Salim Kebbab. Vétérinaire hygiéniste et master en sciences de l’information : «Le plus grand risque de rupture de la chaîne du froid survient lors du transport»

14/05/2023 mis à jour: 12:11
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Salim Kebbab. Vétérinaire hygiéniste et master en sciences de l’information - Photo : D. R.

Dans cet entretien, le Dr Salim Kebbab précise  : «Malgré le fait que la plupart des intoxications alimentaires se résolvent en quelques jours, cependant certaines bactéries peuvent provoquer des maladies graves, parfois mortelles, comme la listériose, la salmonellose et le botulisme alimentaire.»

- Qu’est-ce que la chaîne du froid ?

La chaîne du froid est une succession d’étapes visant à maintenir les denrées alimentaires à une température basse afin de préserver leur salubrité, leur innocuité, leurs qualités nutritionnelles et gustatives, mais aussi et surtout pour empêcher la prolifération de micro-organismes responsables des intoxications alimentaires, les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) plus précisément. En fait, le froid agit en retardant l’altération des aliments et en ralentissant la multiplication des micro-organismes, notamment les bactéries pathogènes.

En outre, pour allonger la durée de vie des denrées alimentaires, le processus frigorifique doit englober toutes les étapes de la vie des produits, à savoir du site de production jusqu’à la consommation, en passant par le stockage et les différentes épreuves de la distribution. C’est pourquoi d’ailleurs on emploie le terme «chaîne».

Et afin d’éviter tout risque sanitaire, ces «maillons» de maintien du froid ne doivent en aucun cas être rompus. Aussi, en parlant de chaîne du froid, il y a lieu de noter que les températures (basses) requises sont définies par voie réglementaire (décret exécutif et arrêté interministériel), selon que le produit alimentaire nécessite une réfrigération, on parlera là de froid «positif» (de 0°C à +15°C avec comme choix idéal de 0°C à +8°C) ; ou bien dans le cas où l’aliment requiert une congélation, on parlera à ce moment-là de froid «négatif» (où la température peut atteindre jusqu’à -18°C), comme par exemple pour conserver des produits surgelés ou les crèmes glacées.

- Des cas de rupture de cette chaîne sont signalés durant la saison des grandes chaleurs. Quels sont les produits les plus affectés ?

Toute hausse de la température par rapport à la température de référence requise pour la conservation d’un aliment conduit inexorablement à une rupture de la chaîne du froid. Et vous avez bien fait d’évoquer à la fois les grandes chaleurs et les produits les plus affectés, car le temps nécessaire à la rupture de la chaîne du froid est en fonction non seulement de la température ambiante, sachant que nous vivons dans un pays chaud, mais également du type de l’aliment.

A titre d’exemple, en hiver, une pâtisserie exposée pendant une demi-heure à température ambiante est potentiellement plus à risque qu’un fromage à pâte dure laissé hors du réfrigérateur pendant 1 heure. En revanche, durant la saison estivale, ces deux aliments, lorsqu’ils ne sont pas conservés à froid, se détériorent rapidement et peuvent être à l’origine d’une TIAC en 15 mn pour le premier et 30 mn pour le second, voire même beaucoup moins de temps lorsqu’il fait très chaud ou dans les régions sud du pays.

De même, la nature et l’état de l’aliment sont à prendre en compte lors des opérations de conservation des aliments. En effet, si les viandes crues nécessitent une température de conservation de l’ordre de + 4°C au maximum, elles doivent, en revanche, être conservées à une température proche de 0°C une fois cuites.

Concernant les produits les plus sensibles à la rupture de la chaîne du froid, il ne faut pas les confondre avec les aliments les plus à risque de transmettre une TIAC. Ces derniers dépendent surtout du micro-organisme contaminant et donc, bien évidemment, de la façon de leur conservation au froid (un aliment mal conservé est un aliment à risque !), cependant, ils varient aussi d’un pays à un autre, voire d’une région à une autre dans un même pays, et cela selon le régime alimentaire, les pratiques gastronomiques et les habitudes culinaires des consommateurs.

En Europe, par exemple, les crustacés et coquillages sont au premier rang, alors que chez nous, les œufs, la charcuterie ainsi que les viandes servies en sandwich ou lors des fêtes de famille sont souvent mis à l’index. D’où l’intérêt d’avoir chez nous une plateforme de gestion de données qui nous renseigne, à l’échelle nationale et régionale, aussi bien sur les micro-organismes incriminés dans les TIAC qu’en matière de l’aliment contaminé qui a été consommé, ceci afin d’y remédier et d’éviter les récidives.

Maintenant, en ce qui concerne les produits les plus sensibles à la rupture de la chaîne du froid, il y a, en premier lieu, les poissons et fruits de mer ainsi que les produits carnés (viandes de boucherie et volailles) avec, toutefois, une sensibilité encore plus accrue pour la charcuterie (merguez, pâté et cachir), les produits tripiers, les viandes qui sont transformées et/ou à l’état haché.

En second lieu, on retrouve les œufs et ovoproduits, qui font partie de presque toute l’alimentation de nos jours et celle issue de l’industrie agroalimentaire (sandwichs, mayonnaise, pâtisseries, glaces…). 
Sachant que la salmonella, une bactérie très redoutable et incriminée dans la plupart des cas de TIAC, contamine principalement les œufs et prolifère rapidement en cas d’élévation de la température. Ils sont suivis par les produits laitiers et desserts lactés, les plats cuisinés et tous les produits congelés et/ou surgelés. En somme, tous les produits alimentaires, sans oublier les fruits et les légumes, sont sensibles à la rupture de la chaîne du froid.

- Quelles sont les conséquences en cas de rupture de la chaîne du froid sur la santé du consommateur ?

Lors d’une rupture de la chaîne du froid, il y a forcément une mauvaise conservation des aliments. Ils deviennent une source de contamination. Les conséquences sur la santé du consommateur vont, ainsi, de la simple indigestion à l’intoxication alimentaire.

Dans ce dernier cas, les symptômes les plus fréquents sont d’ordre gastro-intestinaux (diarrhées, vomissements, nausées, douleurs abdominales…), accompagnés parfois de fièvre et de céphalées.
Ces symptômes peuvent s’aggraver chez les consommateurs qui présentent une sensibilité particulière, comme les personnes âgées ou souffrant de certaines maladies, les enfants et les femmes enceintes. Mais, lorsque l’on sait que certains aliments, notamment ceux d’origine animale, sont de véritables bouillons de culture pour les bactéries en cas de rupture de la chaîne du froid, de redoutables maladies d'origine alimentaire, les TIAC en particulier, peuvent affecter le consommateur.

Et ce qui caractérise ces dernières, c’est le temps du déclenchement des symptômes qui peut varier de 2 à 72 heures après la consommation d'un produit contaminé, et qui dépend également de l’agent pathogène responsable où, pour certaines bactéries, l’apparition des symptômes est tardive (jusqu’à 8 jours). Par ailleurs, il est important de signaler que, malgré le fait que la plupart des intoxications alimentaires se résolvent en quelques jours, en revanche, certaines bactéries peuvent provoquer des maladies graves, parfois mortelles, comme la listériose, la salmonellose et le botulisme alimentaire.

- Quels sont les bons réflexes à adopter pour garantir une bonne préservation des aliments ?

Pour une bonne préservation des aliments, la chaîne du froid doit en premier lieu être respectée à chacune de ces étapes. Or, le plus grand risque de rupture de la chaîne du froid survient généralement lors du transport des produits alimentaires, bien après leur sortie, aussi bien de l’établissement de production et/ou de transformation que des commerces, lorsqu’il s’agit d’achats à l’échelle domestique. En fait, le transport représente le maillon faible de la chaîne.

Par conséquence et afin de conserver la bonne température de tous les aliments, il est très important, tout d’abord, pour les producteurs et distributeurs de denrées alimentaires de s’équiper en véhicules de transport frigorifiques qui répondent aux normes légales. Je pense là au transport et à la livraison des denrées alimentaires périssables durant la saison estivale, notamment sur de longues distances et vers les régions du Sud.

Sur ce volet précis, il faut savoir que le transport des denrées alimentaires animales et d’origine animale (viandes, volailles, poissons, œufs, lait et dérivés…) est soumis à un agrément, délivré par les vétérinaires inspecteurs territorialement compétents (arrêté interministériel du 21 novembre 1999 /JO N°87). Le convoyeur doit présenter ce document lors de chaque contrôle, ceci en plus du certificat sanitaire de salubrité de la denrée transportée.

En second lieu, il y a la préservation de la chaîne du froid au niveau des commerces, qu’il s’agisse de grossistes, grandes surfaces, de détaillants ou encore de boucheries, marchands de volaille, poissonneries et crémeries, soit au stade de la remise directe. A cet effet, le commerçant doit contrôler de façon rigoureuse les équipements de maintien du froid, à savoir les étals, rayons, vitrines et présentoirs frigorifiques. 

Cela doit relever de sa conscience, bien avant le contrôle répressif et pénalisant. Pour ce faire, le lecteur de température pour aliments s’avère indispensable pour les commerçants afin de relever la température à la réception des produits et de les renvoyer en cas de non-conformité de la marchandise. De même, les températures doivent être maintenues en bout d’étape.

Plus précisément, dans les équipements frigorifiques des lieux de consommation, à savoir ceux des ménages et de tous les autres établissements de restauration (fast-food, pizzeria…), sans oublier ceux des salles des fêtes, des cantines scolaires et des centres de vacances. Pour cela, il faut veiller au bon fonctionnement des réfrigérateurs et congélateurs domestiques, avec notamment la vérification des moteurs, thermostats de régulation, détendeurs, niveaux des gaz, etc. Le cas échéant, faire appel à un frigoriste, au minimum deux fois par an.

Par ailleurs, puisqu’on est dans un pays où les températures sont très élevées, avec en sus une longue saison estivale, et afin de préserver la salubrité et l’innocuité des aliments, mais également leur caractère hédoniste et le plaisir de faire les courses, les ménages doivent être extrêmement rapides entre le moment de l’achat des denrées périssables (viande hachée, poissons, yaourt, œufs….) et le retour au domicile. Ceci afin de les ranger immédiatement dans le réfrigérateur ou le congélateur, selon la température recommandée pour chaque aliment. D’ailleurs, une étude européenne révèle que les remontées de température les plus élevées ont été observées au stade de la conservation par les ménages.

En outre, pour les denrées alimentaires issues de l’agro-industrie, comme les fromages et autres dérivés laitiers ou encore les conserves et la charcuterie, il est impératif de respecter la température indiquée sur l'étiquette, sans oublier que si la chaîne du froid se rompt, la date de conservation indiquée sur l’emballage n’est plus valable. Par ailleurs, on ne cessera jamais de le répéter, il ne faut jamais recongeler un aliment décongelé.

Car, une longue décongélation à température ambiante représente une condition encore plus favorable pour la prolifération des bactéries qui étaient inhibées par le froid, mais qui demeurent toujours vivantes. Le cas de la remise au congélateur d’une crème glacée qui a fondu ou bien la décongeler puis la recongeler peut être très dangereux. 

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