que pratique la communauté internationale face au drame des Palestiniens. Les experts du droit étaient unanimes à qualifier les actes de violence commis par l’entité sioniste de crimes de guerre, de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et d’extermination punis par le droit international. Pour eux, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) avait suffisamment de preuves et de documents de base pour s’autosaisir et poursuivre les dirigeants de l’entité sioniste.

Me Gilles Devers, du barreau de Lyon, en France, s’est montré optimiste quant à la poursuite engagée le 9 avril dernier, avec plus de 300 avocats, devant la CPI. Pour lui, le bureau du procureur a déjà ouvert une enquête approfondie qui se poursuit à ce jour, et peut prendre du temps. Néanmoins, a-t-il ajouté, il faut des mesures urgentes contre les auteurs des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité, à savoir le Premier ministre Benyamin Netanyahu, son ministre de la Défense et le chef des opérations militaires.

L’avocat a rappelé que des tribunaux spéciaux ont été institués dans un passé récent pour juger les auteurs de crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, en Côte d’Ivoire, en Yougoslavie, au Rwanda, ou encore en Libye. «Aujourd’hui, personne ne comprend pourquoi la communauté internationale ne peut pas le faire pour les crimes commis en Palestine occupée et surtout pourquoi ce jeu de double standard dès qu’il s’agit de la situation en Palestine.» Me Devers a cependant rassuré l’assistance : «Nous avons reçu des réponses (NDLR : du procureur de la CPI), positives. Il nous a même déclaré que ce ne sont pas les criminels qui vont faire obstacle à la justice.

Le fait que les informations lui parviennent des hôpitaux, des écoles, des familles des victimes des camps de réfugiés, des ambulanciers, du personnel médical est un pas important dans l’enquête, même si celle-ci prend du temps. Il nous a même demandé de lui ramener des éléments précis qui lui permettront de prendre des mesures urgentes contre les dirigeants israéliens. Nous avons déjà une partie des documents qui vont lui être transmis à mon retour. Il s’agit des attaques contre les hôpitaux, les écoles, les quartiers résidentiels, contre les familles, mais aussi des déclarations de dirigeants israéliens. Nous avons senti une forte attente du procureur.»

Président du Forum islamique du droit international humanitaire, Fawzi Oussedik a déclaré : «S’il y a de graves violations du droit international, ce n’est pas à cause de cette loi, mais plutôt à cause de sa non -application et des comportements. A Ghaza, Israël a enterré le droit, le droit humanitaire. Depuis le 7 octobre dernier à ce jour, tous les mécanismes juridiques sont bloqués.

Même le Comité de la Croix-Rouge, qui nous a habitués à des communiqués sur les violations, n’a rien publié sur Ghaza, alors que la situation est extrêmement grave. L’article 8 du statut de Rome considère les attaques contre les médecins et les équipes médicales comme des crimes de guerre, qui relèvent des compétences de la CPI. Or, à ce jour, 60 médecins et membres des équipes médicales ont été tués et 85 ambulances du Croissant-Rouge palestinien ont été la cible d’attaques armées. Ce sont des crimes de guerre, mais le Comité de la Croix-Rouge n’a pas fait de communiqué.»

«Le procureur de la CPI n’a rien fait et ne fera rien, comme son prédécesseur»

Evoquant le rôle du procureur de la CPI, le professeur El Kheir Kechi n’y a pas été avec le dos de la cuillère. Sous le titre : «La mission du procureur de la CPI est sur une balance», il a averti l’assistance en déclarant : «Détrompez-vous, Karim Khan, le procureur de la CPI, avait déjà mené l’enquête sur les violations du droit humanitaire par l’entité sioniste, mais n’a rien fait, et ne fera rien, tout comme son prédécesseur. Il a compliqué l’affaire pour gagner du temps.

Vous devez savoir qu’Israël n’a pas signé le statut de Rome, qui a établi la CPI. Cela veut dire qu’il n’est pas Etat partie et la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions nationales. Elle n’entre en action que si celles-ci n’a pas fait son travail.»

Le professeur a ajouté : «Rappelez-vous, dès que les professionnels du droit ont commencé à parler de poursuites contre Israël, ce même procureur a parlé d’affaire complexe et de budget réduit pour la prendre en charge, alors qu’il aurait pu axer son travail sur les dossiers faciles à documenter, comme la colonisation et le bombardement des populations civiles. Des faits qu’Israël ne peut cacher, parce que ses lois consacrent le racisme et la colonisation.»

Spécialiste du droit international, Tahar Boudjellal, ancien directeur du département juridique de l’organisation arabe des associations de Croissants et Croix Rouges, a parlé de la procédure de saisine des ONG internationales sur les violations du droit humanitaire en Palestine occupée. Il a commencé par s’interroger sur l’existence ou non d’autres mécanismes en dehors de ceux de la CPI, avant d’exposer sa communication. «Israël déclare qu’il ne fait qu’appliquer le principe de réciprocité garanti par le droit.

Le Hamas m’a attaqué, j’ai le droit de riposter et de me défendre. Or, ce principe ne s’applique que lorsqu’un Etat est agressé par un autre Etat et non pas par un groupe, non affilié à un Etat. Le Hamas n’est pas été en territoire israélien. Il était à Ghaza et n’a pas quitté son territoire. Le principe de réciprocité ne peut être appliqué.» Sur la question des poursuites contre l’entité sioniste, l’intervenant a affirmé qu’il existe plusieurs mécanismes en dehors de la CPI, qui «auraient dû être utilisés».

«En plus de la CPI qui aurait dû être saisie par le Conseil de sécurité de l’Onu, ce dernier aurait pu mettre en place des tribunaux spéciaux pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre. Il en a déjà créé six, mais jamais pour juger les dirigeants israéliens. Laisser des criminels sans punition constitue une menace pour la paix et la sécurité dans le monde.

C’est sur la base de ce principe qu’un tribunal spécial a été créé en Libye et au Soudan. Pourquoi pas à Israël ? Il est possible de porter plainte contre l’Etat d’Israël, mais aussi contre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, des pays européens, complices avec Israël  dans les génocides. Vous avez remarqué qu’à ce jour, le Parlement européen n’a fait aucune déclaration sur la situation humanitaire désastreuse en Palestine, alors qu’il nous a habitués à des réactions multiples, même pour des faits vraiment insignifiants par rapport à ce qui se passe à Ghaza. La Palestine est signataire de la convention du droit humanitaire, tout comme Israël.

Ce n’est pas à la Palestine de le faire. Les 11 pays arabes signataires de la convention peuvent engager la procédure collectivement ou de manière individuelle». L’intervenant a terminé en disant : «La Ligue arabe aurait dû demander à ses Etats membres de poursuivre l’entité sioniste et de geler la participation des Etats qui ont normalisé leurs relations avec Israël, au lieu de faire campagne contre la non-criminalisation de l’holocauste palestinien.»

L’ancien président du Conseil national des droits de l’homme, le professeur et avocat Bouzid Lezahari, a fait, quant à lui, une comparaison entre le traitement de l’Ukraine et celui de la Palestine par la CPI. D’emblée, il a déclaré : «L’ancien procureur s’est caché derrière le fait que la Palestine n’était pas reconnue comme un Etat, et son successeur, Karim Khan, a utilisé l’alibi du manque de budget.

Pourtant, avec l’Ukraine, le même Karim Khan a dit qu’‘‘il y a eu violation du droit humanitaire, si les pays Etats parties décident, j’ouvre une enquête’’. La première plainte est venue de la Lituanie au mois de mars, suivie quelque temps après par plusieurs autres, signées le jour même sur instigation de la Grande-Bretagne. Khan se plaint du manque de moyens financiers et plusieurs pays européens ont commencé à alimenter le compte du bureau du procureur. Mais, lorsqu’il s’agit d’Israël, il a peur.»

Pour contourner cette inaction, a souligné l’avocat, «il faut inonder la CPI de signalement des crimes par les victimes, les témoins, les familles des victimes, pour obliger le procureur à agir. L’Ukraine a été soutenue par 43 pays, qui ont saisi la CPI, alors que la Palestine n’a pu obtenir que le soutien de cinq Etats, qui ont déposé plainte auprès de cette juridiction internationale.

Il y a 33 pays africains Etats parties de la CPI, où sont-ils ? Il faut faire campagne pour que ces pays soutiennent les cinq plaignants par d’autres plaintes». L’intervenant s’est montré sceptique quant à l’intégrité du procureur de la CPI : «Karim Khan met sur un pied d’égalité la Palestine et Israël, Il avait même déclaré qu’il se rendra à Ghaza et à Tel-Aviv, mais n’a pu le faire. Israël lui a refusé l’accès.»

Ainsi, entre les experts optimistes qui voient au bout de l’initiative une victoire et ceux qui, au contraire, restent sceptiques et considèrent la démarche utopique, il y a une lourde bataille juridico-judiciaire à mener pour vaincre l’influence des puissances qui soutiennent l’entité sioniste dans ses actes criminels et lui octroient le droit de tuer les Palestiniens en toute impunité.

L’appel de l’ambassadeur de Palestine  à Alger

Intervenant comme invité, l’ambassadeur de Palestine à Alger a laissé l’assistance suspendue à ses lèvres tant son discours était poignant. Il a commencé par saluer l’initiative de l’Algérie qui, a-t-il dit, a été le premier pays à ouvrir, dès 1963, un bureau de la révolution palestinienne et où, en 1988, a été proclamée, par le défunt Yasser Arafat, la naissance de l’Etat de Palestine.

Abordant la situation à Ghaza, il a affirmé que les «crimes les plus abominables, comme les génocides, les déportations, les bombardements des camps de réfugiés, sont commis, faisant près de 16 000 martyrs, des dizaines de milliers de disparus et de blessés, des centaines de biens détruits et autant d’infrastructures écolières, hospitalières, d’églises, de mosquées et de lieux de culte rasés (...), des crimes inédits, que les juristes qui ont rédigé le statut de Rome n’ont pu prévoir et que même le nazisme n’a pas pu commettre. Des exterminations collectives et des crimes contre l’humanité qui appellent à des poursuites pour crimes de guerre, contre les auteurs».

Le diplomate a appelé les participants à «entamer les procédures afin que les criminels ne puissent pas échapper à la loi et la sanction». Selon lui, «90% des victimes de cette guerre abominable menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont des enfants. N’ont-ils pas honte de voir autant de sang d’enfants couler ? N’ont-ils pas honte de voir autant d’enfants ensevelis sous les décombres ? N’ont-ils pas honte de voir tant de corps d’enfants déchiquetés jonchant les routes et les trottoirs ? Les colons se sont transformés en monstres sauvages. Notre peuple ne peut ni oublier ni pardonner ce qu’il subit». S. T.

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