Al Joulani désigne Mohammad Al Bashir à la tête de l’Exécutif à Damas : Une phase de transition de trois mois pour sortir de la dictature

11/12/2024 mis à jour: 17:52
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Photo : D. R.

Le tout premier chef de gouvernement de l’ère post-Al Assad, Mohammad Al Bashir, avait déjà été désigné en janvier 2024 pour diriger le gouvernement autonome d’Idleb appelé «Houkoumat al Inqadh» (Gouvernement du salut). Cette administration autonome avait été mise en place en 2017 alors que ce gouvernorat du Nord s’était complètement détaché du pouvoir central de Damas. C’est donc fort de cette expérience que cet ingénieur électronicien de formation a été choisi pour diriger la transition en Syrie.

Abou Mohammad Al Joulani, de son vrai nom Ahmed Hussein Al Sharaa, leader de l’organisation islamiste Hayat Tahrir Al Sham (HTS) et nouvel homme fort de la Syrie, a désigné Mohammad Al Bashir, qui n’est autre que le chef du «Gouvernement du salut» d’Idleb, pour diriger le premier Exécutif post-Al Assad. Il remplace ainsi le Premier ministre Mohammad Al Jalali, mais tout porte à croire que les deux hommes vont collaborer ensemble.

«Nouveau Premier ministre syrien Mohammad Al Bashir : ‘‘Le commandement général nous a chargé de diriger le gouvernement de transition jusqu’au 1er mars (2025)’’», a annoncé hier l’agence de presse officielle Sana qui, faut-il le remarquer, a complètement changé de ton, tout comme la télévision d’Etat, à la faveur de la révolution du 8 décembre qui a emporté Bachar Al Assad et son clan.

Mohammad Al Bashir dispose donc d’à peine quatre mois pour préparer le terrain à la nouvelle architecture institutionnelle dont, pour l’heure, les contours ne sont pas encore clairs. Et pour cause : le commandant en chef de la rébellion syrienne, Abou Mohammad Al Joulani, n’a pas encore annoncé de feuille de route pour les semaines et les mois qui viennent, ayant été lui-même surpris par la rapidité avec laquelle le régime d’Al Assad est tombé. D’un autre côté, les insurgés ont besoin de temps pour élargir les consultations à l’ensemble du spectre politique syrien et toutes les forces susceptibles de contribuer à la reconstruction politique et institutionnelle du pays après 54 ans de dictature sous l’emprise du Baâth.

«Les services de sécurité seront dissous»

«La nomination de M. Al Bashir est intervenue lundi à l’issue d’une réunion consacrée aux modalités de transfert du pouvoir pour empêcher que la Syrie ne sombre dans le chaos», rapporte Al Jazeera sur son site web. «La réunion comprenait le chef de Hayat Tahrir Al Sham, Ahmed Al Sharaa, Mohammed Al Bashir et Al Jalali (…). Al Sharaa a souligné que le Gouvernement du salut dispose d’une expertise et qu’il a commencé à travailler à partir de zéro», ajoute Al jazeera.

Mohammad Al Bashir a été désigné en janvier 2024 pour diriger ce gouvernement autonome d’Idleb, appelé «Houkoumat al Inqadh» (Gouvernement du salut), et qui a été mis en place en 2017 alors que le gouvernorat d’Idleb, fief des milices de HTS, s’est détaché du gouvernement central de Damas. C’est donc fort de cette expérience que cet ingénieur électronicien de formation a été choisi pour diriger la transition en cette période extrêmement délicate. 

Des sources proches de la nouvelle direction politique ont déclaré à Al Jazeera que durant cette période de transition, «les services de sécurité seront dissous et les lois sur le terrorisme abrogées». «L’état actuel de l’armée sera revu et réorganisé», ajoute le média qatari. «Le contrôle de la sécurité, la fourniture de services et une transition en douceur seront des priorités pour le gouvernement intérimaire», ont précisé encore ces sources.

Le gouvernement de Mohammad Al Bashir aura surtout pour tâche de «préparer le terrain pour un gouvernement permanent», et d’ores et déjà «des consultations sont engagées» en vue de la formation d’un Exécutif durable. «Pendant ce temps, les administrations syriennes se préparent à reprendre le travail après avoir été fermées ces deux derniers jours suite à la prise de la capitale, Damas, par l’opposition armée», poursuit Al Jazeera. Le Premier ministre Mohammad Al Jalali a «appelé les travailleurs et les employés à reprendre le travail et à remplir leur mission envers les citoyens dès aujourd’hui (mardi, ndlr)».

Nous le disions : le ton dans les médias officiels syriens a bien changé. L’agence Sana a ainsi annoncé sur son compte Facebook : «Damas reprend vie, ses monuments éclatent de beauté, ses rues bourdonnent de joie. Damas est l’histoire d’une ville qui ne plie pas devant l’adversité.» A l’appui, des images d’une capitale apaisée et sans heurts où les choses commencent à rentrer dans l’ordre peu à peu.

Des images tout aussi feutrées montrent une ville de Homs paisible et résiliente. Les images sont assorties de ce commentaire, complètement inimaginable il y a une semaine : «Des photos aériennes montrent la ville de Homs après sa libération du régime criminel.» 

Dans une déclaration relayée par la télévision officielle, qui désormais arbore le drapeau des rebelles, un responsable de HTS, Mohammed Abdel Rahmane, a assuré que «les forces armées œuvrent à sécuriser les bâtiments gouvernementaux et les installations publiques et privées, et mènent des patrouilles pour assurer la sécurité à Damas», rapporte l’AFP. 

Parallèlement à ce changement progressif de décor dans le paysage institutionnel et médiatique, l’une des grandes hantises des Syriens en ces jours tumultueux est de retrouver leurs proches dont ils n’ont plus de nouvelles, pour certains, depuis les premiers soulèvements de 2011, et pour d’autres depuis bien avant, de pauvres innocents ayant été arrêtés à l’époque d’Al Assad père et n’ont plus jamais revu la lumière.

Recherches interrompues dans les cachots de Saydnaya

Depuis dimanche, les foules restent massivement campées toute la journée devant le terrifiant pénitencier de Saydnaya, dans la banlieue de Damas, en quête du moindre signe de vie. Hier, les «Casques blancs», ces équipes de la défense civile, après avoir ratissé de fond en comble toutes les cellules et creusé dans les galeries souterraines de la prison, ont déclaré n’avoir pas réussi à trouver d’autres détenus. «Invoquant l’existence de ‘‘cellules souterraines cachées’’, le groupe de secours des Casques blancs y a mené des fouilles, à l’aide ‘‘des spécialistes de l’abattage des murs et des équipes chargées d’ouvrir les portes en fer’’», détaille l’AFP. En vain. Les secouristes ont émis ce communiqué : «Les Casques blancs annoncent la conclusion des opérations de recherche (...) sans avoir trouvé de lieux secrets ou cachés dans cette prison», ont-ils annoncé. 

A l’hôpital militaire Harasta, plusieurs corps sans vie ont été retrouvés, langés dans des draps ensanglantés. Les dépouilles portaient des numéros. «C’était un spectacle horrible : une quarantaine de corps étaient empilés, montrant des signes de tortures effroyables», a décrit auprès de l’AFP Mohammed Al Hajj, un membre des factions rebelles du sud du pays.

L’AFP «a pu voir des dizaines de photographies et de séquences vidéo que M. Al Hajj dit avoir prises lui-même, et qui montrent des cadavres présentant des signes évidents de torture : yeux et dents arrachés, éclaboussures de sang, ecchymoses», affirme l’agence de presse.

Le cofondateur de l’Association des détenus et des disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP), Diab Serriya, a affirmé à la même agence que les corps étaient probablement ceux de détenus de la prison de Saydnaya. Selon l’OSDH, «plus de 100 000 personnes ont perdu la vie à Saydnaya, pour la plupart sous la torture» depuis le soulèvement de 2011. Sur les réseaux sociaux circulent de nombreuses vidéos depuis la chute d’Al Assad montrant des détenus libérés. Beaucoup d’entre eux ont l’air hébété, le regard vide ; d’autres ont complètement perdu la raison et montrent des signes de démence, conséquence des tortures inimaginables et du traitement inhumain qu’ils ont subi. 

Listes de tortionnaires

Le chef du groupe HTS, Abou Mohammad Al Joulani, a assuré que toutes les personnes impliquées dans la torture du peuple syrien devront répondre de leurs actes, soulignant que «les crimes contre l’humanité ne resteraient pas impunis».

Dans une déclaration publiée sur Telegram, il a expliqué que «la poursuite des criminels de guerre inclura la demande d’extradition des pays vers lesquels ils se sont enfuis afin de les traduire en justice». Il a également annoncé son intention de publier «une liste numéro un qui comprend les noms des hauts responsables impliqués dans les tortures contre le peuple syrien». «Nous offrirons des récompenses à quiconque fournira des informations sur les hauts responsables de l’armée et de la sécurité impliqués dans des crimes de guerre», a-t-il promis.

«Le sang des martyrs ne sera pas vain», a-t-il martelé solennellement. «Le pardon et l’amnistie ne seront accordés qu’à ceux dont les mains ne sont pas tachées du sang des Syriens», a-t-il précisé, «en particulier à ceux qui ont effectué leur service obligatoire sans avoir commis de crimes». Abou Mohammad Al Joulani a conclu son message en disant : «La justice suivra son cours.»

Ce mardi, Ali Mahmoud, un officier supérieur proche du général Maher Al Assad, qui n’est autre que le frère de Bachar Al Assad et qui était le commandant en chef de la 4e division blindée de l’armée syrienne, a été retrouvé mort, assassiné de plusieurs balles dans le corps. «Ali Mahmoud, l’un des chefs de bureau de Maher Al Assad, a été retrouvé abattu dans son bureau au siège de la quatrième division à Saboura», ont rapporté plusieurs sources syriennes, images à l’appui.

C’est un peu pour éviter ce genre de règlements de comptes qu’Al Joulani a annoncé ces mesures judiciaires, lui qui avait déclaré dès son entrée triomphale à Damas : «Il n’y aura pas de vengeance.» 
Au vu de toutes les atrocités qu’elle a connues et des cauchemars qui la taraudent, la société syrienne a besoin d’une vraie justice transitionnelle pour apaiser ses souffrances et exorciser ses démons.

 

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