Repère / L’extrême droite face au rabot du pouvoir

19/06/2024 mis à jour: 23:56
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Emmanuel Macron a surpris son monde au soir du 9 juin en décidant la dissolution de l’Assemblée nationale française et la convocation du corps électoral pour en renouveler la composition, deux ans avant la fin de la mandature. Ce faisant, il a précipité le pays dans un engrenage inattendu de polémiques et d’enjeux. 

«Capitulation», «coup de poker », «quitte ou double »…les commentateurs, aussi bien dans la classe politique que dans les médias, ne voyaient manifestement pas venir le coup de théâtre, de même qu’a été pris de court l’entourage immédiat du président français et des partenaires européens. Emmanuel Macron a donné un surcroît de retentissement politique à la percée de l’extrême droite et un cachet d’urgence majeure à la situation.

 Il aurait pu, estime-t-on, se contenter d’en prendre acte et se donner le temps d’envisager autre chose que cette sentence express de mettre les Français devant leur responsabilité. «Je ne saurais faire comme si de rien n’était», a-t-il juste fait remarquer, ajoutant que le recours à des législatives anticipées était   «un acte de confiance en la capacité du peuple français à faire le choix le plus juste pour lui-même et pour les générations futures». 

Pari sur un sursaut électoral des  réservoirs peu mobilisés et dispersés  de la gauche, des centristes et de la droite traditionnelle ou volonté d’accélérer la survenue de l’épreuve du pouvoir  pour l’extrême droite qui, jusqu’ici et sur des décennies, a bien rentabilisé le confort de la posture d’opposition ? Sans doute tout ça à la fois, même si des analystes voient aussi dans l’empressement, un trait de caractère propre à l’homme politique ; piqué à vif par le large désaveu électoral de sa façon de tenir le pays,  il  se serait laissé en l’occurrence à une réaction de dépit en livrant le pays à l’aventure que lui promet Marine Le Pen et son jeune champion Bardella.

Le bateau amiral de l’extrême droite française, le Rassemblement National (RN), n’a cessé en effet de gagner du territoire sur la carte électorale, inexorablement depuis trois décennies. Il a passé les dernières années à se «normaliser» et à soigner son discours, à l’image des mouvements d’extrême droite en Europe occidentale notamment,  pour susciter le moins d’appréhensions dans la société. 

Lors des manifestations organisées à la fin de l’année dernière contre «l’antisémitisme», Marine Le Pen et ses militants ont validé cette conversion en force politique fréquentable, en se faisant admettre aux marches, malgré un passé antijuif des plus chargé. Avoir la majorité à l’Assemblée française dans quelques semaines et placer Jordan Bardella comme Premier ministre, devrait confronter les idées qui fondent le mouvement et ses promesses électorales avec la réalité complexe du pouvoir, ses responsabilités, ses limites…

Autant de difficultés auxquelles l’extrême droite n’a jamais fait face auparavant. C’est ce privilège que la décision d’Emmanuel Macron remet en question  deux ans avant la course à l’Elysée, aux risques et périls, certes, de la pratique politique dans les rouages de l’Etat et surtout des franges les plus ciblées par l’hostilité idéologique de l’extrême droite. La victoire du parti de Georgia Meloni en Italie, lors de ces même européennes, dit bien cependant que le pari n’est pas évident et que l’on peut sortir indemne, voire renforcé par l’épreuve du pouvoir. 

La Première ministre italienne et son parti, également d’extrême droite, ne sont au pouvoir que depuis une année et demie, ce qui est peut être peu suffisant pour tirer des bilans qui puissent avoir des impacts électoraux, relativise-t-on. Mais il n’y a pas que ça : l’expérience italienne a montré également que «la pragmatisme» supplante souvent l’idéologie et les slogans qui font la marque de fabrique et l’arsenal politique de l’extrême droite.  

Sur le dossier de l’immigration, Georgia Meloni a en tous cas été obligée de revenir à des positions plus réalistes et  beaucoup moins populistes que ne le laissaient entendre les promesses et menaces radicales de l’âge de l’opposition. 

Jordan Bardella, qui se voit déjà Premier ministre, ne devrait  pas échapper à la contrainte. Il semble avoir commencé à raboter sur ses gros slogans de campagne pour adapter par anticipation ses élans entiers de candidat au moule contraignant du pouvoir.
 

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