Sécurité alimentaire et stress hydrique : Nouveau plaidoyer pour le dessalement de l’eau de mer

28/08/2023 mis à jour: 00:36
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Photo : D. R.

Le monde devrait abriter près de 10 milliards de personnes d’ici 2050. Nourrir durablement cette population en pleine explosion nécessite de relever simultanément les défis auxquels sont confrontés, à la fois, les personnes, l’environnement et le climat. Et le dessalement semble être la meilleure solution à l’équation : souveraineté alimentaire et stress hydrique.

Selon World Resources Institute, une cellule de réflexion américaine, fondée en 1982 spécialisée dans les questions environnementales, quelque 800 millions de personnes sont confrontées à la faim dans le monde et «la recherche a montré que le monde devra combler un écart de 56% entre la quantité de nourriture disponible aujourd’hui et celle requise d’ici 2050». Mais malheureusement, les systèmes de production alimentaire non durables sont justement, en grande partie, responsables de la destruction des écosystèmes mondiaux et alimentent fortement le changement climatique.

En effet, dans la plupart des régions du monde, plus de 70% de l’eau douce est utilisée dans l’agriculture.

Et dans un contexte de stress hydrique important, qui affecte la sécurité alimentaire, le dessalement de l’eau de mer pourrait constituer, selon les experts, une des solutions les plus efficaces à mettre en œuvre pour résoudre l’équation : souveraineté alimentaire dans un contexte de déficit hydrique. Il faut savoir que la FAO définit un Etat de stress hydrique comme ayant au moins 20% de ses ressources en eau renouvelables consommées par le secteur agricole. «S’il devait atteindre 40%, il serait considéré comme soumis à un degré critique de stress», explique d’abord Hacène Mahmoudi, professeur à l’université de Chlef et spécialiste du dessalement.

Selon lui, pour établir la relation entre le dessalement et la sécurité alimentaire, il est important d’expliquer, d’abord, pourquoi le dessalement est nécessaire. «Il faut savoir qu’entre 1960 et 1997, la disponibilité d’eau douce par habitant dans le monde a diminué d’environ 60%. Une autre diminution dépassant les 50% de l’approvisionnement en eau par habitant est prévue d’ici 2030», affirme M. Mahmoudi. Précisant que la demande en eau dépasse déjà l’offre dans près de 80 pays, représentant plus de 40% de la population mondiale. En ce qui concerne donc la sécurité alimentaire, M. Mahmoudi explique que la quantité d’eau nécessaire pour répondre aux besoins alimentaires dépend des préférences alimentaires et de la façon dont la nourriture est produite.

Cette relation peut, selon lui, être démontrée par la consommation croissante de viande dans les pays développés. Sachant qu’une grande consommation de viande conduit automatiquement à une plus grande quantité d’eau utilisée par personne et par jour. A ce propos, le chercheur explique : «Il est estimé qu’un régime végétarien nécessite 2000 litres d’eau par personne et par jour, alors que ce chiffre monte à 5000 litres pour un régime riche en viande.»

Ainsi, la prise en compte de «l’empreinte eau» des aliments est, selon M. Mahmoudi, une fonction essentielle du concept d’eau virtuelle qui représente la teneur en eau intégrée d’un produit agricole. «Il s’agit d’un outil très utile sur lequel pourraient s’appuyer les décisions, car il permet d’avoir une vision globale sur la consommation en eau des produits agricoles et définit, au mieux, à quel moment il est préférable d’importer des denrées alimentaires plutôt que de consommer des ressources en eau domestiques dans leur production locale», explique M. Mahmoudi. L’objectif est donc, selon le spécialiste, de viser la solution optimale qui tienne compte de ces dynamismes. «Autrement dit, il faut penser à recourir à l’importation lorsque les prix sont bas et utiliser les ressources en eau locales lorsque les prix sont élevés. De plus, le principe de l’eau virtuelle permet indirectement la préservation des terres agricoles contre la salinisation et la perte de fertilité ainsi que la compensation entre les taux d’extraction de l’eau et ceux du renouvellement des nappes et puits», précise-t-il.

Réduire le gaspillage

Finalement, l’eau et la nourriture sont interconnectées, d’autant plus que 70% de la consommation mondiale d’eau est consommée par l’agriculture, principalement pour l’irrigation. Mais comment peut-on, justement, mettre à profit, de manière écologique, le dessalement afin de garantir la sécurité alimentaire ? Selon M. Mahmoudi, les serres classiques constituent déjà une solution reconnue pour la production alimentaire, avec quelque 5,4 millions d’hectares de serres installées dans le monde, produisant 60% des légumes consommés.

«Bien que l’irrigation ne soit pas une nouvelle technologie, son utilisation contrôlée peut être un moyen efficace d’assurer la productivité alimentaire», affirme-t-il.

Dans cette optique, l’une des principales raisons d’utiliser la technologie des serres équipées d’un dispositif de dessalement est, selon le spécialiste, l’assurance d’un environnement contrôlé et la réduction des demandes en eau de moitié. 

Cela permet d’obtenir des niveaux plus élevés d’efficacité des ressources et un plus grand niveau de contrôle dans le processus de culture et d’irrigation, ce qui entraîne une réduction des risques par rapport aux pratiques agronomiques alternatives. Autre recommandation du spécialiste est de mettre fin au gaspillage d’eau. Selon lui, la subvention dans le secteur de l’eau a masqué le coût réel de cette dernière et n’a guère dissuadé les consommateurs à cesser de gaspiller.

C’est pourquoi, il estime nécessaire de réformer le système de tarification de l’eau avec une tarification préférentielle selon le type de consommateurs et la quantité consommée.

«C’est d’ailleurs dans cette optique que viennent les dernières instructions du président de la République concernant l’activation du rôle de la police des eaux dans le contrôle des champs d’utilisation des eaux dans tous les domaines et dans la lutte contre le gaspillage», affirme-t-il.

Pour M. Mahmoudi, ces instructions démontrent la détermination ferme de l’Etat à trouver des solutions durables et efficaces à ce problème d’eau. Troisième conseil du chercheur  : traitement des eaux usées pour l’irrigation.

A cet effet, il explique : «Actuellement, l’Algérie dispose de 211 stations d’épuration avec une capacité totale de 1,16 milliard de mètres cubes/an. Malheureusement, le volume épuré est de 500 000 m3/an et seulement 10% sont utilisés à des fins agricoles, un taux faible bien en deçà des objectifs fixés par les autorités».

En effet, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, avait ordonné, lors d’une réunion du Conseil des ministres tenue en début d’année, la relance et la mise en service de l’ensemble des projets de stations d’épuration des eaux usées à l’arrêt au niveau des wilayas, afin de les exploiter dans l’irrigation, au lieu d’utiliser les eaux souterraines, ainsi que la dotation de 16 stations d’épuration de dispositif de traitement tertiaire. 

«De ce fait, les 32 000 hectares actuellement irrigués vont pouvoir être doublés, voire même triplés. Un autre point positif, en raison de leurs propriétés fertilisantes, les boues produites par les stations d’épuration, après traitement, peuvent être épandues sur des sols agricoles comme matière fertilisante. Elles contribuent efficacement à la stabilisation et à la fertilisation des sols affectés par la salinisation. Les biogaz produits à partir des boues peuvent aussi être une source d’énergie propre pour réduire le coût de traitement», conclut M. Mahmoudi.

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