Le ton belliqueux et souvent arrogant des ministres français des Affaires étrangères et de l’Intérieur ressemble davantage à des gesticulations insignifiantes qu’à une véritable crise diplomatique.
Depuis le début de l’année, les relations entre la France et l’Algérie, déjà tendues, ont basculé dans une véritable crise diplomatique Dernier épisode en date : l’expulsion par Paris du tiktokeur Doualemn, suivie du refus d’Alger de l’accueillir sur son sol. L’échange d’accusations qui s’ensuivit a plongé les deux pays dans une spirale de déclarations incendiaires. «Le ton belliqueux et souvent arrogant des ministres français des Affaires étrangères et de l’Intérieur ressemble davantage à des gesticulations insignifiantes qu’à une véritable crise diplomatique», nuance, néanmoins, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et diplomate algérien.
Selon lui, cette crise révèle une méconnaissance des sensibilités algériennes et des enjeux de souveraineté, exacerbée par la montée du populisme en France. Il affirme : «Ils ont cherché – et réussi – à faire de l’Algérie une priorité de leur agenda politique, sans comprendre que cela conduira inévitablement à des crises répétées et à des affrontements de souveraineté entre les deux pays.
La montée du populisme dans des pays au passé colonial ou fasciste, tels que la France, l’Allemagne et l’Italie, a exacerbé l’exploitation de la mémoire négative par certaines élites politiques, sociales et médiatiques parmi les plus influentes.» L’affaire Doualemn – du nom de ce tiktokeur expulsé de France – initialement présentée par la France comme une mesure judiciaire consécutive à la publication d’une vidéo controversée, a été perçue par Alger comme une «expulsion arbitraire», mettant en cause une partie de la classe politique française accusée d’instrumentaliser la relation franco-algérienne à des fins populistes.
Le fait est, selon Alger, que cet homme vit en France depuis 36 ans, possède une carte de séjour depuis 15 ans, est père de deux enfants nés de son mariage avec une Française et a un emploi stable depuis 15 ans. Pour le ministère des Affaires étrangères algérien, «toutes ces données lui confèrent indubitablement des droits que son expulsion précipitée et contestable l’a empêché de faire valoir tant devant les juridictions françaises qu’européennes».
«L’Algérie n’est, d’aucune façon, engagée dans une logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation», a affirmé samedi le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. «L’extrême droite revancharde et haineuse, ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français, mènent actuellement une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie». Or, cette expulsion ratée est perçue par Paris comme une «humiliation».
Et le porte-parole du Quai d’Orsay, Christophe Lemoine, d’affirmer que «les autorités algériennes ont adopté une attitude assez hostile vis-à-vis de la France». Pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, «l’Algérie cherche à humilier la France». Et le ministre de la Justice de renchérir : «Cette humiliation qu’on veut nous faire subir n’est pas acceptable.» Et Gabriel Attal, ancien Premier ministre français, d’appeler à des mesures fermes et de dénoncer l’Accord de 1968 qui conférerait un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France. D’ores et déjà, la bataille des visas est lancée.
Ne pas céder aux pressions
Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, a adopté un ton particulièrement offensif, affirmant que la France «n’aura pas d’autre possibilité que de riposter». Il a évoqué des mesures de rétorsion potentielles, allant de la réduction des aides au développement à la diminution des droits de douane et des visas accordés aux Algériens.
«Parmi les leviers que nous pourrions activer, figurent les visas (…), l’aide au développement» ou encore «un certain nombre d’autres sujets de coopération», a détaillé Jean-Noël Barrot sur la chaîne française LCI, se disant «stupéfait» que les autorités algériennes aient «refusé de reprendre un de leurs ressortissants», dont le dossier est désormais «judiciarisé» en France.
Le ministre français de la Justice a embrayé, affirmant vouloir «supprimer» l’accord intergouvernemental franco-algérien de 2013 qui permet à la nomenklatura algérienne de se rendre en France sans visa. «Il y a un accord de 2013 qui est un accord gouvernemental qui permet à ceux qui ont un passeport officiel, un passeport diplomatique algérien, il y en a des milliers», de «venir en France sans visa pour pouvoir circuler librement», a-t-il précisé.
«Toucher les dirigeants ou la plupart des dirigeants algériens qui ont la position de décision d’humiliation, comme l’a évoqué le ministre de l’Intérieur (Bruno Retailleau, ndlr), ça me parait plus intelligent, plus efficace et ça peut se faire très rapidement», a développé le garde des Sceaux français. Pour l’heure, Alger reste de marbre face aux déclarations françaises tous azimuts, confirmant ainsi son refus de céder à toute forme de pression.
Démission du conseiller diplomatique de Macron
Le conseiller diplomatique du président de la République français, Emmanuel Macron, a présenté, vendredi 10 janvier, sa démission, a révélé le quotidien d’enquête La Lettre. Le président Macron l’a refusée ainsi que le laisse entendre le commentaire de la présidence française : «Emmanuel Bonne a la confiance du président de la République et quittera ses fonctions lorsqu’il le souhaitera.»
Le quotidien Le Monde croit savoir que la décision a été prise «pour manifester sa colère après un incident survenu peu avant le départ d’Emmanuel Macron et de ses conseillers pour Londres, jeudi 9 janvier».
«Le geste du diplomate de 54 ans, en fonction auprès d’Emmanuel Macron depuis mai 2019, s’explique par une forme de lassitude transformée en coup de gueule.Depuis près de six ans, il fait preuve d’une grande loyauté et d’un investissement total auprès du chef de l’Etat, mais celui-ci ne cesse de consulter Pierre, Paul et Jacques comme il le fait dans tous les domaines, rendant difficile le travail de ses conseillers officiels», note de son côté l’Opinon.
Et d’ajouter : «Circonstance aggravante, dans le climat actuel, les affaires étrangères deviennent des affaires intérieures, permettant à chacun de montrer ses muscles : Gabriel Attal demande la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, s’appuie sur les militaires pour étendre son domaine, etc.»
Selon Le Monde, «l’incertitude demeurait encore hier sur la réalité» du départ du conseiller. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Grenoble, section Service public, le diplomate est titulaire d’un DEA de relations internationales préparé à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Il a été nommé conseiller diplomatique du président Macron en mai 2019. R. P.