Les occidentaux prônent la voie maritime pour acheminer les aides à Ghaza : Les organisations humanitaires sceptiques

10/03/2024 mis à jour: 00:15
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Photo : D. R.

L’ONU, qui tire de nouveau la sonnette d’alarme sur le caractère «inévitable» de la famine dans le contexte actuel, reste globalement sur ses positions : aucune autre voie que la voie terrestre ne sera capable d’assurer un acheminement correct des aides humanitaires.

Aucun malheur n’est décidément épargné aux Palestiniens de Ghaza. Avant-hier, le largage de colis alimentaires dans le périmètre d’un camp de réfugiés a entraîné la mort de cinq personnes et des blessures de divers degrés à dix autres, selon les autorités sanitaires de l’enclave. Des témoins sur place, repris par des agences de presse, racontent que les parachutes devant garantir un atterrissage en douceur des cargaisons n’ont pas fonctionné, transformant leurs charges en masses mortelles tombées du ciel.

Les armées américaine et jordanienne, toutes deux engagées dans les opérations de largage, aux côtés des forces aériennes françaises, belges et égyptiennes, ont affirmé n’avoir pas été à l’origine du grave incident.

Il faudra mettre ce énième drame sur la liste des travers de cette opération alambiquée de secours initiée en dernier recours par des Etats devant le fait accompli israélien de maintenir fermées les voies terrestres (dont Tel-Aviv a le contrôle exclusif) à toute forme d’acheminement d’aides, alors que près de deux millions de Palestiniens font face à l’aggravation au quotidien de la calamité de la faim, après avoir subi les traumatismes des bombardements et des déplacements forcés.

Le massacre du douar Nabulsi il y a une dizaines de jours, ayant fait pour rappel près de 120 morts parmi les milliers s’étant rués sur un camion chargé de sacs de farine, et les autres incidents mortels de même nature qui l’ont suivi, témoignent de la volonté assumée de Tel-Aviv d’enfoncer les survivants, chaque jour un peu plus, dans le cauchemar humanitaire.

Ils soulignent également l’incapacité de la puissance américaine et ses partenaires, arabes et occidentaux, à définir une réelle stratégie d’intervention pour alléger les souffrances des populations.

Or, le monde entier, notamment les instances onusiennes spécialisées et les ONG, estime aujourd’hui que la situation humanitaire continuera à dangereusement se détériorer sans la proclamation d’un cessez-le-feu sur le territoire et l’ouverture des voies terrestres pour laisser passer les secours.

Celles-ci restent hermétiquement fermées par les forces israéliennes depuis le déclenchement de son opération militaire contre la bande de Ghaza le 8 octobre dernier.

17 ans d’embargo, plus de 5 mois de siège…

Les quelques passages tolérés sous la pression internationale subissent un contrôle strict qui retarde l’avancée des convois à l’intérieur du territoire soumis aux bombardements intensifs, puis aux opérations terrestres.

La procédure impose un listing détaillé des contenus des cargaisons, dûment attesté par les ONG. Depuis octobre dernier, les mailles ont été resserrées de manière à laisser des centaines de camions en attente durant plusieurs jours du côté égyptien, avant de leur délivrer le sauf-conduit.

Selon l’Unrwa, agence onusienne dédiée aux réfugiés palestiniens, moins de 15 000 camions d’aides ont pu avoir accès à l’enclave depuis le début de la guerre il y a plus de 5 mois. Soit moins de 100 unités par jour, alors que la population en recevait plus de 600 quotidiennement avant le début des hostilités, malgré l’embargo imposé.

L’essentiel des convois a dû transiter par le passage frontalier de Rafah au sud, suivant des épisodes d’ouverture qui ont tout le temps dépendu des feux verts de Tel-Aviv. Selon un bilan des instances onusiennes, moins de 300 000 tonnes de marchandises ont pu être acheminées, dont les deux tiers constituent des denrées alimentaires de base.

Des équipements médicaux, des palliatifs énergétiques (panneaux solaires, générateurs d’électricité…) sont systématiquement refoulés, sous prétexte qu’ils sont susceptibles d’être recyclés en armements par le Hamas, selon les coordinateurs logistiques de certaines ONG.

La machine de guerre israélienne, déchaînée comme jamais depuis plus de cinq mois contre le territoire, a par ailleurs entraîné la destruction du tissu économique rudimentaire constitué depuis plus de 15 ans et qui permettait à la population d’amortir les effets du blocus. Plus de fabriques, de minoteries, de boulangeries…

Des témoignages de Ghazaouis font même état de la dévastation méthodique de terres agricoles ceinturant la ville de Ghaza et quelques bourgades du Sud, dans une volonté manifeste, côté israélien, d’anéantir les moyens de résilience des populations. 
«la nourriture, l’eau… Juste de l’autre côté  de la frontière»

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition américaine de doter la façade maritime de Ghaza d’un appontement flottant pouvant accueillir des «aides massives» acheminées par voie maritime.

Au même moment, l’UE se rend compte qu’il y a une île qui s’appelle Chypre, membre à part entière de l’Union distant de quelques 380 km de l’enclave palestinienne, qui peut assez aisément servir de port de départ pour l’assistance humanitaire. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, conduit en personne l’opération.

Elle annonce que le couloir humanitaire maritime pourrait être ouvert dès aujourd’hui. Une ONG américaine, la World Central Kitchen a annoncé hier, selon l’AFP, qu’elle s’apprête à charger de l’aide à partir du port de Larnaca, deuxième port le plus important de Chypre, à destination de Ghaza.

On ne sait pas encore comment seront déchargées les aides promises et comment elles seront acheminées vers les sinistrés sur un territoire dévasté et privé de toute autorité pouvant assurer un minimum d’ordre public, comme c’est le cas notamment au nord de l’enclave.

Pour sa part, le Pentagone a donné plus de détails sur la «jetée temporaire» annoncée par Biden jeudi dernier devant les membres du Congrès. D’abord que sa mise en place prendrait deux mois de travaux qui nécessiteraient la mobilisation de près de 1000 soldats du génie militaire.

Un ouvrage qui ne sera donc opérationnel que vers le mois de mai prochain. «Trop éloigné», déplorent des experts onusiens, compte tenu de l’urgence humanitaire à laquelle est confrontée la population palestinienne, certains d’entre eux s’emportent même contre le «cynisme» de la démarche alors que les voyants étaient au rouge depuis des mois et que la menace réelle de la famine a été portée à la connaissance de la communauté internationale bien avant que des enfants et des nourrissons ne décèdent des suites directes de la malnutrition.

Avril Benoit, directrice générale de Médecins sans frontières (RSF) aux USA, ne mâche pas du tout ses mots. Pour elle, la proposition américaine est «une grossière diversion qui occulte le vrai problème : la campagne militaire aveugle et disproportionnée d’Israël et son blocus punitif.

La nourriture, l’eau et les produits médicaux dont les habitants de Ghaza ont si désespérément besoin se trouvent juste de l’autre côté de la frontière (…). Les Etats-Unis devraient insister sur un accès humanitaire immédiat en utilisant les routes et les points d’entrée déjà existants».

L’ONU, qui tire de nouveau l’alarme sur le caractère «inévitable» de la famine dans le contexte actuel, reste globalement sur ses positions : aucune autre voie que la terrestre ne sera capable d’assurer un acheminement correct des aides humanitaires.

Aussi, l’appel est une nouvelle fois lancé pour décréter un cessez-le-feu immédiat, seul option pouvant garantir une détente sur les frontières et la levée des contraintes sécuritaires sur l’action des institutions et des ONG sur le terrain.

L’impasse à laquelle a abouti le dernier round cairote des négociations entre le gouvernement israélien et le Hamas repousse une nouvelle fois la perspective, alors que les espoirs s’étaient accrochés à l’effet Ramadhan pour concrétiser un accord. 

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