Conçu sur un viol et une spoliation originels, le projet sioniste d’un Etat israélien sur la terre palestinienne a été rattrapé régulièrement et logiquement par l’histoire, malgré l’impuissance éprouvée des institutions censées incarner le droit international.
Je le promets : je ne renoncerai pas.» C’est par ces mots que le secrétaire général de l’ONU a répondu indirectement aux pressions et blocages de la diplomatie israélienne et son allié américain concernant l’objectif d’un cessez-le-feu immédiat dans la Bande de Ghaza.
Invité du Forum de Doha, qui s’est tenu hier et avant-hier au Qatar, le Portugais Antonio Guterres a pris à témoin une assistance composée des ministres des Affaires étrangères d’Etats globalement acquis à la nécessité d’arrêter les massacres quotidiens qu’inflige Tel-Aviv aux populations palestiniennes, quelques jours à peine après avoir tenté sans succès la démarche extrême, dans la hiérarchie des procédures de l’ONU, d’invoquer l’article 99 de la Charte de l’Organisation internationale.
L’article attribue exceptionnellement le pouvoir au SG en exercice d’interpeller par écrit le président du Conseil de sécurité l’exhortant à tenir une session lorsqu’il juge qu’une situation est susceptible de «menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales». Ledit article, au centre d’un débat jamais vraiment clos sur les prérogatives politiques du fonctionnaire en chef de l’ONU, n’a été aussi «explicitement» invoqué qu’en 1960, retiennent les registres de l’organisation internationale.
C’est dire si l’entreprise d’Antonio Guterres a de quoi contrarier Netanyahu et son gouvernement dans leur acharnement à imposer le récit binaire d’une «démocratie» exerçant son droit incontestable à se «défendre» contre une «organisation terroriste».
Saisie au vol par les Emirats arabes unis, pays membre du Conseil, l’interpellation a certes fait se réunir l’institution vendredi dernier, recueillir le vote favorable de 13 membres permanents et non permanents, mais le veto US a de nouveau fait obstacle à sa transformation en résolution.
Même si l’initiative de Guterres n’a pas abouti à un appel onusien à un cessez-le-feu, elle aura au moins grandement indisposé la diplomatie américaine, laquelle se serait sans doute bien passée d’afficher cette énième hostilité à la protection et au secours des Palestiniens de Ghaza, à contre-courant de ses propres professions de foi et du consensus international.
Une position qui porte davantage de préjudice au pouvoir du Conseil de sécurité et aggrave son manque de crédibilité, s’est plu à accuser le SG de l’Onu à la tribune de Doha.
Guterres en bête noire
L’épisode se joint à une assez longue liste de vives controverses qui opposent les institutions de l’ONU à l’Etat hébreu depuis le début du conflit. Habitué aux faveurs de la diplomatie occidentale et à sa complicité, Tel-Aviv a, cette fois plus que toute autre, eu droit à une prompte coalition de soutiens inconditionnels.
Dès les lendemains directs de ce 7 octobre, qui a ébranlé le statu quo de l’occupation en terre palestinienne, les plus grands dirigeants européens se sont fait l’impératif devoir de pointer au bureau de Benyamin Netanyahu, dont le cabinet a été en l’occurrence littéralement submergé d’illustres demandes d’audience.
Joe Biden, quant à lui, va rester comme le seul président américain à s’être rendu au chevet de Tel-Aviv en période de guerre, alors que son ministre des Affaires étrangères, Anthony Blinken, s’est cru obligé d’aller plus loin que son mythique prédécesseur, Henry Kissinger, en déclarant partager l’affliction de ses hôtes en sa «qualité de juif».
Ce concert parfait de soutiens puissants, sur fond de postures timorées des appuis traditionnels de la cause palestinienne, signait un chèque à blanc aux plans israéliens de «riposte», et plus loin à leurs visées extrémistes d’enterrer une fois pour toute l’option de la «solution à deux Etats».
Sur le registre formel du droit international, Tel-Aviv a une nouvelle fois misé sur l’inefficacité objective des mécanismes de l’ONU, voire sur le manque de cran coutumier de ses dirigeants pour déployer sans trop de bruit son rouleau compresseur meurtrier sur l’enclave palestinienne.
Sur ce plan au demeurant, l’Etat hébreu est le détenteur du «casier judiciaire» le plus lourd concernant les atteintes au droit, et de nouvelles condamnations formelles ne feraient que s’ajouter à sa liste interminable de méfaits et de motifs de tension chronique avec l’organisation internationale. Les agences spécialisées font état de près de 140 déclarations et résolutions de l’Assemblée générale de l’organisation condamnant Israël, entre 2015 et 2022, sur le chapitre notamment de l’extension des colonies et de la répression des Palestiniens en Cisjordanie.
Un sinistre palmarès
Sur la même période, et à titre de comparaison, la même institution n’a produit que 68 résolutions concernant d’autres régions du monde. Au niveau du Conseil de sécurité, le parrain américain a fait preuve d’une grande régularité à servir de bouclier à toute résolution condamnant son protégé.
Les statistiques retiennent 43 veto US bloquant des projets de résolution défavorables à Tel-Aviv sur les 80 que la Maison-Blanche a dû brandir sur d’autres questions internationales depuis la création de l’ONU en 1945.
Conçu sur un viol et une spoliation originels, le projet sioniste d’un Etat israélien sur la terre palestinienne a ainsi été rattrapé régulièrement et logiquement par l’histoire, malgré l’impuissance éprouvée des institutions censées incarner le droit international.
Et il suffit que ces dernières tentent un tant soit peu de camper leur rôle d’instruments de médiation et de régulation prévues par leurs textes fondateurs, pour que l’Etat hébreu soit accablé et poussé, en réaction, à cette forme de délinquance diplomatique assumée.
Le constat est d’autant plus vrai aujourd’hui avec les assauts génocidaires que mène l’armée israélienne à Ghaza depuis plus de deux mois. Antonio Guterres est depuis des semaines la bête noire de Netanyahu et de son gouvernement, qui le considèrent désormais avec grand culot comme un «danger pour la paix mondiale».
Le premier clash remonte au tout début du conflit, lorsque le SG de l’ONU a souligné l’évidence que les attaques du Hamas le 7 octobre dernier ne provenaient pas de «nulle part» mais qu’elles étaient à lier au contexte d’une «occupation étouffante depuis 56 ans» (guerre de 1967, ndlr).
Le narratif selon lequel Tel-Aviv faisait face en l’occurrence à une attaque terroriste, et repris en chœur discipliné par les soutiens occidentaux, ne passait donc pas auprès de l’ONU.
Bien plus, l’ancien Premier ministre portugais enfoncera le clou en déclarant, dans le sillage des premiers bombardements aveugles sur l’enclave palestinienne, qu’«aucune partie à un conflit armé n’est au-dessus du droit humanitaire international». le SG de l’ONU, visiblement bouleversé par l’accélération mortifère des événements et désespéré par l’inaction de la communauté internationale, dira plus tard que la situation à Ghaza dépasse le caractère de la crise humanitaire pour se transformer en «crise de l’humanité», décrivant par ailleurs l’enclave comme un «cimetière pour les enfants». Autant de déclarations qui condamnent frontalement l’Etat hébreu qui, lui, crie à un alignement propalestinien.
Quand Israël menace les agents de l’ONU
Dès le 24 octobre, Gilad Erdan, le représentant de Tel-Aviv à l’ONU, demande la «démission immédiate» du SG de l’ONU, alors que le ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, le tance en pleine session de l’Assemblée générale de l’Organisation.
Le même jour où un hommage silencieux était rendu partout dans le monde par leurs collègues aux plus de 100 agents onusiens morts sous les bombardements à Ghaza, le même Eli Cohen choisit Genève pour émettre des doutes publics sur les capacités du diplomate portugais à présider aux destinées de l’ONU.
La personne d’Antonio Guterres n’est pas la seule cible de l’animosité israélienne. Les agences et fonds onusiens, par leur engagement humanitaire sur le terrain des opérations, s’attirent à leur tour les foudres de l’Etat hébreu. Accusés très tôt de délivrer de faux rapports sur le désastre humanitaire, voire de fermer les yeux sur l’utilisation de leurs infrastructures par les combattants du Hamas, Israël décrète qu’il est temps de «donner une leçon» à tout ce monde-là.
Les représentants de ces agences seront ainsi interdits de visas pour se rendre sur place, à l’image du chef de la branche humanitaire de l’ONU, Martin Griffiths, alors que le haut commissaire aux droits de l’homme, Volker Turk, verra sa demande d’audience auprès de Netanyahu simplement refusée, juste après avoir déclaré que les Ghazaouis sont «punis collectivement».
L’Unicef, l’OMS, le PAM (Programme alimentaire mondial)… sont autant d’organisations rattachées à l’ONU, témoins et acteurs humanitaires attitrés en vertu du droit international, qu’Israël, dans son aveuglement assassin, voudrait voir réduits à l’inaction et au silence.
130 agents de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) ont été tués par les bombardements israéliens à Ghaza depuis deux mois, le plus lourd bilan jamais enregistré par les personnels de l’Organisation internationale à travers l’histoire, pourtant fréquemment engagés dans des zones de conflit depuis près de 70 ans.
Le fait illustre on ne peut plus tragiquement l’impunité scandaleuse de l’Etat hébreu, mais aussi l’engagement d’une institution internationale, dont la marge de manœuvre politique est certes bridée par le diktat des puissants, mais arrive à entretenir, par le sacrifice de ses agents opérationnels, à entretenir la foi en un monde plus humain et plus juste.