Le procès intenté par le Nicaragua à l’Allemagne devant la Cour internationale de justice (CIJ), pour complicité de «génocide» à Ghaza et dont les audiences auront lieu les 8 et 9 avril prochain à La Haye, fait tache d’huile. Certains pays alliés d’Israël ont suspendu leurs livraisons d’armes alors que d’autres ont annoncé la reprise du financement de l’Unrwa – dont la suspension a aggravé la situation humanitaire chaotique à Ghaza – de peur de se retrouver au banc des accusés pour leur soutien à la guerre génocidaire menée par l’entité sioniste.
Depuis l’annonce par le Nicaragua de la procédure engagée devant la Cour internationale de justice (CIJ), contre Berlin, pour «complicité de génocide», en raison de son soutien politico-militaire à Israël et la suspension du financement de l’Unrwa, la peur de se retrouver sous le coup d’une poursuite pour les mêmes accusations qui pèsent sur Berlin a poussé des pays alliés de l’entité sioniste à revoir leur position.
Dans sa requête introductive d’instance contre l’Allemagne, déposée le 1er mars devant la CIJI, le Nicaragua a accusé l’Allemagne d’avoir «manqué à ses obligations» qui découlent de «la convention sur le génocide, des Conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels, des principes intransgressibles du droit international humanitaire et d’autres normes de droit international général», en territoire occupé de la Palestine, notamment à Ghaza.
Dans son argumentation, le Nicaragua explique qu’en «fournissant un appui politique, financier et militaire à Israël et en cessant de financer l’Unrwa, l’Allemagne facilite la commission de ce génocide et, en tout état de cause, a manqué à son obligation de faire tout son possible pour en prévenir la commission», et termine sa requête en demandant à la CIJ «d’indiquer de toute urgence», dans l’attente de sa décision au fond en l’affaire, des mesures conservatoires en ce qui concerne «la participation de l’Allemagne au génocide plausible en cours et aux violations graves du droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international général commises dans la bande de Ghaza».
L’Afrique du Sud lui emboîte le pas, en déposant, six jours après, sa requête devant la même juridiction, demandant «des mesures conservatoires additionnelles» et «une modification» de l’ordonnance du 26 janvier 2024 et de sa décision du 16 février 2024 en l’affaire relative à l’application de la convention sur le génocide.
Pretoria affirme être «contrainte de solliciter de nouveau la Cour à la lumière de faits nouveaux et de l’évolution de la situation à Ghaza, en particulier de la famine généralisée, qui découlent des violations flagrantes de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et des violations manifestes des mesures conservatoires indiquées par la Cour le 26 janvier 2024 que continue de commettre l’Etat d’Israël».
«Désobéir à la décision de la CIJ»
De nombreux experts du droit international ont sévèrement critiqué la décision de plusieurs pays de suspendre l’aide financière accordée à l’Unrwa, qui continue en dépit de la violente campagne dirigée contre elle par Israël, à aider les rescapés des bombardements sans discernement, à survivre à la situation humanitaire désastreuse grâce aux aides qu’elle apporte.
Privés d’eau, de nourritures, de soins, d’électricité, de carburant etc., la population qui échappe miraculeusement aux bombardements, est résignée à choisir entre la déportation forcée ou la mort par la famine, la malnutrition ou les maladies.
Suspendre l’aide à l’Unrwa dans un tel contexte constitue, au vu de nombreux spécialistes du droit international, une complicité dans le génocide que commet Israël. Cette décision a été prise, juste après la sentence de la CIJ contre Israël, liée au procès qui lui a été intenté par l’Afrique du Sud, pour génocide.
Les Etats-Unis, puissant allié de l’entité sioniste, ont tout de suite annoncé avoir cessé de financer l’Unrwa, en raison des accusations d’Israël (sans preuves à ce jour), contre 12 fonctionnaires de l’Unrwa, (sur les 13 000 qui travaillent) relatives à leur prétendue participation aux attaques du 7 octobre.
Sept pays lui ont emboîté le pas : le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, la Finlande, la France, l’Italie, l’Allemagne. Un coup dur pour l’Unrwa, à travers elle, aux Palestiniens de Ghaza, livrés à la guerre exterminatrice, à la famine et aux maladies.
Rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanes déclare, dans un post sur son compte X (anciennement Twitter) : «Le lendemain de la décision de la CIJ statuant qu’Israël commet plausiblement un génocide à Ghaza, certains Etats ont décidé de suspendre les financements de l’Unrwa, punissant collectivement des millions de Palestiniens à un moment des plus critiques, et violant ainsi très probablement les obligations qui leur incombent en vertu de la convention sur le génocide», et ajoute : «Cette décision revient donc à désobéir ouvertement à l’ordre de la CIJ.»
Pour elle, «la suspension du financement de l’agence la plus vitale à Ghaza, où la CIJ a constaté un risque plausible de génocide non seulement en raison des opérations militaires d’Israël, mais aussi de la situation humanitaire catastrophique qu’il a créée, ne fait qu’aggraver la détérioration des conditions de vie de la population palestinienne».
«Cette décision ainsi que le soutien continu apporté à Israël, notamment en matière d’assistance militaire, favorisent le génocide à Ghaza, sans rien faire pour l’empêcher», souligne-telle.
Albanes rappelle que la Cour a ordonné de «permettre une aide humanitaire efficace pour les habitants de Ghaza», de ce fait, poursuit-elle, «suspendre le financement de l’Unrwa revient donc à désobéir ouvertement à l’ordre de la CIJ». La rapporteuse onusienne va plus loin, en mettant en garde les pays concernés.
«C’est une décision qui entraînera des responsabilités légales, ou bien qui verra la fin du système international de justice», écrit-elle avant de lancer : «Les gouvernements occidentaux doivent immédiatement cesser leur soutien génocidaire à Israël.»
De nombreuses organisation de défense des droits de l’homme lui emboîtent le pas et dénoncent la décision de suspension de l’aide financière à l’Unrwa. Pour la FIDH (Fédération internationale pour les droits de l’homme), «la suspension des fonds à l’Unrwa équivaut potentiellement à condamner des millions de réfugiés palestiniens à mourir de faim et de maladie. Il s’agit là d’une complicité manifeste dans le génocide en cours, et d’une violation totalement déconcertante de la décision de la CIJ».
«Réponse humanitaire»
Commissaire général de l’Unrwa, Philippe Lazzarini rappelle, lui aussi, les décisions de la CIJ qui, selon lui, a ordonné «des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont il y a un besoin urgent pour remédier aux conditions de vie défavorables auxquelles sont confrontés les Palestiniens dans la bande de Ghaza (…)
Il serait extrêmement irresponsable de sanctionner une agence et une communauté entière qu’elle sert en raison d’allégations d’actes criminels contre certaines personnes, en particulier en période de guerre, de déplacements et de crises politiques dans la région».
Il exhorte les pays qui ont suspendu leur financement à «reconsidérer» leur décision avant que l’Unrwa ne soit contrainte de «suspendre sa réponse humanitaire».
Toute cette campagne n’a pas pour autant fait basculer la situation. Bien au contraire, la liste des pays qui ont suspendu leur aide financière à l’Unrwa est passée de 8 à 16 Etats.
Il a fallu que le Nicaragua et le Venezuela, ainsi que l’Afrique du Sud, annoncent leurs décisions de poursuivre les Etats qui soutiennent la guerre financièrement, militairement devant la CIJ, pour que la situation bascule.
Le 1er mars, le porte-parole du secrétaire général de l’Onu affirmait que la Commission européenne avait décidé de débloquer de manière imminente 50 millions d’euros, soit près de 54 millions de dollars, en faveur de l’Unrwa, qui fait partie de l’aide de 82 millions d’euros de la Commission européenne qui sera mise en œuvre cette année par l’Unrwa.
Le 9 mars, le Canada a affirmé avoir repris son aide à l’Unrwa en évoquant la situation humanitaire à Ghaza et les vives critiques dont il a fait l’objet en raison du gel du soutien financier. Il y a quelques jours, le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, exhortait la communauté internationale à soutenir l’agence onusienne en expliquant «qu’il s’agit du mauvais moment pour suspendre le financement de l’Unrwa (…)
Si ces décisions ne sont pas annulées, nous courons un risque sérieux d’aggraver la crise humanitaire à Ghaza».
Le 15 mars, l’Australie a annoncé le rétablissement du financement de l’agence onusienne de 6 millions de dollars australiens, près de 3,9 millions de dollars en précisant que son gouvernement «fournirait un soutien supplémentaire à Ghaza».
Cette décision est expliquée par le fait que «le meilleur avis actuel disponible des agences et des avocats du gouvernement australien est que l’Unrwa n’est pas une organisation terroriste et que les garanties supplémentaires existantes protègent suffisamment le financement des contribuables australiens».
L’Australie s’est engagée à verser 2,6 millions de dollars à l’Unicef, afin qu’il fournisse des services d’urgence, ainsi que 1,3 million de dollars, à un nouveau mécanisme des Nations unies visant à faciliter l’accès de l’aide humanitaire à Ghaza.
Le lendemain, la Suède, qui avait annoncé le 9 mars son intention de rétablir les financements de l’Unrwa avec un montant de 3 millions de dollars, a réitéré le 16 du mois en cours, son engagement, en affirmant que cette somme fait partie des 20 millions de dollars prévus. «Nous avons alloué environ 38,7 millions de dollars à l’Unrwa, pour l’année 2024.
Une première tranche d’environ 19,4 millions de dollars a été approuvée» précise le gouvernement suédois. Ce revirement de la situation, intervient alors que Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires étrangères françaises, qui dirige le groupe d’experts indépendants des Nations unies, chargé d’auditer les actions de l’Unrwa, se trouvait à Tel-Aviv, pour obtenir les preuves sur la présumée participation des 12 agents de l’agence onusienne à l’attaque du 7 octobre dernier.
De nombreux autres pays, la France, le Japon, l’Italie, le Royaume-Uni, la Finlande, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, l’Autriche, la Nouvelle-Zélande, l’Islande, la Roumanie, l’Estonie, et surtout les Etats-Unis, des alliés indéfectibles d’Israël, n’ont pas encore changé leur décision.