Les débats autour de la situation humanitaire à Ghaza se sont poursuivis très tard dans la soirée d’hier, au sein du Conseil de sécurité de l’Onu, et devront se terminer par le vote d’un projet de résolution présenté et rédigé par le Guyana et les 10 membres non permanents du Conseil de sécurité, exigeant un cessez-le-feu «immédiat, inconditionnel et permanent» à Ghaza.
Il faut dire que lors de cette réunion, l’écrasante majorité des intervenants a décrit une situation chaotique dans l’enclave, en raison du refus d'Israël de laisser passer les convois d’aide humanitaire. «Une situation qui aura des répercussions sur plusieurs générations et façonnera la région d’une manière que nous ne pouvons pas encore appréhender», a averti Tor Wennesland, coordonnateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient. Mais Israël a continué à renvoyer la balle vers le Hamas, qu’il a accusé de «détournement» de l’aide humanitaire «avec la complicité» de l’Unrwa. «Ne savez-vous pas que les idéaux nobles de l’Onu sont foulés aux pieds ?» a lancé le délégué israélien, en appelant l’Onu, qui a donné naissance à son pays, à «s’occuper de son propre jardin avant de regarder dans celui du voisin».
Accusé, en tant que force occupante, d’utiliser la famine comme moyen de guerre et de commettre des crimes de génocide à travers le refus de laisser entrer l’aide humanitaire à la population palestinienne de Ghaza, Israël a toujours nié en affirmant tantôt que cette aide est bloquée du côté égyptien, tantôt qu’elle entre mais est détournée par le Hamas.
Ce que l’Egypte et tous les organismes humanitaires ont rejeté. Hier, le Washington Post, un journal américain, a publié une enquête fracassante qui démontre et prouve que le pillage de l’aide humanitaire à Ghaza se fait dans les zones contrôlées par Israël et avec sa complicité. Des bandes armées ont tué, battu et kidnappé des chauffeurs de camions d'aide dans la zone autour du passage de Kerem Shalom, principal point d'entrée dans le sud de Ghaza, ont indiqué des travailleurs humanitaires et des sociétés de transport au journal, précisant que «les voleurs qui ont mené des opérations de contrebande de cigarettes tout au long de l'année, mais qui volent désormais aussi de la nourriture et d'autres produits, sont liés à des familles criminelles locales, selon les habitants.
Les observateurs décrivent ces gangs comme des rivaux du Hamas et, dans certains cas, ils ont été pris pour cible par ce qui reste des forces de sécurité du Hamas dans d'autres parties de l'enclave». Selon le Washington Post, un mémo interne de l’Onu concluait le mois dernier que les gangs «pourraient bénéficier d’une bienveillance passive, voire active» ou d’une «protection» de la part des forces de défense israéliennes. Selon le mémo, un chef de gang aurait établi un «complexe de type militaire» dans une zone «réglementée, contrôlée et patrouillée par l’armée israélienne».
Il a également souligné que les ONG humanitaires lui ont affirmé que «les autorités israéliennes ont rejeté la plupart de leurs demandes de mesures plus strictes pour protéger les convois, notamment des itinéraires plus sûrs, des passages plus ouverts et l'autorisation de permettre à la police civile de Ghaza de protéger les camions. Les forces israéliennes présentes dans la zone d'attaque n'ont pas non plus réussi à intervenir à plusieurs reprises alors que les pillages étaient en cours, ont déclaré des travailleurs humanitaires, des responsables de l'ONU, des travailleurs des transports et des chauffeurs de camions».
Les gangs de pilleurs protégés
Par les forces israéliennes
Le journal a expliqué qu’étant donné que les autorités refusent aux journalistes l’accès à Ghaza, ses reporters et contributeurs – «y compris des journalistes de Ghaza – parlent aux habitants, aux médecins et aux travailleurs humanitaires par téléphone et par SMS, corroborant leurs récits grâce à de multiples sources, à des analyses visuelles et à d’autres outils». Lors du dernier incident, a écrit le journal, 98 des 109 camions transportant l'aide alimentaire de l'Onu en provenance de Kerem Shalom «ont été saccagés par des hommes armés, selon les agences humanitaires de l'Onu et l'homme d'affaires de Ghaza Adham Shuhaibar, qui avait huit camions dans le convoi. Les pillards ont tiré sur les camions et ont détenu un chauffeur pendant des heures, a déclaré Shuhaibar». Un communiqué de l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a déclaré que l'attaque avait causé «des blessures aux transporteurs» et «d'importants dégâts aux véhicules».
Si Israël a justifié les restrictions sur la circulation des marchandises par «le fait que le Hamas volait l’aide et l’empêchait d’arriver aux civils», un «responsable américain» a déclaré au journal que «le Hamas n'est pas derrière les attaques», précisant que cette «évaluation» est «largement partagée par ceux qui opèrent sur le terrain», alors qu’un «responsable d’une importante organisation humanitaire», dont le nom n’est pas cité, lui a déclaré : «nous n'avons constaté aucune interférence physique du Hamas où que ce soit dans nos programmes, au nord ou au sud», ajoutant que «l'homme que les groupes humanitaires croient être le chef du gang le plus prolifique a passé du temps dans une prison du Hamas pour des accusations criminelles avant la guerre, a déclaré le frère d'Adham Shuhaibar, Nahed, président de l'association privée de transport à Ghaza». Pendant des mois, a écrit le journal, Israël n’a approuvé qu’une seule voie pour toute l’aide entrant par le point de passage de Kerem Shalom : une route accidentée reliant le point de collecte des marchandises à une zone désolée du sud-est de Ghaza.
Un travailleur humanitaire qui emprunte régulièrement cette route a déclaré que les pillards se postaient généralement à un peu plus de 2 km du point de passage. D'autres ont raconté avoir vu des hommes et des garçons encore plus près du point d'entrée, certains armés de bâtons, de verges et de fusils (…). Adham Shuhaibar et Qaher Hameed, propriétaire d'une autre société de transport à Ghaza, ont tous deux déclaré que leurs camions avaient été pillés à un peu plus de 500 mètres des postes militaires israéliens. L’armée israélienne «les voit et surveille silencieusement tout ce qui se passe», a affirmé Hameed. Egeland, dont l'organisation fournit une aide humanitaire et un soutien psychosocial aux enfants de Ghaza, a déclaré qu'il «n'est pas possible de faire quoi que ce soit» dans l'enclave sans le consentement d'Israël.
La Norvège discute la saisine de la CIJ pour protéger l’existence de l’Unrwa
«Alors que les gangs accomplissent leur travail ouvertement, des escortes locales employées par des sociétés de logistique ont été la cible de tirs à plusieurs reprises» par les forces israéliennes début octobre, indique le mémo de l'ONU, décrivant un incident impliquant un drone quadricoptère. «Dans le même temps, les combattants présumés du Hamas qui transportent des armes dans d'autres parties de Ghaza sont généralement immédiatement éliminés par l'armée israélienne, ont indiqué des travailleurs humanitaires. L'armée israélienne diffuse fréquemment des images de surveillance de drones de ces frappes ciblées.»
L’enquête du Washington Post est très riche en détails révélateurs de la passivité, voire même la complicité d'Israël dans le pillage des rares camions qui entrent dans l’enclave. Israël est aussi responsable, selon l’Onu, de l’endommagement des deux tirs sur des locaux de l’Unrwa, à Ghaza, et de la mort de 243 membres de son personnel.
Hier, le vice-ministre norvégien des Affaires étrangères, Andreas Motzfeldt Kravik, a tenu des consultations préliminaires à l’Onu pour discuter d'un projet de résolution à soumettre à l'Assemblée générale demandant un avis consultatif de la CIJ, pour protéger l'existence de l'Unrwa et maintenir son activité.
La mesure sera soumise au vote le mois prochain, et l'agence onusienne bénéficie déjà d’un large soutien. «La communauté internationale ne peut accepter que l’Onu, les organisations humanitaires internationales et les etats continuent de faire face à des obstacles systématiques lorsqu’ils travaillent en Palestine et fournissent une aide humanitaire aux Palestiniens sous occupation. Nous demandons donc à la CIJ de rendre un avis consultatif sur les obligations d’Israël de faciliter l’aide humanitaire à la population palestinienne, délivrée par les organisations internationales, dont l’ONU, et les etats», a déclaré le chef de la diplomatie norvégienne, Espen Barth Eide. et de souligner que les nouvelles lois de la Knesset interdisant les activités de l’Unrwa auraient «de graves conséquences pour des millions de civils vivant déjà dans les conditions les plus désastreuses» et «porteraient atteinte à la stabilité de l'ensemble du Moyen-Orient».
S’exprimant lundi devant le Conseil de sécurité de l’Onu, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a déclaré : «La situation est dévastatrice et incompréhensible et, franchement, elle s’aggrave. Il est totalement inacceptable qu’il soit plus difficile que jamais d’acheminer de l’aide à Ghaza. En octobre, seuls 37 camions d’aide sont arrivés à Ghaza, le nombre le plus bas jamais enregistré. Il n’y a aucune excuse pour que les restrictions israéliennes sur l’aide soient appliquées.»
Lors de la réunion d’hier du Conseil de sécurité, les intervenants étaient nombreux à constater «l’échec» du Conseil «à faire respecter ses propres résolutions», avant d’appeler à des mesures concrètes pour mettre fin à «ce cauchemar humanitaire» en cours à Ghaza, particulièrement au nord où des zones entières ont été rendues inhabitables par les opérations militaires israéliennes qui se font au mépris du droit humanitaire international.