Face à la persistance de la surproduction de certains de ses membres : La cohésion de l’Opep+ est-elle en jeu ?

07/04/2025 mis à jour: 16:30
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Face aux défis qui menacent le marché pétrolier, confronté d’une part à la nouvelle politique économique très agressive de l’administration américaine et, d’autre part, à l’appétit plutôt vorace de certains producteurs en dehors de l’Opep+ mais aussi au sein même de l’Alliance, la cohésion de l’Opep est-elle aujourd’hui en jeu ?

La dernière décision prise par l’Opep+ en faveur d’une augmentation des quotas dans un marché déjà en surabondance, et dans un contexte économique mondial fortement perturbé de surcroît, suscite des interrogations quant aux motivations et objectifs de l’Organisation et de ses alliés, qui risquent de faire subir, à travers leur positionnement inattendu, de fortes pressions à leurs économies respectives, dans le sillage de la chute vertigineuse des prix du pétrole. 

Les pays de l’Opep+ étaient jusqu’à présent de fervents partisans du contrôle de la production pour équilibrer le marché et maintenir les prix autour de 80 à 90 dollars le baril. La dernière décision de l’OPEP+ marque une rupture majeure avec cette politique. Alors que les prix de l’or noir étaient déjà en déclin, dans le sillage des interventions commerciales intempestives du président américain, et que le marché pétrolier est en situation excédentaire, l'OPEP+ a décidé de libérer, suite à sa réunion tenue le 3 avril 2025, 411 000 barils par jour en mai, soit l'équivalent de trois mois de hausses dans le cadre des plans précédents, ce qui reflète, selon elle, «la poursuite de fondamentaux sains et des perspectives positives du marché». 

Un raisonnement qui ne semble pas coller avec ses précédentes prises de position, et qui de plus intervient à un moment inopportun, au vu de la déstabilisation du marché pétrolier, et plus globalement au risque de ralentissement économique mondial. Les analystes estiment qu’il est difficile d’évaluer respectivement l'impact exact des deux facteurs, sur la chute des prix du pétrole mais ils considèrent que l'annonce de l'OPEP+ a certainement contribué au sentiment baissier, compte tenu du contexte général dans lequel évolue le marché. Les prix du pétrole brut Brent ont ainsi perdu près de 8% en fin de semaine de cotation, vendredi 4 avril 2025, clôturant à 65,60 dollars le baril, à des niveaux bien plus bas que ceux observés au plus fort de la pandémie de coronavirus. 

La décision a également ravivé les souvenirs des guerres des prix du pétrole de 2014 et 2020. Alors quels sont les réels objectifs de l’Opep+ à travers sa sortie inhabituelle dans un fort moment de crise ? Les regards se tournent notamment vers les surproducteurs qui, malgré leurs multiples engagements et les rappels à l’ordre de leurs pairs au sein de l’Alliance, traînent des pieds en matière de respect des quotas et de compensation de la surproduction. 

           ( Abdulaziz Bin Salman Bin Abdulaziz, ministre de l'Energie de l'Arabie Saoudite )

 

Endiguer le non-respect des quotas, le challenge pour l’Opep+

Une attitude qui tranche avec les engagements volontaires d’autres pays qui misent sur une approche consensuelle sans aucun débordement, en vue de préserver les intérêts des pays producteurs et sauvegarder la stratégie de régulation du marché menée depuis des décennies par l’Opep. Afin de préserver sa gestion rigoureuse du marché, l'OPEP+ lutte depuis de longs mois pour le respect des quotas de production, face à plusieurs membres de l’Alliance, tels que le Kazakhstan, l'Irak, et les Emirats arabes unis, comptant parmi les pays qui ont augmenté leurs capacités de production au-delà de leurs quotas respectifs consignés dans les tableaux de l’Opep+. 

Le Kazakhstan a atteint, par exemple, un niveau record de 2,17 millions de barils par jour en mars, après le démarrage du champ pétrolier géant de Tengiz. Hors condensats, la production pétrolière du pays a augmenté le mois dernier à 1,88 million de bpj, contre 1,83 million de bpj en février, selon Reuters, dépassant de loin son quota de production OPEP+ de 1,468 million de bpj. L'Irak, deuxième producteur de l’Opep, tarde également à réduire ses volumes, les dépassements de quotas enregistrés. Malgré ce manque de discipline interne persistant, l'OPEP+ semble avoir opté pour une stratégie de choc pour ramener les récalcitrants à plus de retenue. C’est en tout cas ce que laissent entendre de nombreux analystes. 

La stratégie qui serait ainsi menée notamment par l'Arabie Saoudite, leader de facto du groupe, – qui a mis en œuvre, pour sa part, les réductions d'approvisionnement les plus drastiques – vise à laisser filer les prix de l’or noir à des niveaux historiquement bas, ce qui mettrait en difficulté tous les producteurs, qu’ils soient membres de l’Alliance ou non membres, y compris les producteurs américains qui ne pourraient faire fructifier leurs affaires dans un contexte de cours de cotation trop bas.

La récente décision de l’Opep+ tranche avec la stratégie mise en œuvre par l'OPEP. Celle-ci a, depuis avril 2023, volontairement décidé de réduire sa production globale de 1,65 million de bpj afin de stabiliser les marchés mondiaux. Une réduction supplémentaire de 2,2 millions de bpj, convenue en novembre 2023, devait prendre fin mars 2025. A partir d'avril 2025, l'OPEP+ devait libérer progressivement ces volumes retenus, mais contre toute attente, l’Alliance décide d’accélérer la cadence et changer de cap sans en expliquer les motivations. 

Il reste à suivre l’évolution de la courbe des prix pour les semaines à venir et à guetter une probable intervention de l’Opep+. Jusqu’à quel point l’Arabie Saoudite, qui mène la nouvelle stratégie, va-t-elle laisser la situation dégénérer avant d’intervenir ? Une réunion ordinaire est prévue le 5 mai 2025 pour décider des niveaux de production de juin.
 

 

L'avertissement des saoudiens d'octobre 2024

Le Wall Street Journal, en date du 2 octobre 2024, avait fait part d'un avertissement du ministre saoudien de l'Energie adressé aux pays membres de l'OPEP indiquant possible «une baisse potentielle du prix du pétrole à 50 dollars le baril, si d'autres trichent» (voir El Watan du 9/10/2024 «Que compte faire l'Arabie Saoudite» par Zhor Hadjam ).  lien :  https://elwatan-dz.com/prix-du-petrole-que-compte-faire-larabie-saoudite

Le ministre avait  alors affirmé que «certains feraient mieux de se taire et de respecter leurs engagements envers l'OPEP».

Le média américain avait alors écrit : «L'avertissement du ministre le plus influent de l'alliance OPEP a été interprété par d'autres producteurs comme une menace voilée selon laquelle l'Arabie Saoudite en a assez des tricheurs de quotas et pourrait se lancer dans une guerre des prix pour défendre sa part de marché.» 
Visiblement l'Arabie Saoudite, principal producteur de l'OPEP, est, en cette période de tourmente économique mondiale, sur cette position, si l'on se réfère aux conclusions des travaux du Comité interministériel conjoint de suivi (JMMC), qui a décidé d'une augmentation de la production du pétrole de l'OPEP au moment où les prix de pétrole connaissent une baisse importante, qui risque de s'aggraver dans les prochains jours. 

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