«Le moment est venu de tourner la page», a affirmé Retailleau à l’Express, réitérant néanmoins son souhait de revoir les accords franco-algériens de 1968, qu’il estime «datés et déséquilibrés».
Le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, met de l’eau (beaucoup d’eau) dans son vin. Dans un entretien accordé à l’Express, publié le mardi 21 janvier, il se départit ostentatoirement de sa posture guerrière qu’il a adoptée ces derniers temps concernant la nouvelle tournure amorcée dans les relations algéro-françaises.
Des relations assez tendues et fortement abîmées depuis la reconnaissance, en juillet dernier, de la France du plan marocain pour le Sahara occidental. «Le moment est venu de tourner la page», a affirmé Retailleau à l’Express, réitérant néanmoins son souhait de revoir les accords franco-algériens de 1968, qu’il juge «datés et déséquilibrés». Il estime, selon la même source, «qu’il nous faut désormais normaliser notre relation diplomatique avec l’Algérie».
Le magazine français a souligné que cet entretien a été largement consacré aux relations tumultueuses entre Paris et Alger, qui se sont «envenimées» récemment lorsque l’Algérie «a refusé l’entrée sur son territoire d’un influenceur algérien expulsé de France».
Retailleau a également appelé à «dépassionner» les échanges avec l’Algérie. Il faut «faire en sorte qu’on entre enfin dans une relation d’égal à égal, sans arrière-pensée (…)», a-t-il ajouté. Toujours sur les colonnes de l’Express, le ministre français a soulevé la question coloniale. «Nous devons retrouver un regard équilibré sur cette période, a-t-il jugé. «La colonisation, c’est bien sûr des pages sombres qu’il faut dénoncer, et nous l’avons fait.
Il y a eu aussi, je le dis, des apports et des liens qui se sont créés.» Probablement recadré par ses supérieurs ainsi que par ses collègues du Quai d’Orsay, celui qui disait ne rien vouloir laisser passer change et baisse le ton. Il se veut, surtout, moins clivant sur une question qui relève, dès le début, de la sphère diplomatique.
C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé, lundi, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin. Diplomate de formation, il a en effet critiqué la «surenchère» de Retailleau sur l’Algérie, l’invitant à laisser agir les diplomates et à ne pas céder à «la tentation du règlement de comptes, car ce n’est jamais dans l’escalade qu’on règle les crises».
«Il y a des millions d’Algériens de France»
«Il y a des millions d’Algériens de France, des millions de Franco-Algériens, qui tous voient avec beaucoup d’inquiétude ces fluctuations qui ont affecté hier le Maroc et aujourd’hui l’Algérie», a-t-il averti. Et d’ajouter : «Il y a un malentendu depuis le départ du ministre de l’Intérieur qui veut régler des questions qui ne se règlent que par la diplomatie.» Gérard Araud, ancien diplomate français, tance, lui, des «postures de matamore» étriquées, et fustige sur X : «Qu’il se taise ! (Retailleau, ndlr) Je sais qu’il satisfait ainsi une partie de son électorat, mais qu’il pense à l’intérêt national.
Ce n’est pas ainsi qu’on fait de la politique étrangère.» Dans ce même contexte, Retailleau s’est vu recadré, hier, par le parquet de Paris après une annonce «prématurée» ayant trait à l’interpellation d’un nouvel influenceur algérien. Le ministre de l’Intérieur a affirmé, sur le compte X, que l’influenceur Rafik Meziane «appelait à commettre des actes violents sur le territoire français, sur TikTok».
Le parquet de Paris a, selon des médias, regretté une annonce «tout à fait prématurée» de Retailleau et a indiqué que pour l’heure «rien n’est retenu» contre ledit influenceur Rafik Meziane. Il a aussi «rappelé» les règles à suivre concernant le traitement et la communication sur une affaire en cours.
«Seule l’autorité judiciaire est légitime à communiquer sur une affaire judiciaire en cours», a souligné le ministère public. «Le pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) enquête sur un signalement effectué sur la plateforme ‘‘Pharos’’ et portant notamment sur une republication de vidéo sans commentaire.
Il a donc été procédé à une perquisition afin de saisir le matériel informatique et vérifier si des éléments matériels permettraient ou non de qualifier une infraction», a précisé le parquet de Paris. Cette perquisition aurait eu lieu dans le 13e arrondissement de Paris, selon une source de l’AFP qui parle «d’interpellation».
En ce qui concerne la personne visée par le signalement, «elle n’est à cette heure pas en garde à vue» et «doit en outre suivre des soins», a fait savoir le parquet. Intervenant sur France info, de Villepin a souligné que «ce n’est jamais dans l’escalade et la surenchère qu’on règle les crises (...) Compte tenu de la gravité des choses, nous ne sommes pas aujourd’hui à devoir nous faire plaisir en réglant des comptes».
Les déclarations de l’ancien Premier ministre français interviennent, faut-il le préciser, alors que les contacts entre officiels algériens et français reprennent timidement, avancent plusieurs sources médiatiques. Si l’on croit Le Figaro, Nicolas Lerner, le directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), s’est rendu à Alger le lundi 13 janvier, avec une délégation de haut niveau.
Une information que les autorités algériennes n’ont pas commentée. «Aucune information n’a filtré sur la venue du patron des services extérieurs, mais alors que la coopération sécuritaire est à l’arrêt depuis cet été, elle apparaît d’abord comme un signal positif, une volonté d’enrayer la spirale de tensions entre Paris et Alger et de maintenir certains canaux ouverts», lit-on dans Le Figaro. Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a estimé que «ni la France ni l’Algérie n’avaient intérêt à ce que s’installe une tension durable» entre elles.