Après trois jours de débats à huis clos, le Conseil de sécurité de l’Onu a fini par adopter un communiqué dans lequel il a exprimé sa «profonde préoccupation» par «les informations selon lesquelles plus de 100 personnes ont perdu la vie et plusieurs centaines d'autres ont été blessées, notamment par balles». Il a qualifié ce carnage d’«incident» «qui a impliqué les forces israéliennes», exhorté «Israël à maintenir les postes frontaliers ouverts pour l’acheminement de l’aide» et «exigé la protection des civils et la fourniture immédiate de l’aide humanitaire».
Après la mise en échec par les Etats-Unis d’une résolution présentée par l’Algérie, tenant Israël pour responsable du massacre de plus d’une centaine de personnes lors d’une distribution d’aide humanitaire, à Ghaza, les membres du Conseil de sécurité de l’Onu se sont contentés de l’adoption du texte algérien, sous forme d’une «déclaration» plus nuancée.
Les Américains, faut-il le rappeler, se sont opposés à tout communiqué de presse du Conseil de sécurité, impliquant ou condamnant Israël ou de mentionner les victimes ou leur nombre. Leur ambassadeur adjoint auprès de l’Onu, Robert Wood, avait même expliqué aux médias : «Nous voulons obtenir les faits, afin que le langage nous permette de nous exprimer sur la question, mais que cela soit fait avec la diligence requise. Nous ne pourrons peut-être pas le faire.
Ou peut-être pouvons-nous trouver une formulation.» Dans le communiqué de presse adopté samedi soir, après trois jours de débats dans les coulisses et des réunions à huis clos, les membres du Conseil de sécurité sont arrivés à un consensus.
Ils se sont déclarés «profondément préoccupés» par «les informations selon lesquelles plus de 100 personnes ont perdu la vie et plusieurs centaines d'autres ont été blessées, notamment des personnes blessées par balles, comme l'a observé l’Ocha (Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires)». Pour eux, le massacre de 117 personnes par l’armée d’occupation est un «incident» qui «a impliqué les forces israéliennes au cours d'un grand rassemblement entourant un convoi d'aide humanitaire au sud-ouest de la ville de Ghaza».
Le Conseil de sécurité a joué à l’équilibrisme en mettant «toutes les parties» au conflit sur un pied d’égalité et en s’abstenant de citer le nom d’Israël.
En effet, cette haute institution de l’Onu chargée du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde a parlé de la «nécessité de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils et les infrastructures civiles», rappelé «à toutes les parties au conflit» qu’elles «doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, selon le cas», avant de les appeler «à s'abstenir de priver la population civile de la bande de Ghaza des services de base et de l'assistance humanitaire indispensables à sa survie, conformément au droit international humanitaire».
Les membres du Conseil de sécurité ont par ailleurs exprimé leurs «graves préoccupations quant à l'estimation de la Classification de phase intégrée (IPC) selon laquelle les 2,2 millions d'habitants de Ghaza seraient confrontés à des niveaux alarmants d'insécurité alimentaire aiguë» et demandé «une nouvelle fois, aux parties au conflit, d'autoriser, de faciliter et de permettre l'acheminement immédiat, rapide, sûr, durable et sans entrave d'une aide humanitaire à grande échelle à la population civile palestinienne dans toute la bande de Ghaza».
«Israël doit maintenir les postes frontaliers ouverts»
Les membres du Conseil ont, toutefois, exhorté «Israël à maintenir ouverts les postes frontaliers permettant à l'aide humanitaire d'entrer à Ghaza, à faciliter l'ouverture de points de passage supplémentaires pour répondre aux besoins humanitaires à grande échelle et à soutenir l'acheminement rapide et sûr des articles de secours à la population dans toute la bande de Ghaza».
C’est la seule fois où le nom de l’entité sioniste est cité du fait qu’elle contrôle totalement les accès des postes frontaliers de Ghaza et de tous les territoires occupés. Les membres du Conseil de sécurité ont par ailleurs affirmé avoir «pris note qu'une enquête israélienne est en cours sur cet incident» avant d’exprimer leurs «sincères condoléances aux familles des victimes» et en souhaitant «un prompt et complet rétablissement aux blessés».
Dès l’adoption de cette déclaration, le représentant de la Russie a affirmé aux médias : «La Russie regrette que le Conseil de sécurité ait échoué à appeler de manière claire à un cessez-le feu humanitaire à Ghaza. Malgré cela, nous avons décidé de ne pas entraver l’adoption de cette déclaration parce que son premier paragraphe est plus équilibré et plus précis.
Nous croyons avec force que le Conseil de sécurité est dans l’obligation de revenir avec une résolution qui exige un cessez-le feu humanitaire immédiat.» Pour certains, cette déclaration «marque un début», pour d’autres «c’est l’échec, car elle n’apporte rien à Ghaza», où le nombre des victimes a dépassé les 30 500 morts et 73 000 blessés, et la situation est décrite comme chaotique.
Les rapports officiels du week-end dernier, indique l’OMS (Organisation mondiale de la santé), précisent «qu'un dixième enfant a été officiellement enregistré dans un hôpital comme étant mort de faim». Selon le porte-parole de l’Organisation, Christian Lindmeier, «le bilan est très triste…(mais) les chiffres non officiels seraient malheureusement plus élevés».
Bien plus grave, d’après l’Ocha, «une personne sur quatre est confrontée à des niveaux d'insécurité alimentaire catastrophiques», suscitant une nouvelle inquiétude internationale, notamment, après que plus d’une centaine de Palestiniens aient été tués et plus de 700 autres blessés par des soldats israéliens au moment où ils tentaient d’obtenir des sacs de farine auprès d’un convoi d’aide humanitaire qui venait de franchir la frontière.
Le responsable de l’Oms a déclaré que «tous les services essentiels à Ghaza ont plus ou moins été coupés, notamment l'eau et l'électricité, immédiatement après les attaques du 7 octobre». Le porte-parole de l’Ocha, Jens Laerke, a déclaré qu’aujourd’hui «trouver de la nourriture à Ghaza est presque impossible (…) Les fondements mêmes de la subsistance quotidienne des gens sont détruits (…) Nous sommes confrontés à une situation désastreuse qui arrive à très grande vitesse».
«Il n’y a aucun mot pour qualifier les horreurs…»
Réitérant les appels répétés de l’ONU en faveur d’un cessez-le-feu, M. Lindmeier a affirmé, en outre, que «les morts tragiques survenues jeudi lors de l'incident avec le convoi d'aide ont mis en évidence à quel point les Ghazaouis avaient un besoin désespéré de nourriture, d’eau potable et d’autres produits de première nécessité, après près de cinq mois de guerre.
C’est là le vrai drame, c’est la véritable catastrophe ici, que la nourriture et les fournitures soient si rares que nous voyons ces situations se produire. Et les approvisionnements alimentaires ont été délibérément coupés».
La situation humanitaire à Ghaza est décrite par le haut commissaire onusien aux droits de l’homme, Volker Türk, de manière désespérante : «Il semble qu’il n’y ait aucun mot pour qualifier les horreurs qui se déroulent devant nos yeux à Ghaza.» Abondant dans le même sens, le rapporteur spécial de l’Onu sur le droit à l’alimentation a été plus direct en affirmant : «Israël s’efforce à affamer le peuple palestinien à Ghaza depuis le 8 octobre.
La seule façon de prévenir la famine à Ghaza est un cessez-le-feu immédiat». Pour Onu-Femmes, la guerre à Ghaza a des effets dévastateurs sur les femmes. «Elles sont 9000 qui auraient été tuées par les forces israéliennes à Ghaza.
Ce chiffre est probablement sous-estimé, car beaucoup plus de femmes seraient mortes sous les décombres», a indiqué l’agence onusienne dans un communiqué de presse. «A moins d’un cessez-le-feu humanitaire immédiat, de nombreuses autres personnes mourront dans les jours et semaines à venir.
Les massacres, les bombardements et la destruction des infrastructures essentielles à Ghaza doivent cesser. L’aide humanitaire doit entrer et traverser Ghaza immédiatement», a déclaré ONU-Femmes.
Durant son point de presse de samedi dernier, Stephane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’Onu, avait annoncé «la décision prise par la Commission européenne de débloquer immédiatement 50 millions d’euros en faveur de l’Unrwa», l’agence onusienne qui se charge de maintenir en survie les réfugiés palestiniens, notamment à Ghaza.
Le montant «fait vraisemblablement partie des 82 millions d’euros d’aide qui seront mis en œuvre cette année par l’intermédiaire de l’Unrwa. Le secrétaire général espère vivement que d’autres donateurs suivront cet exemple et soutiendront l’Unrwa».
Une aide suspendue par plus d’une dizaine de pays, à leur tête les Etats-Unis, et de nombreux pays européens, à la suite des allégations (sans preuves à ce jour) d’Israël contre 12 travailleurs de l’agence onusienne, portant sur leur prétendue participation à l’attaque du 7 octobre dernier.