Salam Kawakibi. Directeur du Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) : «Nous assistons à l’humanisation de l’agresseur et la déshumanisation de l’agressé»

11/01/2024 mis à jour: 11:00
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Photo : D. R.

Dans cet entretien à El Watan, Salam Kawakibi, chercheur syrien établi à Paris, note que les signataires des accords d’Oslo en 1993 comme ceux qui se félicitent aujourd’hui de la mort des dizaines de milliers de civils palestiniens ont en commun le «refus catégorique» du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’établissement d’un Etat viable. Il souligne également que la tâche des démocrates arabes sera désormais rude pour essayer de convaincre les jeunes de la région d’assimiler les «valeurs universelles» et de ne pas développer un sentiment de haine à l’égard de ceux qui les considèrent comme des sous-humains.

  • L’entreprise génocidaire menée par l’occupant israélien dans la Bande de Ghaza se poursuit. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a parlé ces derniers jours d’une «intensification des combats». Comment expliquez-vous l’acharnement de l’armée d’occupation ?

C’est lié tout d’abord à une accumulation d’échecs flagrants que l’armée israélienne concède depuis le 7 octobre. L’opération d’envergure menée par le Hamas a démystifié la performance militaire et sécuritaire de l’Etat d’Israël.

L’acharnement s’explique par l’échec enregistré par ce même Etat dans ses opérations de vengeance qui se limitent à une destruction massive et un génocide contre les civils sans pour autant arriver à libérer les otages ni à arrêter les dirigeants du Hamas.

Il y a la pression interne importante sur Netanyahu et ses ministres extrémistes d’un côté, et de l’autre, un désir sanguinaire chez ses militaires de se racheter une crédibilité.

  • La crainte d’une nouvelle «Nakba» est dans tous les esprits. Le projet de l’Etat hébreu n’est-il pas de vider l’enclave de sa population ?

L’expulsion massive et définitive des citoyens palestiniens de Ghaza s’inscrit dans une tradition israélienne bien suivie et respectée depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948.

La presse américaine a dévoilé un plan des services de renseignement israéliens qui prévoit un tel scénario. Les déclarations de plusieurs ministres israéliens sont tellement flagrantes qu’il est devenu impossible pour les défenseurs inconditionnels de l’occupation israélienne de démentir ce projet.

  • Les messianistes au pouvoir à Tel-Aviv ne seraient-ils pas derrière ce plan ?

Il est injuste de leur faire porter toujours toute la responsabilité des politiques exterminatoires et génocidaires de l’Etat israélien. Tout au long de son histoire, l’objectif de ce dernier est de vider les Territoires palestiniens de leurs habitants en respectant la légende sioniste sur laquelle cet Etat a été fondé : «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre !»

Tous les courants politiques qui ont gouverné en Israël ont eu la même stratégie mais avec des tactiques variées. Ceux qui ont signé à Oslo en 1993 comme ceux qui se félicitent aujourd’hui de la mort des dizaines de milliers de civils palestiniens ont en commun le refus catégorique du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’établissement d’un Etat viable.

A l’exception d’une faible minorité pacifiste, dont le nombre diminue allégrement avec les années, la droite comme la gauche israélienne exploitent à merveille la lâcheté internationale pour bafouer les droits des Palestiniens et violer toutes les résolutions onusiennes.

  • Malgré les divergences internes, Benyamin Netanyahu est toujours aux affaires. Une explication ?

Les divergences sont d’ordre factice, du moins en ce qui concerne l’attitude à adopter envers les Palestiniens. Il y a des luttes pour le pouvoir et il y aussi les poursuites judiciaires à l’égard de Netanyahu accusé de corruption depuis des années. De plus, tant que la guerre durera, il sera assuré qu’il restera en poste et il ne fera pas l’objet de poursuites pénales.

  • L’aide humanitaire ne parvient pas à la population de l’enclave palestinienne malgré le vote d’une résolution du Conseil de sécurité. Comment expliquez-vous la passivité de la «communauté internationale» face aux atrocités de masses commises depuis plus de trois mois ?

Israël a méprisé durant toute son existence les institutions onusiennes. Ladite communauté internationale, et plus précisément l’Occident, est complètement soumise au diktat américain d’un côté, et de l’autre le nouvel ordre mondial trouve en Israël le dernier bastion du colonialisme d’antan.

Pour l’Allemagne et la France plus spécifiquement, le sentiment de culpabilité hérité des atrocités de la Seconde Guerre mondiale est remis sur la table, comme une permission exceptionnelle, à chaque fois que l’Etat hébreu commet des massacres.

La valeur de l’être humain n’est pas la même, que l’on soit un individu israélien ou arabe. Dès lors, nous assistons à l’humanisation de l’agresseur et la déshumanisation de l’agressé qui ne mérite même pas l’aide humanitaire.

  • Par son soutien à l’équipe au pouvoir à Tel-Aviv l’administration américaine ne participe-t-elle pas à prolonger la guerre ? 

Les Etats-Unis n’ont jamais parlé d’un cessez-le-feu. Donc, il va de soi que Washington n’est pas soucieuse de l’arrêt de l’effusion du sang palestinien. L’identification des responsables américains à la «lutte» de leurs homologues israéliens est visible.

  • Le Monde a révélé que des organisations de la société civile de plusieurs pays du Proche-Orient ont perdu des financements européens après leur dénonciation de l’offensive israélienne sur Ghaza. Les associations ont dénoncé un «double standard» dans le traitement des conflits dans le monde. Le fossé entre les pays occidentaux et ceux du « Sud global » ne risque-t-il de s’élargir encore davantage après cette guerre ?

L’Europe essaye, en utilisant ses financements octroyés à la société civile dans les pays du Sud, de manipuler cette dernière afin de la faire taire devant les atrocités commises par Israël. Avec sa politique suiviste envers les Etats-Unis, l’Europe exerce une pression immorale et contraire à ses propres «valeurs» en ce qui concerne les droits de l’homme.

Cependant, et dans la réalité, les instances européennes ont toujours préféré soutenir, sauf exception, les dictatures dans les pays du Sud. Le financement timide de la société civile était un moyen de se racheter une certaine crédibilité. Actuellement, les cartes sont sur la table et il n’y a plus d’ambiguïté.

Le sentiment amer à l’égard de l’Occident dans l’ensemble des pays du Sud, qu’ils soient arabes ou autres, va s’aggraver et va se refléter sur plusieurs domaines. Il va influencer les générations futures et se répercuter sur les groupes issus de l’immigration au sein même de l’Occident.

La tâche des démocrates arabes va être rude pour essayer de convaincre les jeunes d’assimiler les «valeurs universelles» et de ne pas développer un sentiment de haine à l’égard de ceux qui les considèrent comme des sous-humains.

 

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