Le Liban a enfin un président après deux ans de crise : Le vaste chantier de la reconstruction qui attend Joseph Aoun

11/01/2025 mis à jour: 12:27
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Photo : D. R.

Après plus de deux ans de vacance de l’institution présidentielle, le Parlement libanais est parvenu enfin à élire jeudi un président pour le Liban. L’heureux élu n’est autre que le patron de l’armée, le général Joseph Aoun. Ce dernier hérite d’un pays à genoux, lourdement éprouvé par la guerre dévastatrice déclenchée par Israël contre le Hezbollah, et qui a conduit à l’assassinat de Hassan Nasrallah.

Le Liban tient enfin son président. Depuis la fin du mandat du général Michel Aoun en octobre 2022, la classe politique libanaise n’est pas parvenue à lui désigner un successeur. Jeudi, le Parlement libanais est arrivé à mettre fin à cette longue crise politique en désignant le patron de l’armée, Joseph Aoun, à la tête de l’Etat. Celui qui porte le même nom que son auguste prédécesseur, qui avait dirigé le pays de 2016 à 2022, sans avoir un quelconque lien de parenté avec lui, a été élu avec 98 voix sur 128 au second tour.

Au premier tour, qui s’est déroulé jeudi matin, il n’avait recueilli que 71 voix, «les 30 députés du Hezbollah et de son allié, le mouvement chiite Amal, ayant voté blanc». «Mais une rencontre au Parlement entre des représentants des deux formations et le commandant en chef de l’armée au Parlement, entre les deux tours, a changé la donne, lui assurant la majorité nécessaire pour l’emporter», explique l’AFP.

Comme le veut la tradition au Liban, le président de la République est toujours choisi parmi les chrétiens maronites, et Joseph Aoun est issu de cette communauté. Il avait comme principal concurrent Sleiman Frangié. «Les détracteurs du Hezbollah l’accusent d’avoir bloqué l’élection en voulant imposer son candidat, Sleiman Frangié. Or, ce dernier a annoncé mercredi son retrait de la course en faveur du commandant de l’armée», précise l’AFP.

«Notre force est la résilience»

Après son élection qui a été fortement applaudie, signe d’un grand soulagement après ce dénouement miraculeux à une crise qui ne faisait que s’allonger, Joseph Aoun a prêté serment avant de prononcer un discours solennel dans lequel il a annoncé le début d’une «ère nouvelle» pour le Liban. «Les députés m’ont fait l’honneur de m’élire président de la République libanaise, et c’est la plus grande distinction qui puisse m’être faite et en même temps la plus grande des responsabilités», a lancé le nouveau dirigeant de l’Etat libanais.

«Je suis devenu le premier Président après le premier centenaire de l’établissement de l’Etat du Grand Liban», fait-il remarquer, avant de souligner que son investiture survient «au milieu d’un tremblement de terre au Moyen-Orient, où des alliances se sont fissurées, des régimes sont tombés et des frontières sont susceptibles de changer».

Joseph Aoun est parfaitement conscient des grands défis qui l’attendent, lui qui prend ses fonctions, comme il le dit, au milieu d’un véritable séisme, après ce que vient de subir son pays et l’ensemble de la région du fait du déchaînement belliqueux de l’entité sioniste. Son élection survient également un mois, jour pour jour, après la chute de Bachar Al Assad qui, à part le Hezbollah, n’a pas beaucoup d’amis au Liban. «Joseph Aoun, une élection sur les ruines de ‘‘l’axe de la résistance’’» titre un éditorialiste de L’Orient-Le Jour.

Le chantier le plus urgent auquel le nouveau locataire du Palais de Baabda doit s’atteler est sans doute celui de la reconstruction du pays qui, pendant plus de deux mois, a subi un véritable déluge de feu de la part de l’armée israélienne, laquelle bombardait sans merci la capitale, Beyrouth, ainsi que plusieurs villes libanaises, sans parler du Sud où des centaines de villages ont été ravagés par les bombardements sionistes, et pour certains, effacés de la carte.

«Mais le Liban est resté le même, malgré les guerres, les bombardements, les interventions, les agressions, les ambitions et la mauvaise gestion de nos crises, parce que le Liban est aussi vieux que l’histoire», affirme Joseph Aoun avec un lyrisme militant empreint de volontarisme.

Et de poursuivre : «Notre qualité est le courage, notre force est la résilience. Nous faisons des rêves et nous les vivons, et quelles que soient nos différences, quand les temps sont durs, nous nous étreignons les uns les autres parce que si l’un d’entre nous se brise, nous nous brisons tous.»

«Le monopole des armes»

Joseph Aoun a fait d’emblée un certain nombre d’annonces significatives qui valent feuille de route. «Aujourd’hui, une nouvelle ère de l’histoire du Liban commence.» «Si nous voulons construire une patrie, nous devons tous être sous le toit de la loi», a-t-il insisté. «Pas de mafias ou de points chauds en matière de sécurité, pas de contrebande, de blanchiment d’argent ou de trafic de drogue, pas d’ingérence dans le système judiciaire, pas d’ingérence dans les postes de police, pas de protection ou de favoritisme, et pas d’immunité pour un criminel, un corrompu ou un auteur d’infraction. La justice est l’élément décisif et la seule immunité pour chaque citoyen, et c’est ma promesse !» a-t-il martelé.

Parmi les messages-clés délivrés par Joseph Aoun, son engagement à faire en sorte que l’Etat libanais reprenne le «monopole des armes». Le message est adressé spécialement au Hezbollah, qui dispose d’un véritable arsenal de guerre, et dont la puissance militaire a longtemps été tolérée au nom de la résistance anti-israélienne. «Je m’engage à exercer mon rôle de commandant en chef des forces armées et de président du Conseil suprême de la défense pour affirmer le droit de l’Etat à avoir le monopole des armes», a-t-il assuré.

«Un Etat qui investit dans son armée pour contrôler les frontières, (…) préserver l’intégrité territoriale du Liban (…) et empêcher les attaques israéliennes contre le territoire libanais», dit-il. Sur ce dernier point, la tâche s’annonce difficile devant l’agressivité sioniste et le fait qu’Israël semble décidé à maintenir un déploiement critique de ses forces au-delà du fleuve Litani.

«J’appelle à la discussion d’une politique de défense intégrée dans le cadre d’une stratégie de sécurité nationale sur les plans diplomatique, économique et militaire pour permettre à l’Etat libanais, je dis bien l’Etat libanais, d’éliminer l’occupation israélienne et de repousser son agression de tous les territoires libanais», préconise Joseph Aoun.

«Je m’engage, ajoute-t-il, à reconstruire ce qui a été détruit par l’agression israélienne dans le Sud, la Bekaa, les banlieues et toutes les régions du Liban.» Joseph Aoun a évoqué aussi les réfugiés palestiniens au Liban, en défendant l’idée de ne pas leur accorder la nationalité «afin de préserver leur droit au retour», a-t-il précisé, «et d’affirmer la solution des deux Etats approuvée au sommet de Beyrouth conformément à l’initiative de paix arabe».

«C’est le bon dirigeant pour cette période»

L’intronisation du nouveau chef de l’Etat libanais a été accueillie avec ferveur, à la fois à l’intérieur du Liban et sur la scène internationale. Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, réunis jeudi à huis clos, «ont salué l’élection de Joseph Aoun en tant que nouveau président du Liban, mettant fin à plus de deux ans de vacance à ce poste important», a déclaré le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies, l’ambassadeur Amar Bendjama, qui a lu la déclaration des pays membres à l’issue de la séance, rapporte l’APS.

Les membres du Conseil de sécurité «ont souligné l’importance de l’élection d’un président du Liban pour garantir des institutions étatiques pleinement fonctionnelles afin de relever les défis politiques, économiques et sécuritaires urgents (qui se dressent face au) pays», ajoute la déclaration. Ils ont également «réaffirmé leur ferme soutien à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance politique du Liban», a conclu Amar Bendjama. Rappelons que c’est l’Algérie qui préside le Conseil de sécurité pour le mois de janvier.

Les Etats-Unis, qui ont soutenu la candidature de Joseph Aoun aux côtés de la France, de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Egypte, ne pouvaient que se féliciter du verdict du scrutin. Joe Biden a immédiatement appelé le nouveau président libanais. Joseph Aoun «est le bon dirigeant pour cette période», estime le leader US. «Nous avons enfin un Président, c’est un homme de premier ordre», a-t-il souligné. Biden «s’est engagé à poursuivre le soutien des Etats-Unis aux forces de sécurité libanaises, ainsi qu’au redressement et à la reconstruction du Liban», a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué.

La Russie s’est réjouie elle aussi de la fin de cette crise institutionnelle. «Cela ouvre des perspectives de renforcement de la stabilité politique interne au Liban et de redressement de la situation socioéconomique difficile du pays», a commenté le ministère russe des Affaires étrangères via un communiqué. «Il ne fait aucun doute que le renforcement de la stabilité et de l’unité des Libanais vaincra la cupidité de l’ennemi sioniste contre la terre du Liban», a réagi pour sa part le président iranien, M. Pezeshkian, dans un message adressé à son homologue libanais fraîchement élu.

Le président Tebboune félicite Aoun pour son élection

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a adressé, jeudi, un message de félicitations à Joseph Aoun, à l’occasion de son élection à la présidence de la République libanaise, pays frère, dans lequel il l’a assuré de sa pleine disposition à œuvrer de concert à la promotion des relations historiques entre les deux pays. «Monsieur le Président et cher frère, à l’occasion de votre élection à la présidence de la République libanaise, pays frère, j’ai le plaisir de vous adresser, au nom du peuple et du gouvernement algériens et en mon nom personnel, mes chaleureuses félicitations et mes meilleurs vœux de succès dans l’exercice de vos fonctions», lit-on dans le message de félicitations.

«Votre élection par les représentants du peuple libanais en ces temps critiques et dans les circonstances difficiles que traverse votre pays frère et les pays de la région, après une vacance de deux ans, témoigne de la confiance placée en votre personne pour assumer ces nobles responsabilités avec sagesse et compétence», a ajouté le président de la République.

«Nous nourrissons l’espoir de voir cette étape contribuer à une reprise au Liban, en atténuant les souffrances endurées par son peuple valeureux et en réalisant la sécurité, la stabilité, le développement et à la prospérité auxquels il aspire», a poursuivi M. Tebboune.

«A cette occasion, je tiens à saluer les relations historiques entre nos deux pays, fondées sur la coopération et la solidarité, et à réaffirmer notre pleine disposition à œuvrer de concert à leur promotion», a-t-il écrit dans son message. «Tout en vous réitérant mes chaleureuses félicitations et mes salutations fraternelles, je vous prie, Monsieur le Président et cher frère, d’agréer l’expression de ma considération et de mon amitié», a conclu le président de la République. (APS)

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