Une première dans les annales du Parlement algérien. Le président du Conseil de la nation, Salah Goudjil, et le Premier ministre, Nadir Larbaoui, ont saisi officiellement samedi la Cour constitutionnelle pour un avis sur l’inconstitutionnalité de quatre amendements du projet de loi de finance (PLF) pour l’exercice 2025 adopté, mercredi dernier, par l’Assemblée populaire nationale (APN) et avant-hier par les membres du Conseil de la nation.
L’amendement par les députés des articles 23, 29, 33 et 55, qui portent sur la révision à la baisse de certaines taxes introduites dans la mouture initiale du projet, est considéré problématique et non conforme à la Constitution. La première disposition oblige les contribuables soumis au régime de l’impôt forfaitaire unique (IFU) à communiquer aux services des impôts, à la fin de l’exercice, le résultat net généré correspondant au chiffre d’affaires déclaré.
L’amendement de l’article 29, lui, a maintenu le minimum annuel de l’IFU à 10 000 DA, rejetant ainsi la proposition de l’Exécutif qui visait à l’augmenter à 30 000 DA. Alors que l’amendement de l’article 33 a annulé «l’aggravation de la sanction de 5000 à 100.000 DA contre les notaires en cas de non-enregistrement d’actes».
Les députés ont opté pour une amende de 5000 DA. Quant à l’amendement de l’article 55, il concerne une mesure qui a «pour objet de relever le tarif de la vignette automobile applicable aux véhicules de tourisme et véhicules aménagés en utilitaires, d’une puissance de 10 CV, afin de subvenir à l’entretien des infrastructures routières».
Un tarif porté, par exemple, de 10 000 DA pour les véhicules de moins de trois ans à 25 000 DA. Les députés n’ont pas annulé ce nouveau tarif, mais ont porté la puissance des véhicules concernés de 10 à 15 CV. Dans le communiqué des services du Premier ministre et du Sénat, il est précisé que les dispositions des articles 23, 29, 33 et 55 du PLF ne sont pas conformes avec l’article 147 de la Constitution.
Vers le rétablissement des propositions du gouvernement
Celui-ci stipule que «toute proposition de loi ou amendement présenté par les membres du Parlement ayant pour objet ou pour effet de diminuer les ressources publiques ou d’augmenter les dépenses publiques, sauf si elle est accompagnée de mesures visant à augmenter les recettes de l’Etat ou à faire des économies, au moins, correspondantes sur d’autres postes des dépenses publiques, est irrecevable». Contrairement à l’année dernière, le Conseil de la nation n’a pas activé les mécanismes de réserves sur ces articles, mais a plutôt saisi directement la Cour constitutionnelle.
Pour certains, cette démarche trouve son origine dans le fait qu’il ne s’agit pas d’un «différend sur un article entre les membres des deux chambres du Parlement, mais de la constitutionnalité des amendements introduits par les députés à certaines mesures contenues dans le PLF».
Pour d’autres, la convocation d’une commission paritaire «prendra beaucoup de temps alors qu’il s’agit là d’un projet important et même capital que le chef de l’Etat doit signer avant la fin de l’année». Moussa Boudhane, spécialiste en droit constitutionnel, tente de clarifier ce procédé. Il confirme d’abord que cette procédure de saisine de la Cour constitutionnelle est une première dans l’histoire du Parlement algérien. «D’habitude, en cas de conflit entre les deux Chambres, on installe une commission paritaire. Elle est convoquée par le Premier ministre pour trancher le conflit.
Mais la procédure est lente», a-t-il précisé. M. Boudhane ne comprend pas pourquoi cette fois-ci le Premier ministre et le président du Sénat ont eu recours directement à la saisine de la Cour constitutionnelle. «Peut-être, le temps imparti pour l’examen de ce texte au niveau des deux Chambres qui est de 75 jours tire à sa fin, puisque l’APN a consommé 45 jours et le Conseil de la nation en a consommé 20 jours.
Il reste 10 jours et c’est insuffisant pour activer le mécanisme de la commission paritaire. De plus, nous avons des réserves sur la commission paritaire et la procédure de sa convocation par le Premier ministre ou le chef du gouvernement. Car il y a séparation des pouvoirs», dit-il. Le recours à la saisine de la Cour par le président du Sénat s’explique par le fait, d’après Boudhane, que les articles en question sont en violation de la Constitution.
«Maintenant, nous attendons que la Cour tranche. Dans le cas où elle déclare l’inconstitutionnalité de ces articles, on revient aux dispositions proposées par le gouvernement dans le projet initial.» Il y a lieu de rappeler à ce sujet l’énoncé de l’article 194 qui stipule que «la Cour constitutionnelle délibère à huis clos ; sa décision est rendue dans les 30 jours qui suivent la date de sa saisine. En cas d’urgence, et à la demande du président de la République, ce délai est ramené à 10 jours».
Aussi, la Cour constitutionnelle est-elle saisie par le président de la République, le président du Conseil de la nation, le président de l’APN ou par le Premier ministre ou le chef du gouvernement, selon le cas. Elle peut être également saisie par 40 députés ou 25 membres du Conseil de la nation, et ce, au titre de l’article 193. Durant l’année précédente, rappelons-le, le mécanisme lié à la convocation d’une commission paritaire a été enclenché à trois reprises.
La première fois au mois de juin, au sujet de l’article 22 du code de l’information qui concerne les accréditations des journalistes exerçant en Algérie pour des médias étrangers. La commission a été convoquée, une deuxième fois, au mois d’octobre de la même année pour traiter un litige concernant l’article 2 de la loi sur la protection et la préservation des terres relevant du domaine de l’Etat. Elle a été également sollicitée au sujet de l’article 27 du projet de loi relatif à la forêt et aux richesses forestières.