Bouchouareb et Macron : une complicité qui tourne mal - Le mirage de la zone de prospérité partagée !

19/01/2025 mis à jour: 04:59
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Abdeslam Bouchouareb et Emmanuel Macron - Photo : D. R.

Alstom France s’était engagée à assurer la formation et le transfert de technologie, de compétences et de savoir-faire aux 240 employés de Cital, de façon «à faire passer d’ici à 2025 toute la production réalisée en Europe au site de Annaba, et ce, afin de créer un pôle ferroviaire d’excellence en Algérie et dans toute la région».

A force de traîner, voilà presqu’une décennie, l’espoir de voir un Coradia «made in Algeria» sortir de leur usine, les ingénieurs, techniciens et agents de Cital Annaba ont fini par l’user. Ce train n’est pas près de circuler ni en Algérie ni quelque part en Afrique. A l’instar de celui que l’on faisait longtemps miroiter, dans le cadre de l’Accord d’association Algérie-Union européenne (UE), l’engagement pris au printemps 2016, par Abdeslam Bouchouareb, alors ministre de l’Industrie, et son homologue français Emmanuel Macron, d’instaurer une «zone de prospérité partagée» entre le rail français et le rail algérien s’est avéré être un autre mirage.

Conçus, fabriqués et testés à Reichshoffen, en France, pas moins de 98 Coradia, basés sur la gamme Coradia Polyvalent d’Alstom dans sa version hybride (bi-mode, électrique et diesel), devaient être assemblés sur le site de Cital Annaba et destinés à la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) pour les besoins du renforcement et du rajeunissement de sa flotte.

Le premier train Coradia dont la vitesse pouvant atteindre 160 km/h et des capacités de 900 passagers, censé être livré par Cital fin 2019. L’enjeu : la compagnie nationale projetait l’extension, sur différentes lignes, du réseau ferroviaire de 3000 à 12 500 km auquel s’ajoutent de nouvelles lignes dans le Grand Sud s’étirant sur 2500 km.

C’était début avril 2016, en marge de la troisième session du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français, qu’un accord de partenariat avait été signé entre l’Entreprise de constructions de matériels et d’équipements ferroviaires (Ferrovial), l’Entreprise du métro d’Alger (EMA) et la société française Alstom, et ce, en présence de Abdelmalek Sellal et Manuel Valls, alors Premiers ministres, de Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’Industrie, et son homologue Emmanuel Macron.

Dans ce cadre, un nouveau pacte d’actionnariat avait été créé, incluant l’intégration de la SNTF. Alstom (49%), Ferrovial (31%),  EMA (10%) et SNTF (10%). Pour plus de 16 milliards de dinars d’investissements, la superficie de l’enceinte abritant actuellement les ateliers de maintenance des tramways Citadis qui y étaient assemblés devrait être portée de 46 000  à 190 000 m2.

Ainsi, sur l’équivalent de 5 fois le site actuel de Cital, devraient être mis sur pied, outre le centre d’essais, un département d’ingénierie et de nouvelles lignes de production dotées d’une capacité d’assemblage d’un train Coradia par mois. Mieux, une partie de la production des trains était destinée à l’exportation. A travers ce projet baptisé «Cital2», Alstom France s’était engagée à assurer la formation et le transfert de technologie, de compétences et de savoir-faire aux 240 employés de Cital de façon «à faire passer d’ici à 2025 pratiquement toute la production réalisée en Europe au site de Annaba, et ce, afin de créer un pôle ferroviaire d’excellence en Algérie et dans toute la région».

Coradia Algérie va nous permettre d’être compétitifs sur certains marchés du Maghreb et d’Afrique, et ce, en plus du puissant pôle industriel ferroviaire qui se mettra en place avec le vaste réseau de PME/PMI nationales de sous-traitance susceptible de se créer autour. Il s’agit d’une nouvelle étape importante de la stratégie mondiale et des efforts d’Alstom pour se rapprocher de ses clients, s’enorgueillissait-on lors de la conclusion dudit accord.

Nous sommes en 2025 et le «pôle industriel ferroviaire d’excellence» à Cital Annaba, attendu, n’est pas au rendez-vous. Le Groupe tricolore se contentera d’exporter 17 trains Coradia, fabriqués dans son usine de Reichshoffen en France. Commandés en juillet 2015 par la SNTF, ces trains étant destinés à relier, entre autres, Alger aux villes d’Oran, Annaba, Constantine et Béchar.

Quant à la co-entreprise Cital Annaba, elle sera, semble-t-il, vouée aux seules activités de maintenance des Coradia d’Alstom, provenant de France et des tramways Citadis construits en Europe, notamment en Espagne. «(...) En ce qui concerne le projet d’assemblage de trains régionaux à Annaba, il est vrai qu’un projet initial prévoyait la commande d’un plus grand nombre de trains.

Cependant, la commande finale a été limitée à 17 trains, lesquels ont tous été livrés», confirme, dans une déclaration à El Watan Charlyne Garcias, chargée de communication au groupe Alstom France. Autrement dit, plus question de Coradia algérien. Alors que les responsables du groupe industriel SNVI et leur patron Abdeslam Bouchouareb n’avaient de cesse de jurer que «le projet est maintenu, il est en très bonne voie. 

Le train hybride Coradia Algérie va bel et bien rouler sur les rails. D’ici 2025, la flotte, vieillissante, de la SNTF sera renforcée et une grande partie renouvelée grâce, essentiellement, aux trains ultramodernes issus de Cital Annaba qui offriront une meilleure qualité de service aux passagers et faciliteront la mobilité sur différentes lignes». Paroles et paroles, et rien que des paroles !

Autre projet, autre utopie

Autre projet, autre vœu pieux : Début avril 2017, soit quelques semaines avant son départ du ministère de l’Industrie, Bouchouareb récidivera. En bon visionnaire, comme il l’a toujours été lorsqu’il s’agit de bonnes affaires avec ses «amis» de l’Hexagone, un protocole d’accord sera signé, à son initiative, entre le groupe industrielle SNVI, Cital et le groupe Alstom, en présence du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et son homologue français Bernard Cazeneuve.

Ce nouvel accord porte sur le développement et la production de bus électriques sur le site de Cital Annaba pour élargir la gamme de produits de la SNVI. Cette coopération devrait bénéficier du support technologique d’Alstom qui venait, à l’époque, de lancer un bus électrique de nouvelle génération appelé Aptis, une conception innovante inspirée de celle du tramway.

«A travers ce projet qui s’inscrit dans la poursuite de notre développement industriel, SNVI, Cital et Alstom ont décidé ensemble d’agir pour donner un nouveau souffle à l’industrie des matériels roulants et accroître l’offre de mobilité électrique en Algérie», s’empressait-on d’annoncer. Lettre morte, cet accord le restera lui aussi.

Alstom reste un partenaire engagé

En dépit de ces manquements à haut niveau, aux engagements, du côté algérien comme du côté français, «Alstom reste un partenaire engagé dans le développement de l’infrastructure ferroviaire en Algérie. Notre présence dans le pays est indéfectible, et nous continuerons à soutenir le vaste programme de développement ferroviaire national», nous assure la représentante d’Alstom France.

«Cet engagement se traduit par diverses formes de participation, incluant la fourniture de matériels roulants, de systèmes, d’infrastructures, de signalisation, ainsi que des services de maintenance et d’accompagnement à l’exploitation. Avec notre large éventail de solutions, nous sommes résolument engagés à contribuer à la mobilité urbaine ainsi qu’à la connectivité régionale, tout en étudiant en permanence les opportunités d’investissement qui se présentent», ajoute-t-elle. Quant à Cital, la donne semble avoir changé.

Les partenariats et les investissements en perspective se feront loin des capitaux étrangers. La co-entreprise «est en train de travailler avec le groupe public Ferrovial, spécialisé dans la fabrication du matériel et des équipements ferroviaires, pour installer, d’une façon pérenne, cette industrie stratégique dans l’est du pays, conformément aux instructions des hautes autorités du pays», indique Wahida Chaâb, la PDG.

Cital serait prête à «travailler sur d’autres types de matériels roulants, tels que les métros, les monorails et les locomotives, relevant que des études de faisabilité ont été entreprises au niveau de Cital et de Ferrovial pour accueillir différents types de matériels roulants pour l’assemblage et la fabrication de certaines pièces et sous-ensembles».

C’est dire que le pacte de 2016 relatif à la fabrication en Algérie pour les besoins nationaux puis l’exportation de trains polyvalents de grande ligne bi-mode Coradia était une pure et dure chimère. En réalité, nos officiels, à leur tête Bouchouareb, devaient aider leurs «amis» français à trouver le moyen d’apaiser la crise sociale et financière qui secouait Alstom.

A cette époque, faute de projets en Europe et un peu partout dans le monde, les commandes dans sa branche transport qui fabrique des TGV, des trams et des trains régionaux, surtout, avaient déraillé, plongeant de près de la moitié. Aussi, Alstom se débattait dans d’insurmontables difficultés financières. Il devait s’acquitter de près de 800 millions de dollars dans le cadre d’un règlement négocié d’une grosse affaire de corruption avec le département américain de la Justice.

Ce dernier lui reprochant le versement de plus de 75 millions de dollars pour remporter des contrats représentant 4 milliards de dollars, notamment en Indonésie, en Egypte, en Arabie Saoudite et aux Bahamas, lui rapportant près de 300 millions de dollars de bénéfices.

Les déplacements dans l’Hexagone et les rencontres «privées» de Bouchouareb avec Macron et les patrons d’Alstom se succédaient (17 au 19 octobre 2014, 4 décembre 2014 et 27 octobre 2015). En mai 2015, les «kits» importés de tramways Alstom Citadis débarqueront à Cital, Alstom remportera, en juillet 2015, le contrat des 17 trains intercités Coradia.

En Avril 2016, interviendra l’accord sur le montage en Algérie des 98 Coradia, en avril 2017 l’accord sur la conception et fabrication de bus électriques en Algérie, etc. Attendu depuis une dizaine d’années, le «train» d’Alstom qui devait ramener le pôle industriel ferroviaire d’excellence n’est jamais arrivé !    
 

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