Les trois magistrats de la 1re chambre de la Cour pénale internationale (CPI) ont décidé, à l’unanimité, d’émettre, jeudi dernier, des mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant, démis de son poste le 5 novembre dernier, pour des «crimes de guerre et contre l’humanité» commis à Ghaza, entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024, date à laquelle le procureur en chef de la CPI avait requis les mandats d’arrêt.
En ce qui concerne les crimes, la Chambre a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Netanyahu, né le 21 octobre 1949, Premier ministre d’Israël au moment des faits reprochés, et Gallant, né le 8 novembre 1958, ministre de la Défense d’Israël au moment des faits reprochés, portent chacun la responsabilité pénale des crimes suivants en tant que coauteurs pour avoir commis les actes conjointement avec d’autres : «le crime de guerre de famine comme méthode de guerre ; et les crimes contre l’humanité de meurtres, de persécution et d’autres actes inhumains».
La Chambre a également trouvé des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant portent chacun une responsabilité pénale en tant que supérieurs civils pour le crime de guerre consistant à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile. La Chambre a, par ailleurs, affirmé que le comportement allégué de Netanyahu et de Gallant concernait les activités des organes gouvernementaux israéliens et des forces armées contre la population civile en Palestine, plus précisément les civils de Ghaza. Il concernait donc la relation entre deux parties à un conflit armé international, ainsi que la relation entre une puissance occupante et la population d’un territoire occupé. Pour ces raisons, en ce qui concerne les crimes de guerre, la Chambre a jugé approprié de «délivrer les mandats d’arrêt en vertu du droit des conflits armés internationaux».
Elle a estimé que «les crimes contre l’humanité allégués faisaient partie d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile de Ghaza (…) il existe donc, affirme la Chambre, «des motifs raisonnables de croire que les deux individus avaient intentionnellement et sciemment privé la population civile de Ghaza d’éléments indispensables à sa survie, notamment de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité, du 8 octobre 2023 au 20 mai 2024 au moins.
Cette conclusion se fonde sur le rôle de M. Netanyahu et de M. Gallant dans l’entrave à l’aide humanitaire en violation du droit international humanitaire et sur leur incapacité à faciliter les secours par tous les moyens à leur disposition». Pour la Chambre, le comportement (des deux dirigeants) avait entraîné une perturbation de la capacité des organisations humanitaires à fournir de la nourriture et d’autres biens essentiels à la population dans le besoin à Ghaza» et «les restrictions susmentionnées, ainsi que la coupure d’électricité et la réduction de l’approvisionnement en carburant, ont également eu de graves répercussions sur la disponibilité de l’eau à Ghaza et sur la capacité des hôpitaux à fournir des soins médicaux».
Accusé d’avoir affamé les palestiniens
La Chambre a également noté que les décisions autorisant ou augmentant l’aide humanitaire à Ghaza étaient souvent conditionnelles (…) et répondaient souvent à la pression de la communauté internationale ou aux demandes des Etats-Unis d’Amérique. En tout état de cause, l’augmentation de l’aide humanitaire n’était pas suffisante pour améliorer l’accès de la population aux biens essentiels (…) «Il y a donc des motifs raisonnables de croire qu’aucun besoin militaire clair ni aucune autre justification au regard du droit international humanitaire ne pouvaient être identifiés pour justifier les restrictions imposées à l’accès des opérations d’aide humanitaire».
Pour les magistrats, malgré les avertissements et les appels lancés, par la communauté internationale, le Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’Onu, les Etats, les organisations gouvernementales et la société civile au sujet de la situation humanitaire à Ghaza, «seule une aide humanitaire minimale a été autorisée».
A cet égard, la Chambre a pris en considération «la période prolongée de privation et la déclaration de Netanyahu établissant un lien entre l’arrêt des biens essentiels et de l’aide humanitaire et les objectifs de la guerre» et estimé «qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant étaient pénalement responsables du crime de guerre consistant à ‘‘faminer’’ comme méthode de guerre». Elle a conclu «qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le manque de nourriture, d’eau, d’électricité et de carburant, ainsi que de fournitures médicales spécifiques, avait créé des conditions de vie propres à entraîner la destruction d’une partie de la population civile de Ghaza, et la mort de civils, notamment d’enfants, en raison de malnutrition et de déshydratation».
La Chambre a souligné par ailleurs que sur la base des éléments présentés par l’accusation, la Chambre n’a pas pu déterminer que tous les éléments constitutifs du crime contre l’humanité d’extermination étaient réunis, «néanmoins, elle a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le crime contre l’humanité de meurtre avait été commis à l’égard de ces victimes». Pour les magistrats, «en limitant ou en empêchant, les fourniture médicales et les médicaments, notamment d’anesthésie», «les deux individus sont également responsables d’avoir infligé de grandes souffrances à des personnes ayant besoin de soins au moyen d’actes inhumains (…) et causant une douleur et des souffrances extrêmes. Cela constitue un crime contre l’humanité pour d’autres actes inhumains». Elle a affirmé qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les actes susmentionnés avaient privé une partie importante de la population civile de Ghaza de ses droits fondamentaux, notamment du droit à la vie et à la santé, et que cette population avait été ciblée pour des raisons politiques et/ou nationales. Elle a donc conclu que «le crime contre l’humanité de persécution avait été commis».
Dans son communiqué, la CPI a donc affirmé que la 1re Chambre a estimé «qu’il existait des motifs raisonnables de croire» que Netanyahu et Gallant «étaient pénalement responsables, en tant que supérieurs civils, du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile de Ghaza». À cet égard, elle a également relevé «que les éléments fournis par l’Accusation ne lui permettaient de tirer des conclusions que sur deux incidents qualifiés d’attaques dirigées intentionnellement contre des civils. Il existe des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant, bien qu’ils disposaient de mesures pour prévenir ou réprimer la commission de crimes ou pour garantir que l’affaire soit soumise aux autorités compétentes, ne l’ont pas fait».
Par ailleurs, la 1re Chambre pénale a rejeté deux recours introduits par Israël, l’un contestant la compétence de la Cour sur la situation en Palestine et sur les ressortissants israéliens, et l’autre demandant aux magistrats d’ordonner à l’accusation une nouvelle notification de l’ouverture d’une enquête et de suspendre toutes les mesures y compris celles liées aux demandes d’émission de mandats d’arrêt contre les deux dirigeants israéliens, par le procureur en chef. Dans son communiqué rendu public jeudi dernier, la 1re Chambre préliminaire a estimé, en ce qui concerne la première exception, que l’acceptation par Israël de la compétence de la Cour «n’était pas nécessaire, car celle-ci (la cour) pouvait exercer sa compétence sur la base de la compétence territoriale de la Palestine, telle que déterminée par la 1ère Chambre préliminaire dans une composition antérieure».
Des mandats « classés secrets pour protéger les témoins »
Elle a ajouté : «Que conformément à l’article 19-1 du Statut, les Etats n’étaient pas en droit de contester la compétence de la Cour en vertu de l’article 19-2 avant la délivrance d’un mandat d’arrêt. La contestation d’Israël est donc prématurée. Cela est sans préjudice de toute contestation future éventuelle de la compétence de la Cour et/ou de la recevabilité d’une affaire particulière.» Unanimement, les trois magistrats de la Chambre ont rappelé que «l’accusation avait notifié à Israël l’ouverture d’une enquête en 2021.
A l’époque, malgré une demande de clarification de l’Accusation, Israël avait choisi de ne pas donner suite à une demande de report de l’enquête» et souligné que «les paramètres de l’enquête dans la situation en question étaient restés les mêmes et qu’en conséquence, aucune nouvelle notification à l’État d’Israël n’était nécessaire», avant de conclure : «A la lumière de ce qui précède, les juges ont estimé qu’il n’y avait aucune raison de suspendre l’examen des demandes de mandat d’arrêt.» Par ailleurs, la Cour a décidé que les mandats d’arrêt émis contre Netanyahu, Gallant mais aussi contre un responsable du Hamas, Mohamed Deif, (qui aurait été tué dans une attaque israélienne), sont classés « secrets » afin de protéger les témoins et de garantir le bon déroulement de l’enquête. Premier concerné, Netanyahu l’a qualifiée «antisémite». Les responsables américains étaient nombreux à régir contre la décision de la CPI. A commencer par le président Biden, qui a qualifié les mesures de la Cour contre les dirigeants israéliens de «honte». Salima Tlemçani
L’Algérie s’est félicité «vivement» de la décision de la CPI
L’Algérie s’est félicitée « vivement » des mandats d’arrêt émis, jeudi dernier, par la Cour pénale internationale (CPI) contre deux responsables israélien pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la bande de Ghaza, a indiqué un communiqué du ministère des Affaires étrangères, de la Communauté nationale à l’étranger et des Affaires africaines. «Cette mesure que l’Algérie n’a eu de cesse de réclamer par la voix du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, constitue un pas important et une avancée concrète vers la fin de décennies d’immunité et d’impunité dont a bénéficié l’occupant israélien alors qu’il se livrait à des crimes contre le peuple palestinien et dans l’ensemble des pays de la région», lit-on dans le communiqué. Afin de rendre justice au peuple palestinien et de le protéger, «l’Algérie exhorte les membres de la communauté internationale, notamment les Etats membres de la CPI, à prendre les mesures requises et nécessaires à l’exécution de ces mandats d’arrêt et à laisser la justice internationale suivre son cours», ajoute la même source. (APS)