Même si les Occidentaux continuent à se montrer prudents à l’égard d’Ahmad Al Sharaa, ce chef islamiste timide et réservé qui a fait tomber Al Assad, en répétant qu’ils le jugeront sur les actes, on assiste ces derniers jours à un véritable ballet diplomatique dans la capitale syrienne.
Le triomphe de la coalition armée menée par Hayat Tahrir Al Sham (HTS) en Syrie en renversant le régime de Bachar Al Assad était suivi avec beaucoup de circonspection de la part des pays occidentaux. Et pour cause : HTS avait été classée organisation terroriste par l’ONU, les Etats-Unis et plusieurs capitales européennes.
Et beaucoup se méfiaient et se méfient encore du leader de la révolution syrienne Ahmad Al Sharaa et son «logiciel idéologique», lui qui avait combattu à la fois sous la bannière de Daech et sous la franchise Al Qaïda, lorsqu’il était à la tête de Jabhate Al Nosra.
Toutefois, Abou Mohammad Al Joulani avait rompu dès 2016 avec l’organisation fondée par Oussama Ben Laden, et depuis, il brandit un islamisme bon chic bon genre en multipliant les garanties à l’adresse de l’opinion occidentale, la rassurant en gros que HTS n’a guère l’intention d’instaurer une république islamique à Dimachq.
Mais force est de le constater : même si les Occidentaux continuent à se montrer prudents à l’égard de ce chef islamiste timide et réservé en répétant qu’ils le jugeront sur les actes, on assiste ces derniers jours à une intensification des visites diplomatiques dans la capitale syrienne. Et toutes les grandes chancelleries se précipitent à la rencontre des nouveaux maîtres du pays, se disant prêtes à travailler avec la nouvelle équipe au pouvoir en Syrie.
«L’UE doit intensifier sa relation avec HTS»
En visite mardi à Ankara où elle s’est entretenue avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a estimé que l'Union européenne doit «intensifier» sa relation avec Hayat Tahrir Al Sham. «Nous devons maintenant intensifier notre engagement direct avec HTS et d'autres factions», a affirmé Mme Von der Leyen, selon des propos rapportés par l’AFP.
Plaidant dans le même sens, la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a déclaré que l'UE était «prête» à rouvrir son ambassade à Damas. L’un des arguments-clés avancés par Ursula von der Leyen pour justifier sa position est la crainte de voir Daech reprendre du poil de la bête à la faveur de l’agitation qui règne au Levant.
Aujourd’hui, seules les Forces démocratiques syriennes (FDS), à majorité kurde, soutenues par les Etats-Unis, cernent le groupe extrémiste. «Le risque d'une résurgence de l'EI (Etat islamique) est réel», a averti la présidente exécutive de l’UE en ajoutant : «L'unité de la nation syrienne doit être respectée et les minorités protégées.» D’après Le Monde, l’UE a dépêché lundi dernier «Michael Ohnmacht, le chargé d’affaires de l’Union européenne pour la Syrie installé à Beyrouth.
Il a pu rencontrer un représentant de HTS au sein du ministère des Affaires étrangères syrien». «D’autres pays européens, comme l’Allemagne, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, ont fait ou veulent faire de même, afin d’établir un premier contact avec le nouveau pouvoir, bien qu’il ne soit pas question à ce jour de retirer HTS de la liste des entités terroristes de l’ONU», écrit Le Monde. Ainsi, une délégation allemande conduite par Tobias Tunkel, le chargé des questions du Proche et Moyen-Orient au ministère allemand des Affaires étrangères, s’est entretenue pour la première fois, mardi, avec Ahmad Al Sharaa à Damas.
C’est ce qu’a indiqué Berlin dans un communiqué. «Les discussions ont porté sur le processus de transition politique et sur nos attentes en matière de protection des minorités et des droits des femmes, afin de pouvoir accompagner une évolution pacifique en Syrie», a expliqué à l’AFP une porte-parole du ministère allemand des AE. La délégation allemande a également «rencontré Zaid Al Attar, responsable au sein du groupe islamiste Hayat Tahrir Al Sham pour les contacts internationaux, et le ministre de l'Education du gouvernement syrien de transition, Nadir Al Qadari».
Londres, Berlin et Paris dépêchent des émissaires
Les diplomates allemands ont également échangé avec des membres de la société civile et des représentants de différentes communautés confessionnelles en Syrie. «Ils ont aussi procédé à une première inspection du bâtiment de l'ambassade d'Allemagne à Damas, fermée depuis le 22 janvier 2012, quelques mois après le début de la guerre civile» complète l’AFP. Les Allemands disent que toute coopération avec le nouveau pouvoir «suppose que les minorités ethniques et religieuses sont protégées et que les droits des femmes sont respectés», insiste une porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères auprès de l’AFP.
De son côté, la France a également envoyé des émissaires en Syrie et a ouvert sa représentation diplomatique qui était fermée depuis 2012. «Le drapeau français a été hissé mardi à l'ambassade de France à Damas, à l'arrivée d'une mission diplomatique envoyée par Paris pour la première fois depuis 12 ans», rapporte l’AFP. «La France se prépare à être aux côtés des Syriens» durant la période de transition, a assuré le diplomate Jean-François Guillaume cité par l’AFP.
Il y a lieu de citer aussi la Turquie qui a rouvert son ambassade en Syrie le samedi 14 décembre après une bonne douzaine d’années de vacuité. Pour sa part, Londres avait envoyé une délégation officielle à Damas le lundi 16 décembre. «Je peux confirmer aujourd'hui (lundi, ndlr) que nous avons envoyé une délégation de hauts responsables britanniques à Damas pour une réunion avec les nouvelles autorités syriennes intérimaires», avait annoncé le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, lors d'une conférence de presse à Londres. A son tour, l’Italie s’est dite prête à prendre langue avec les autorités intérimaires en Syrie.
C’est ce qu’a fait savoir mardi la Première ministre italienne, Giorgia Meloni devant le Parlement à Rome. «L'Italie est prête à dialoguer avec les nouveaux dirigeants syriens, évidemment dans le contexte d'évaluations et d'actions partagées avec les partenaires européens et internationaux», a déclaré Mme Meloni. «Les premiers signes semblent encourageants, mais une prudence maximale s'impose», a-t-elle cependant tempéré.