La corruption, qui peut aller des pots-de-vin à la «captation de l’Etat» en passant par le népotisme, n’est désormais plus une simple question de gaspillage des ressources publiques. Elle est synonyme de dégradation des infrastructures, de destruction de l’environnement, d’abus de pouvoir et d’exclusion et d’érosion de la confiance. D’où la mobilisation accrue et la multiplication d’initiatives et de processus de coopération au niveau mondial aux fins de venir à bout de ce fléau qui ronge les systèmes économiques.
En effet, quelques jours après la tenue à Paris du Forum mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’intégrité et la lutte anticorruption, où l’accent a été mis sur l’apport de l’innovation et des technologies émergentes – intelligence artificielle, analyse de données, investigations numériques – dans la promotion et le renforcement de l’intégrité des affaires et la prévention de la corruption, notamment dans les chaînes d’approvisionnement, un autre événement non moins décisif, le Forum mondial des partenariats contre la corruption, en l’occurrence, est attendu aujourd’hui et demain à Washington.
Cette fois-ci, c’est le Programme mondial anticorruption et développement (AC4D) et l’Alliance internationale des traqueurs de corruption (ICHA) qui réuniront, deux jours durant dans la capitale américaine, plus de 300 partenaires, dirigeants et professionnels issus de gouvernements, du monde universitaire, de la société civile, du secteur privé et d’organisations internationales de développement œuvrant à la lutte contre la corruption et à la promotion de l’intégrité, en provenance des quatre coins du monde, est-il annoncé dans un communiqué parvenu à notre rédaction mercredi.
Le Forum auquel devraient prendre part des officiels algériens représentant les ministères des Affaires étrangères, de la Justice et des Finances, des organes de lutte contre la corruption et du renseignement financier, ainsi que des experts dans le domaine de la criminalité financière, accueillera une conférence exceptionnelle de Daron Acemoglu, lauréat du prix Nobel d’économie 2024.
A travers cette conférence intitulée «Comment exploiter la technologie au service de la transparence, du renforcement des institutions et de la prospérité», qui sera diffusée en direct, cet éminent professeur-chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) présentera ses travaux consacrés à l’innovation et à la technologie, tout en examinant les forces sociales qui favorisent la stabilité et la mutation des institutions, en montrant comment ces dynamiques influent sur la prospérité, est-il souligné dans le même document.
Le Pr Acemoglu œuvrera également à tracer des passerelles entre «diverses périodes de rupture dans l’histoire, comme les débuts du colonialisme européen, la diffusion des technologies industrielles au XIXe siècle et les choix d’aujourd’hui en matière d’utilisation, d’adoption et de développement de l’intelligence artificielle».
Organisé par le Groupe de la Banque mondiale (BM), en collaboration avec Transparency International, le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement (FCDO), le gouvernement norvégien, le ministère danois des Affaires étrangères, l’OCDE, la fondation Chandler et le partenariat pour un gouvernement ouvert (OGP), le Forum mettra en avant «l’importance des partenariats pour faire progresser collectivement la lutte contre la corruption».
PLUS DE 20 MILLIONS DE CONTRATS SOUS LA LOUPE
Les progrès jusque-là réalisés en la matière, bien qu’ils soient significativement importants, demeurent toujours trop lents. Pour explorer les pistes susceptibles de renforcer l’arsenal de lutte contre la corruption, obstacle majeur au développement car accaparant «des ressources qui pourraient être utilisées de manière productive et compromet le partage de la prospérité sur une planète vivable, car elle profite de manière disproportionnée à ceux qui détiennent le pouvoir», seront tenues des tables rondes autour de thèmes de premier plan : «Rendre compte, institutions et primauté du droit», «Transparence de la propriété effective et lutte contre les flux financiers illicites», «Systèmes de passation des marchés et partenariats privés» et «Données, technologie et changement climatique».
Un accent particulier sera mis sur la promotion de la transparence et l’accès à l’information, «un droit fondamental mais également un levier particulièrement efficace pour combattre la corruption», estime dans son argumentaire la BM qui continue de soutenir «les innovations en matière d’administration numérique (GovTech)».
En effet, la transparence des informations publiques permet de «promouvoir et de renforcer le pouvoir des citoyens. Ces derniers doivent savoir si l’argent de leurs impôts est gaspillé ou si leur avenir est hypothéqué à leur insu».
Pour encourager les populations des pays partenaires à mieux faire entendre leur voix et à participer davantage à la vie publique, l’institution de Bretton Woods s’emploie à ce titre à affiner ce processus à travers notamment le rassemblement de données relatives aux marchés publics sur une plateforme commune appelée Procurement Anticorruption and Transparency (ProACT), un outil permettant d’analyser les données relatives à plus de 21 millions de contrats dans 120 pays. S’inspirant des travaux sur les signaux d’alerte des risques de corruption, l’instrument offre à la société civile la possibilité d’«exploiter les données pour demander des comptes aux gouvernements et améliorer ainsi l’utilisation des ressources publiques».
VIEILLE STAR ET BESOIN DE «LIFTING»
La problématique de la coopération et des partenariats internationaux, déterminants dans le recouvrement toujours aussi difficile, complexe et exigeant des avoirs volés par l’intermédiaire de la corruption est ce sur quoi se penchera, en outre, le Forum mondial de Washington.
L’objectif étant d’étudier le déploiement de guides plus «intelligents» pouvant aider à traquer ceux qui se livrent à des transactions financières douteuses, à récupérer les biens publics volés à l’international ainsi qu’à réparer les préjudices occasionnés. Est ainsi susceptible d’être revigorée la vieille initiative pour le recouvrement des avoirs volés dite Stolen Asset Recovery (StAR), lancée en 2007 par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) et la BM aux fins d’«aider les pays en développement à recouvrer les avoirs volés par des dirigeants corrompus, à investir les fonds restitués dans des programmes de développement efficaces et à combattre l’existence de refuges internationaux». Instrument grâce auquel, à en croire les dernières données onusiennes, près de 10 milliards de dollars de produits de la corruption ont, à ce jour, pu être soit gelés ou confisqués, soit restitués à un pays victime de la corruption.
«Si ce chiffre ne représente qu’une fraction du problème, il autorise néanmoins un certain optimisme : il est possible de recouvrer les avoirs à l’international, et ces succès ne sont plus aussi rares qu’auparavant», estime-t-on. Car bien des années durant, il était illusoire pour les pays victimes de pillages en règle dont sont auteurs des élites dirigeantes comme pour les pays refuges de mener une quelconque action en vue de localiser, de rapatrier ou de restituer les avoirs criminels.
L’édition 2025 du Forum mondial sera l’occasion de sensibiliser la communauté internationale sur l’ampleur des coûts sociaux et environnementaux induits par tous ces fléaux et à l’urgence de mettre le holà à la mainmise des intérêts privés sur l’Etat. Aussi, l’opportunité sera offerte aux participants d’explorer de nouvelles voies vers des partenariats plus solides et la recherche de solutions avant-gardistes à même de remodeler le paysage mondial de la lutte anticorruption. Naïma Benouaret