La Syrie a franchi, hier, un point de basculement historique, avec la chute de Damas. Les conséquences de nouveaux affrontements armés intercommunautaires sont difficiles à prédire. Déjà que le territoire syrien est, aujourd’hui, un ensemble de territoires «autonomes», du Sud au Nord.
La chute du régime de Bachar Al Assad ouvrira-t-elle la voie à un processus politique pacifique et inclusif en Syrie ou sera-t-elle le point de départ d’une désagrégation d’un pays-clé dans l’axe de la résistance contre l’occupant israélien ?
Pays multiconfessionnel déchiré par une guerre civile meurtrière provoquée par les révoltes du Printemps arabe, la Syrie a franchi, hier, un point de non- retour, un point de basculement historique, avec la chute de Damas entre les mains de mouvements djihadistes. Au bout de dix jours, Hayat Tahrir Al Sham (HTS), ancienne branche d’Al Qaîda en Syrie, a fait tomber, tour à tour, Alep, Hama et enfin Homs, avant de s’emparer de la capitale syrienne.
Pourtant, quelques jours plus tôt, des analystes misaient sur des affrontements violents à venir à Homs, en raison de la concentration de structures militaires de l’armée dans la troisième ville du pays et de la présence d’officiers alaouites (la confession à laquelle appartient Bachar Al Assad).
Il n’en a rien été. Hier, en milieu de journée, des témoignages de militaires syriens relayés sur les réseaux sociaux et de diplomates russes affirmaient que le président syrien déchu a négocié son «départ» et que des divisions entières de l’Armée arabe syrienne ont déposé les armes sans livrer combat. Négocier avec qui et dans quelles circonstances ?
Moscou l’a confirmé, précisant que le renversement du régime Al Assad a été précédé par des contacts entre ce dernier et «diverses parties de l’opposition armée». Le Premier ministre syrien, Mohammad Ghazi Al Jalali, a, d’ailleurs, affirmé qu’il se préparait à une passation de pouvoir dès hier. «Nous sommes prêts à la coopération (avec le nouveau leadership) et à lui apporter toutes les facilités possibles», a-t-il dit, dans une vidéo publiée sur son compte Facebook.
Le nouveau leadership est, sans conteste, Ahmed Al Charah, alias Abu Mohammad al Jolani, leader de HTS. Formé en 2017 par la fusion de plusieurs factions, dont Jabhat Al Nosra – ancienne filiale syrienne de la multinationale Al Qaïda – HTS est considéré comme un mouvement proche de la Turquie, principale bénéficiaire de la chute d’Al Assad.
Les Turcs ont été dès le départ, faut-il le souligner, à la manette pour des considérations géopolitiques induites notamment par l’opération Déluge d’El Aqsa, le 7 octobre 2023. «Jolani est éduqué, sophistiqué et politiquement astucieux», analysent des médias alternatifs, tout en faisant remarquer que sa «campagne» armée a été efficacement soutenue par une communication soignée : discours apaisant à l’adresse des minorités, volonté de maintenir l’administration civile, appels à éviter les règlements de compte…
El Jolani est, de l’avis général, un chef de guerre pragmatique. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, ses partisans vendaient des étrangers à l’Etat islamique pour être décapités sur YouTube.
Raison pour laquelle les Etats-Unis ont mis une récompense de 10 millions de dollars sur sa tête. Mais pour le moment, chez les factions composant HTS, l’heure est à l’euphorie. Tirs à l’arme légère, scènes de joie et de liesse, promesses de liberté, de justice et de prospérité.
Israël aux aguets
Comme au moment de la chute du président Libyen Mouammar Kadhafi. Le fait de le renverser avait été l’objectif unifiant toutes les factions armées, soutenues par les Occidentaux et incluant des milices appartenant à la nébuleuse djihadiste. Juste après, elles se sont retournées les unes contre les autres. Chacune d’elles, revendiquant une partie de la Libye, désunie et devenant le terrain de jeu des mercenaires et trafiquants en tous genres.
Dix ans plus tard, la Libye est un désastre. «Libye libre !» a fait son temps sur le dos de milliers de civils massacrés et d’un pays livré aux appétits voraces de puissances étrangères. Pour la Syrie, les conséquences de nouveaux affrontements armés intercommunautaires sont difficiles à prédire. Déjà que le territoire syrien est aujourd’hui un ensemble de territoires «autonomes», du Sud au Nord.
Si on y ajoute la disparition de l’Etat national et le démantèlement de l’Armée arabe syrienne, rien ne laisse présager de la possibilité d’instaurer de l’ordre dans ce pays, même à minima. Pour l’instant, les événements profitent à la Turquie et à… Israël.
La Turquie pourrait maintenant passer à des plans, via son nouveau proxy, pour écraser le PKK kurde qui contrôle une partie du nord-est de la Syrie. L’occupant israélien peut, lui, mettre sans souci en pratique l’accord de cessez-le-feu avec le Hezbollah, annexer plus de territoires dans le Golan et resserrer l’étau sur le corridor logistique qui allait de l’Iran – autre perdant de la chute d’Al Assad – jusqu’au Sud-Liban.
Mais le plus grand perdant dans ce bouleversement survenu au Proche-Orient est la Russie. La Syrie est le flanc sud de Moscou qu’elle n’a visiblement pas réussi à protéger. Elle y dispose de bases militaires sur la Méditerranée et fut un soutien décisif à Bachar Al Assad face à la montée en puissance des milices de l’opposition en 2013. Sauf s’il s’agit d’un deal entre les puissants de ce monde, à l’approche de l’investiture du président américain Donald Trump.