La culture de l’oubli

12/10/2023 mis à jour: 06:56
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Qualifiée de cinquième roue de la charrette, la culture en Algérie vit encore une situation peu enviable, et ce sont les femmes et les hommes ayant servi cette culture qui en font les frais. Leur tort est d’avoir sacrifié des années de leur vie pour l’art de leur pays. 

Qu’ils soient auteurs, poètes, chanteurs, comédiens, hommes et femmes de théâtre, de cinéma ou dans le milieu des beaux-arts, ces artistes sont encore les victimes de la culture de l’oubli. Une tendance qui prend malheureusement les allures d’une tradition ancrée dans notre société. 
 

Ce n’est pas en leur consacrant une journée par année, le 8 juin, que le sort de nos artistes deviendra meilleur. Car, il est vraiment regrettable de voir des hommes et des femmes souffrir en silence de l’ingratitude et de l’amnésie. 
Ceci au moment où leurs noms et biographies ne figurent même pas dans les archives de l’ONDA,  eux qui étaient les vedettes sur les planches et les écrans du cinéma et de la télévision à une certaine époque, tout en faisant la fierté de leur pays dans les festivals internationaux.

 Il n’est point étrange de voir que c’est grâce à des articles de presse et des hommages que plusieurs artistes, vivants ou partis vers un monde meilleur, ont été tirés des fonds de l’anonymat. D’autres sont restés dans l’ombre, vivant dans la précarité, n’ayant pas de quoi se payer des soins, ou une intervention chirurgicale coûteuse. Il est inutile de citer les exemples d’artistes de renom qui ont refusé de frapper sur les portes, par dignité, alors que d’autres n’avaient même pas un logement. Ils se sont murés dans un silence qui tue, ressentant une dure marginalisation, pour la simple raison qu’on leur fait plus appel pour jouer un rôle au théâtre ou au cinéma. 
 

C’est triste de le dire, mais la réalité est bien là. Une réalité qui s’est révélée lors d’une récente rencontre en marge du Festival national du théâtre féminin d’Annaba, à l’occasion d’un hommage rendu à Farida Saboundji, une grande dame qui n’est plus à présenter, et Yamina Ghassoul, l’une des pionnières du 4e art, ayant fait une longue carrière au Théâtre régional d’Oran. 
 

Deux comédiennes, parmi tant d’autres, dont l’histoire et le parcours n’intéressent qu’après leur mort, et encore faut-il trouver les documents. Alors que dire de ceux qu’on a oubliés depuis des années, à l’exemple des artistes de la troupe du FLN dont les archives se trouvent toujours à l’étranger, et ne sont pas ainsi accessibles pour les chercheurs. Ce qui confirme encore que la culture des hommages «festifs» prédomine encore chez nous, en l’absence d’un vrai travail de mémoire qui incombe aussi bien aux spécialistes qu’aux institutions de l’Etat. 

Finalement, que demandent les artistes, si ce n’est d’être mieux considérés et avoir accès à leurs droits les plus élémentaires. Eux qui sont encore dans l’attente d’un statut qui leur garantit leur dignité, assure leur droit à l’assurance, à la retraite et protège leurs œuvres contre le piratage, mais aussi leur permet de travailler librement et de produire pour leur propre compte dans le respect des lois. Un statut qui tarde encore à voir le jour, après des années de promesses et de tergiversations.

 Cela fait déjà plus d’un an que le projet de loi sur le statut de l’artiste, annoncé pour 2023, se fait attendre. Les consultations, qui se sont poursuivies durant des mois, trainent toujours et les artistes s’impatientent au point de perdre confiance. Pourquoi faut-il tout ce temps pour élaborer un projet de loi ? La question demeure toujours posée.

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