L’expert en questions géo-économiques et financières, Mahfoud Kaoubi, a livré une analyse lucide, mais alarmante du dernier rapport annuel de la Cour des comptes, lors de son passage hier à l’émission radiophonique «L’invité du jour».
Son diagnostic met en lumière des lacunes systémiques et des dysfonctionnements récurrents dans la gouvernance des secteurs publics, confrontés à un fossé grandissant entre objectifs déclarés et les résultats obtenus. L’invité de la Chaîne 3 de la Radio nationale s’est appuyé sur le rapport de la Cour des comptes publié en décembre dernier et s’étalant sur plus de 550 pages, insistant sur un problème récurrent : l’inefficience dans l’utilisation des ressources mobilisées.
Selon lui, les lacunes sont structurelles et s’articulent autour de cinq points majeurs : le décalage entre objectifs et résultats, une gestion inefficace des moyens, des défaillances organisationnelles, une absence de communication intersectorielle, et un manque criant de systèmes d’information. Ces carences, récurrentes depuis plusieurs années, traduisent une gouvernance orientée davantage par des logiques administratives que par une vision stratégique et économique.
«Le rapport a insisté sur ce manque de système d’information, de statistiques, et de disponibilité de l’information. Ce sont donc cinq éléments qui reviennent systématiquement si l’on se réfère aux rapports des années précédentes de la même institution qui ne cesse de tirer la sonnette d’alarme et de mettre le doigt sur les dysfonctionnements en espérant que les ajustements se fassent et qu’une meilleure gouvernance soit mise en œuvre», indique-t-il.
«Incohérence organisationnelle»
L’éducation et le tourisme figurent parmi les secteurs épinglés pour leur performance décevante, malgré des investissements considérables. L’école, tout d’abord, bénéficie d’un budget massif, mais les résultats qualitatifs peinent à suivre. Si certains indicateurs d’intrants sont positifs, selon lui, comme la réalisation des objectifs de développement durable (dont le taux d’accès à l’éducation), les lacunes se révèlent dans des domaines fondamentaux tels que les mathématiques et les langues.
Devant l’absence d’une étude approfondie réalisée par le département de l’Education pour comprendre le recours des élèves aux cours de soutien, le rapport s’est basé sur une étude de l’université de Tiaret qui révèle que 50% des élèves (de 5 année primaire au premier cycle), 63% des élèves de 4e année moyenne au deuxième cycle, et 76% y ont recours, un phénomène qui traduit les insuffisances du système et représente une charge financière pour les familles.
Les recommandations de la Cour des comptes appellent à un audit approfondi pour comprendre les causes structurelles de ce phénomène et y remédier. Pour M. Kaoubi, c’est l’image du système éducatif qui est remise en cause face à cette dualité des établissements qui disposent de l’enseignement.
Dans le secteur du tourisme, les constats sont tout aussi saisissants. Sur les 149 zones d’extension touristique (ZET) créées, aucune n’a été pleinement aménagée ni viabilisée. La Cour des comptes pointe du doigt des incohérences organisationnelles et un manque de rationalité dans le choix des sites, souvent peu attractifs. «Le secteur du tourisme devrait obéir à une logique économique et non administrative», affirme Mahfoud Kaoubi. Le potentiel naturel et culturel de l’Algérie reste sous-exploité, freinant ainsi la diversification économique nécessaire pour réduire la dépendance aux hydrocarbures.
L’une des propositions avancées par Mahfoud Kaoubi est une refonte du système de gestion. Il prône un passage d’une logique de gestion administrative (basée sur l’évaluation de la gestion des dépenses) à une gestion basée sur l’évaluation des résultats.
Cela implique, notamment, l’adoption d’instruments modernes de management, ainsi que la mise en place de systèmes d’information performants. Pour l’expert, l’évaluation des politiques publiques devrait s’articuler autour de critères d’efficacité et d’efficience, et non se limiter à une simple comptabilisation des dépenses. Il insiste : «Le problème n’est pas financier.
Les ressources ont été abondantes, mais elles n’ont pas été optimisées.» A la question de savoir si les résultats ont été à la hauteur des moyens mobilisés, il répond par la négative. «La logique de fonctionnement de l’administration algérienne et des établissements chargés des services publics est en décalage par rapport à la logique de gestion objective. Entre les lois mises en place et les comportements des managers et des individus, il y a un fossé», analyse l’expert.