Des milliers de déplacés palestiniens retournent chez eux : Ces émouvantes processions de rescapés à Ghaza

28/01/2025 mis à jour: 05:13
1462
Photo : D. R.

Malgré toutes les atrocités qu’ils ont subies, malgré l’ampleur de la dévastation, malgré tout ce qu’ils ont perdu, les déplacés héroïques de Ghaza ont réussi à garder ce qu’il y a de plus cher à leurs cœurs : cette portion de Palestine. Et les images épiques de ces processions du retour sont la plus cinglante des réponses à Trump et à son plan honteux d’une «Nakba bis».

Ghazza nawwarat bi ahliha» (Ghaza est illuminée par les siens). Ces mots sont inscrits sur une grande affiche déployée sur un panneau publicitaire défiguré ayant miraculeusement échappé aux bombardements israéliens. Le panneau se dresse au bord d’une route quelque part, au nord de Ghaza, tandis qu’une marée humaine emplit la chaussée déglinguée en longeant la mer.

Des centaines de milliers de Palestiniens revenant du Sud et regagnant ce qui reste de leurs maisons au nord d’Al Qitae, après quinze mois, quinze horribles, épouvantables mois d’une guerre sans merci où ils étaient pilonnés de toutes parts par l’armée sioniste et son aviation impitoyable. Cette affiche improvisée à la hâte fait partie des nombreuses images bouleversantes qui nous parvenaient hier de Ghaza, prises sur le vif, et documentant en tremblant le retour chez eux des Ghazaouis du Nord.

Ce retour, il faut le souligner, est une victoire en soi pour les Palestiniens parce que pour l’entité sioniste, après les attaques du 7 octobre 2023, il était hors de question que les habitants des secteurs proches des frontières israéliennes reviennent vivre à un jet de pierre de l’occupant. La digue de l’oppression a fini par céder, et ces flots humains de se ruer vers leurs patelins dont pourtant il ne subsiste plus rien.

Il ne subsiste rien des bâtiments, certes, mais pour beaucoup, ces tas de décombres sont les tombes de leurs chers disparus, ensevelis sous ces tas de ruines après avoir été fauchés par un de ces raids aveugles de la barbarie israélienne. Les images vertigineuses de ces processions du retour sont profondément touchantes.

Depuis deux jours, ils étaient massés par milliers près de l’axe Netzarim, attendant le signal. Ils avaient démonté à la hâte leurs tentes et leurs abris de fortune, et se sont ébranlés comme dans un péplum biblique. Ils ont afflué de toutes les poches du sud et du centre de Ghaza où ils cherchaient désespérément un coin de paix où mettre leurs enfants à l’abri des obus, à Khan Younès, à Deir El Balah, à Nuseirat ou encore à Rafah. Ils ont afflué de toutes ces zones qu’on disait au début des zones sûres, au sud de Wadi Ghaza, avant que l’ensemble de l’enclave ne devienne inhabitable, croulant sous un tapis de bombes.

«Nous étions assiégés par la mort et nous avons résisté»

«J’aurais aimé être auprès de vous et assurer la couverture de votre retour à la ville de Ghaza et au nord de l’enclave pour sentir émotionnellement que je suis revenu vers ma terre patrie», a déclaré dans une vidéo pleine de dignité l’héroïque Waël Dahdouh, le chef du bureau d’Al Jazeera à Ghaza. Pour rappel, Waël, surnommé «Djabal Essabr», la montagne d’endurance, a perdu la moitié de sa famille durant la guerre féroce faite à Ghaza, avant d’être lui-même victime d’un obus qui a failli lui ôter la vie et lui arracher un bras.

D’ailleurs, son avant-bras, côté droit, est toujours prisonnier d’une attelle, signe qu’il ne s’est toujours pas rétabli. C’est ce qui l’a empêché de couvrir en direct l’événement. «Hélas, Dieu a voulu que je quitte (Ghaza) pour Doha afin de me soigner», a-t-il confié. «Mais malgré cela, je garde espoir que ce retour se déroulera en toute sécurité et en toute sérénité, et qu’Allah apporte à tout le monde réconfort et réparation.»

Un homme au visage abîmé, portant les traces de grandes brûlures, emmitouflé dans une couverture, un véritable survivant, se penche et embrasse la terre de ses racines, au nord de Ghaza. Il répète, submergé par l’émotion, sous l’œil de la caméra d’Al Jazeera : «Rajaâna li aradhina. Oh mon Dieu, nous sommes revenus à notre terre. Allah Akbar ! Dieu soit loué.» Et de marteler : «Nous étions assiégés par les tirs, par la mort, la torture, et nous avons résisté.

Nous avons tenu jusqu’à ce qu’on ait recouvré notre terre. Et nous sommes revenus à Ghaza al hamdou lilah.» Un responsable de la sécurité à Ghaza a indiqué à l’AFP que «plus de 200 000 déplacés étaient retournés à Ghaza-ville dans les deux premières heures» qui ont suivi la levée de l’interdiction de retourner dans le nord de l’enclave.

L’armée israélienne a fini par céder sur ce point «après un compromis de dernière minute entre Israël et le Hamas pour la libération de six autres otages», ajoute l’AFP. Hamas avait accusé Israël de violer l’accord de trêve. L’entité sioniste justifiait sa position par le maintien en détention d’une civile israélienne, Arbel Yehud, «et l’absence d’une liste recensant les morts ou vivants parmi les 87 otages encore à Ghaza, dont 34 déclarés morts par l’armée», précise l’AFP.

Mais dimanche soir, «Israël a annoncé un règlement, après l’engagement du Hamas à libérer trois otages jeudi incluant Arbel Yehud et, comme prévu par la première phase de la trêve en vigueur, trois autres samedi en échange de prisonniers palestiniens».

«Nous reconstruirons nos maisons même avec de la boue»

La joie du retour faisait oublier, au moins temporairement, les affres du chagrin d’avoir tout perdu. «C’est le plus beau jour de ma vie», lance cette jeune Palestinienne de 22 ans, Lamiss al-Iwady, au journaliste de l’AFP, en retrouvant son quartier. «C’est comme si mon âme et la vie m’étaient revenues», exulte-t-elle. «Nous reconstruirons nos maisons, même si c’est avec de la boue et du sable», assène avec courage la jeune femme.

Présent sur- place, le correspondant d’Al Jazeera à Ghaza, Mohammad Qraiqea, livre un témoignage saisissant dans un reportage en direct pour la chaîne qatarie : «Ce sont des images pour l’histoire», dit-il d’emblée. «Les flux du retour se poursuivent de façon ininterrompue. Les gens continuent à avancer à pied (en direction du Nord). Ils sont de toutes les catégories d’âge. Des femmes, des enfants, des personnes âgées… Ils marchent ainsi depuis 7h du matin.

Même les malades et les blessés s’accrochent, parcourant de très longues distances à pied. C’est la première fois dans l’histoire du peuple palestinien qu’on voit ça.» Selon le reporter palestinien, «un grand nombre de ces déplacés sont de Beit Lahia et Beit Hanoun, ainsi que du camp de Jabaliya, de Hay Al Shoudjaîya, de Hay al Touffah et Chaath».

Ces secteurs, précise-t-il, «sont à l’extrême nord et l’extrême-est de la bande de Ghaza. Il faut donc plus de temps à ces cortèges pour arriver jusqu’à chez eux, dans leur région détruite. Comme vous le voyez, il n’y a pas de véhicules pour les transporter». Et le journaliste de faire remarquer : «Les routes et les chemins empruntés sont dans un très mauvais état. Nous avons des femmes âgées qui ont fait des chutes.

Des handicapés sont tombés par terre et se sont fait mal parce que la chaussée est accidentée.» Il souligne dans la foulée : «Ceci est la rue Al Rachid. C’était l’un des plus beaux boulevards de la bande de Ghaza, longeant le littoral. A présent, il est profondément endommagé et impraticable. S’il y avait des voitures, elles n’auraient pas pu l’utiliser.»

Désignant une rangée d’ambulances alignées sur un flanc de la route, il observe : «Ces ambulances ont eu tout le mal du monde à se frayer un chemin jusqu’ici en utilisant ces routes. Certaines sont tombées en panne après avoir heurté des blocs de pierres et de parpaings, ou s’être embourbées dans des excavations profondes.»

Une cinglante réponse à Trump

Mais «malgré toutes les difficultés et les effets des destructions, nous sentons très fort cette détermination palestinienne qui est bien palpable à travers ces cortèges et ces processions humaines ininterrompues.

Les gens ont faim, ont soif, sont épuisés et malgré cela, ils continuent à marcher en portant leurs affaires personnelles, quelques couvertures et quelques effets juste de quoi leur permettre d’avoir un peu d’intimité dans ce qui reste de leurs maisons ou bien en s’aménageant un abri de fortune.» Mohammad Qraiqea poursuit : «Certains ont pris avec eux des bouteilles d’eau et des fagots de bois.

Car il faut savoir qu’il n’y a strictement rien au nord de la bande de Ghaza.» Le reporter nous fait remarquer aussi que plusieurs de ces déplacés «portent leurs tentes sur leurs épaules pour les transporter à Beit Lahia ou ailleurs. Imaginez le poids de la tente et la pénibilité du trajet à pied. Cela en dit long encore une fois sur cette détermination, cette ardeur d’aller au bout». «Les flots des marcheurs ne font que grossir.

Il y a des marées humaines interminables qui continuent d’affluer», décrit le journaliste. Il insiste sur l’émotion des retrouvailles : «Certains enlacent leur mère, leur père, leur frère, leur sœur, leur mari ou leur épouse, pour la première fois depuis 15 mois. Ils étaient désespérés de les retrouver vivants. Les larmes coulent à flot. Il y a les flots des marcheurs et avec eux ces flots de larmes aussi.

Ce sont les larmes du manque tout au long de la guerre dévastatrice menée par l’armée israélienne. Les larmes qui étaient retenues tout au long de ces 15 mois de guerre. Toutes les larmes de Ghaza ont explosé aujourd’hui dans les rues.

Des larmes de joie et d’émotion pour célébrer cette victoire.» Victoire, oui, car malgré toutes les atrocités qu’ils ont subies, malgré l’ampleur de la dévastation, malgré tout ce qu’ils ont perdu, les déplacés épiques de Ghaza ont réussi à garder ce qu’il y a de plus cher à leurs cœurs : cette portion de Palestine. Et les images vertigineuses de ces processions du retour sont la plus cinglante des réponses à Trump et à son plan scandaleux d’une «Nakba bis».

 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.