Selon le secrétaire général de la Chambre régionale des notaires du Centre, 68 déclarations de soupçon liées au blanchiment d’argent ont été faites par les notaires en 2023. Ce nombre n’est-il pas en décalage par rapport aux nombreuses affaires de blanchiment d’argent déférées devant la justice durant l’année évoquée et celles qui l’ont précédée ?
Le blanchiment d’argent est un phénomène transnational, qui nécessite la mise en place de mécanismes d’informations et de renseignements adéquats dans chaque pays, d’une part, et entre d’autres pays, d’autre part, en vue d’une coordination efficace de lutte contre ce fléau. 68 déclarations de soupçon faites par les notaires en 2023, selon le secrétaire général de la Chambre régional des notaires du Centre, peut sembler faible par rapport au nombre d’affaires de blanchiment d’argent jugées par la justice, mais il est quand même en hausse par rapport aux précédentes années. Ce nombre peut s’expliquer par plusieurs facteurs : les notaires ne détectent pas toutes les opérations suspectes, certaines affaires peuvent être traitées sans implication notariale, ou il peut y avoir un décalage temporel entre les déclarations et les jugements. Il y a lieu de dire que les déclarations de soupçon ne sont pas uniquement réservées aux notaires. Elles concernent aussi d’autres assujettis soumis, par la loi, à l’obligation de cette déclaration. Ainsi, celles effectuées par les notaires en 2023 ont été faites en réponse aux développements législatifs, survenus cette année-là. Avec la promulgation de la loi 23/01 en date du 26 février 2005, modifiant et complétant la loi 05/01 en date du 6 février 2005, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et les décrets exécutifs publiés la même année en matière de blanchiment d’argent de financement du terrorisme (LBC/FT) ainsi que instructions émises par l’autorité spécialisée, à savoir la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF).
L’Algérie a quand même été épinglée cette année par le Groupe d’action financière (GAFI), qui l’a classée dans la zone grise des Etats qui ne respectent pas les règles en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Est-ce en raison des défaillances en matière d’application de la loi relative à la lutte contre le blanchiment ou du manque de formation, d’expertise ou de moyen ?
En octobre 2024, l’Algérie s’est engagée politiquement à haut niveau à travailler avec le GAFI pour renforcer l’efficacité de son régime de LBC/FT. Cet épinglement n’est pas en raison des défaillances en matière d’application de la loi relative à la lutte contre le blanchiment. C’est plutôt pour défaut d’applications pratiques et des textes réglementaires. En plus de contrôler et d’unifier les concepts associés en matière de LBC/FT sachant que la loi 05/01 citée supra depuis sa délivrance a connu plusieurs modifications. Afin de se conformer aux recommandations du GAFI et, comme indiqué dans la stratégie nationale d’évaluation des risques LBC/FT/FP, il y a lieu de signaler qu’une feuille de route sectorielle de la Chambre nationale des notaires (CNNE), en qualité d’autorité de supervision et contrôle, a été tracée par le Comité national d’évaluation des risques en matière LBC/FT/FP en cours d’exécution avec des délais bien arrêtés, notamment en ce qui concerne l’exécution des actions prioritaires menées de cette feuille de route. Dans le cadre de l’accompagnement du notaire par la CNNE, des actions, prévues par cette feuille de route, ont été menées. Il s’agit d’une initiative prise et effectuée au mois de février 2025, en collaboration avec le ministère de la Justice, à travers la formation des inspecteurs sur place et sur pièces, chargés de diriger des enquêtes pour les notaires afin d’évaluer l’étendue de la réponse à l’approche basée sur les risques, conformément aux recommandations du GAFI. Toujours dans le cadre de l’accompagnement, un règlement, des lignes directrices, un manuel destiné à l’ensemble des notaires et un guide pratique à l’intention des inspecteurs sur place et sur pièces seront publiés à cet égard, et ce, en coordination avec les autorités spécialisées et les services concernés.
Comment un notaire peut-il déceler des opérations de blanchiment s’il n’est pas connecté aux réseaux financiers, fonciers et judiciaires ?
Afin de faciliter le travail du notaire en tant que partenaire contributeur en matière LBC/FT, le ministère de la Justice a accompagné la Chambre nationale des notaires en février 2025 pour tenir une série de rencontres et réunions avec les différents secteurs et acteurs concernés, et ce, dans le cadre de l’échange de l’information et l’accès aux données qui facilitent le travail du notaire en matière LBC/FT, en particulier les ministères de l’Intérieur, des Finances (Direction générale du domaine national) et du Commerce, la Banque d’Algérie, la CTRF, la Direction générale de la modernisation de la justice et le Haut-Commissariat à la numérisation.
Il est de notoriété que les notaires constituent le maillon le plus important dans le blanchiment d’argent et souvent ils se retrouvent au banc des accusés. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Effectivement ! Et ce, en raison de leur rôle dans les transactions immobilières et financières. Généralement, c’est la négligence qui fait que le notaire se retrouve au banc des accusés. Cela souligne la nécessité d’une formation et d’un contrôle plus stricte. Il faut aussi renforcer la formation des acteurs concernés à travers des sessions spécialisées, dispensées par des experts nationaux et étrangers. La formation est un volet d’une importance primordiale. Il y a aussi la nécessité de la création d’un pôle de magistrats spécialisés dans ce domaine, ainsi que le durcissement des sanctions contre les auteurs de blanchiment.
Selon vous, comment lutter contre la corruption au sein de votre corporation ?
Pour lutter contre la corruption au sein de la corporation des notaires, il est essentiel de mettre en place des mécanismes de contrôle stricts, de promouvoir une culture de transparence et d’éthique, et de sanctionner sévèrement les comportements répréhensibles. La formation continue et la sensibilisation aux risques de corruption sont également cruciales.
Il y a quelque temps, il était question d’une charte d’éthique pour les notaires. Où en est le projet ?
La mise en place d’une charte d’éthique et de déontologie du métier de notaire est en cours au niveau de la Chambre nationale des notaires, qui travaille étroitement avec ses trois chambres régionales (Centre, Est, Ouest) pour faire adhérer le notaire aux valeurs et obligations morales inhérentes à ses missions et le responsabiliser davantage. Sachant que cette charte a été élaborée dans l’attente de la promulgation de nouvelles lois dans ce sens afin d’en contrôler la terminologie et les orientations de l’Etat.
Entretien réalisé par Salima Tlemçani