Après le discours d’Emmanuel Macron : La colère des dirigeants africains

08/01/2025 mis à jour: 20:06
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Entre 2022 et 2023, quatre anciennes colonies françaises, le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso, ont enjoint Paris de retirer son armée de leurs territoires. Le mois dernier, à quelques heures d’intervalle, le Sénégal et le Tchad ont à leur tour annoncé le départ des militaires français de leur sol.

Le président tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, a exprimé hier son «indignation» et estimé que le président français Emmanuel Macron «se trompe d’époque». Déclaration qui intervient au lendemain des propos de ce dernier, qui a notamment regretté que les dirigeants africains aient «oublié de dire merci» à la France pour son intervention antiterroriste au Sahel, rapporte l’AFP. «Je voudrais exprimer mon indignation vis-à-vis des propos récemment tenus par le président Macron, qui frisent le mépris envers l’Afrique et les Africains.

Je crois qu’il se trompe d’époque», a dit Mahamat Idriss Déby Itno dans un discours prononcé au palais présidentiel lors d’une série de vœux, et publié sur la page Facebook de la présidence tchadienne. La France a eu «raison» d’intervenir militairement au Sahel «contre le terrorisme depuis 2013», mais les dirigeants africains ont «oublié de nous dire merci», a déclaré lundi Emmanuel Macron à Paris lors de la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, estimant qu’«aucun d’entre eux» ne gérerait un pays souverain sans cette intervention. 

«Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence. Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l’annonce», a précisé E. Macron lundi en évoquant le retrait militaire français, généralement forcé, d’un certain nombre de pays africains ces dernières années. 

«En ce qui concerne le Tchad, la décision de mettre fin à l’accord de coopération militaire avec la France est entièrement une décision souveraine du Tchad. Cela ne souffre d’aucune ambiguïté», a rétorqué le président Déby. Lundi, le ministre tchadien des Affaires étrangères a qualifié d’«attitude méprisante» les propos du président français.

«Le gouvernement de la République du Tchad exprime sa vive préoccupation suite aux propos tenus récemment par le président de la République française, Emmanuel Macron, qui reflètent une attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains», a déclaré Abderaman Koulamallah dans un communiqué lu à la télévision d’Etat. Il a rappelé qu’il n’a aucun problème avec la France mais que «les dirigeants français doivent apprendre à respecter le peuple africain».

Dakar rappelle l’exemple de la Libye

Abderaman Koulamallah a souligné le «rôle déterminant» de l’Afrique et du Tchad dans la libération de la France lors des deux guerres mondiales que «la France n’a jamais véritablement reconnu» ainsi que «les sacrifices consentis par les soldats africains». «En 60 ans de présence (...), la contribution française a souvent été limitée à des intérêts stratégiques propres, sans véritable impact durable pour le développement du peuple tchadien», a-t-il observé.

«Le peuple tchadien aspire à une souveraineté pleine et entière, à une véritable indépendance, et à la construction d’un Etat fort et autonome», a soutenu A. Koulamallah. «Nous invitons nos partenaires, y compris la France, à intégrer cette aspiration légitime dans leur approche des relations avec l’Afrique», a-t-il indiqué.

Un peu plus tard, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a contesté que le retrait annoncé des soldats français de son pays aurait donné lieu à des négociations entre Paris et Dakar. Il a qualifié sur les réseaux sociaux de «totalement erronée» l’affirmation selon laquelle le départ annoncé des quelques centaines de soldats français ferait suite à une proposition de la France, qui aurait laissé aux pays concernés par une réorganisation de la présence militaire française la primeur d’annoncer de tels retraits.

«Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain», a dit O. Sonko, dont le pays a annoncé ces dernières semaines la fin en 2025 de toute présence militaire française et étrangère sur le sol national. Il a aussi apporté un contredit aux déclarations de E. Macron fustigeant «l’ingratitude» de dirigeants africains.

«La France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté. Bien au contraire, elle a souvent contribué à déstabiliser certains pays africains, comme la Libye, avec des conséquences désastreuses notées sur la stabilité et la sécurité du Sahel», a répliqué O. Sonko.

Il a rappelé à son tour le rôle des soldats africains, «quelquefois mobilisés de force, maltraités et finalement trahis» lors des deux guerres mondiales. Sans l’apport de l’Afrique, a-t-il écrit, la France serait peut-être aujourd’hui encore allemande. En France, les assertions de E. Macron ont suscité la réaction du parti de gauche radicale La France insoumise (LFI), qui a évoqué le «paternalisme» du chef de l’Etat français. Déclarations qui «relèvent d’un aveuglement qui confine à la folie» et révèlent «un paternalisme néocolonial tout bonnement intolérable», a dénoncé LFI dans un communiqué.

«De tels propos sont politiquement inconséquents et diplomatiquement totalement irresponsables et fragilisent encore davantage nos relations avec les nations d’Afrique de l’Ouest», a-t-il ajouté. Mais les propos du président Macron au sujet «du départ prétendument négocié de l’armée française au Sénégal et au Tchad sont démentis par les deux pays», a relevé le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, sur le réseau social X. Et d’ajouter : «Encore une fois, la désinvolture et les paroles non maîtrisées aggravent les relations internationales de notre pays.»

L’ex-puissance coloniale française a compté jusqu’à plus de 5000 militaires au Sahel dans le cadre de l’opération antidjihadiste «Barkhane», stoppée fin novembre 2022 sans atteindre son objectif, à savoir l’éradication du terrorisme dans la région.

Entre 2022 et 2023, quatre anciennes colonies françaises, le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso, ont enjoint Paris de retirer son armée de leurs territoires. Le mois dernier, à quelques heures d’intervalle, le Sénégal et le Tchad ont à leur tour annoncé le départ des militaires français de leur sol et officialisé une «réorganisation».

En janvier, la Côte d’Ivoire a également annoncé que la base militaire française de Port-Bouet, près d’Abidjan, serait rétrocédée au pays. Au pouvoir depuis 2021, le président tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, a déjà qualifié ces accords de «complètement obsolètes», face «aux réalités politiques et géostratégiques de notre temps». 
 

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