Reconnaissance par Macron de l’assassinat de Ben M’hidi par l’armée française : Des historiens déplorent la politique des «petits gestes mémoriels»

03/11/2024 mis à jour: 15:01
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Larbi Ben M'hidi, l'un des héros de la Guerre de Libération nationale - Photo : D. R.

Interrogé sur le refus de la France de ne pas reconnaître et condamner les crimes de la colonisation dans son ensemble, l’historien Fabrice Riceputi estime que la politique des petits gestes mémoriels cache une autre visée.

La reconnaissance officielle de la France de sa responsabilité dans l’exécution de Larbi Ben M’hidi, l’un des héros de la Guerre de Libération nationale, est jugée «insuffisante» par des historiens français, qui déplorent la politique des petits gestes mémoriels de la France. «Il faudrait que la France reconnaisse les crimes qu’elle a pu commettre durant cette période (la guerre d’indépendance).

La France a une riche histoire, la phase coloniale de cette histoire a été marquée par des crimes», a estimé, avant-hier, l’historien Gilles Manceron, dans une déclaration à France Info, après la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’assassinat de Larbi Ben M’hidi par des militaires française. Il a rappelé que Ben M’hidi était l’une des «principales figures des animateurs de la lutte du Front de libération nationale (FLN) algérienne, de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie».

«Quelqu'un comme le colonel Bigeard a dit qu'il avait été impressionné par son calme et son courage lorsqu'il était menacé d'exécution – ce qu'il a été – par l'armée française», a-t-il ajouté. M. Manceron a souligné que «les historiens le savaient depuis longtemps» et que «de nombreux témoignages ont été accumulés sur cette issue». Larbi Ben M’hidi «a été assassiné», a souligné l'historien, «alors que l'armée française et l'Etat français ont menti pendant plus de 60 ans en disant qu'il s'était suicidé. C’est la fin d'un mensonge».

M. Manceron, qui a expliqué que «les historiens essayent d’établir la vérité», dit ne pas comprendre «l’intérêt d’Emmanuel Macron de dire une vérité historique à un moment donné». En revanche, il juge qu’il serait «normal que l’Etat français convienne des travaux des historiens et de ce qu’ils disent sur ces faits». «Peut-être que dans l'esprit d'Emmanuel Macron, ça se situe dans le cadre de la diplomatie au Maghreb qu'il noue avec le Maroc et l'Algérie. Mais pour moi, en tant qu'historien, il s'agit d'une simple reconnaissance d'une réalité», a-t-il relevé.

Pour sa part, Benjamin Stora a estimé, hier au même média, qu’«il fallait une reconnaissance par l’Etat, et la prise de position du président de la République est importante». «Son nom est très peu connu par les Français, mais son rôle est important parce qu’il fait partie de ceux qui ont déclenché l’insurrection du 1er Novembre 1954», a rappelé l'historien. Cette reconnaissance s'inscrit dans «une suite d’activités mémorielles» et «d’autres gestes dans ce sens» sont attendus, a-t-il annoncé. A ce propos, il a cité notamment la «restitution des objets».

«Faire un contrepoids à son ralliement aux positions marocaines»

Auteur d’un rapport sur les questions mémorielles franco-algériennes en 2021 remis au Président, M. Stora a appelé à «restituer les biens spoliés au moment de la colonisation». L’historien a proposé à M. Macron de restituer «certains biens symboliques appartenant à l’Emir Abdelkader, en particulier son bâton de commandement, son épée, son burnous, mais aussi le Coran qu’il portait sur lui». Il a déploré que «cette bataille mémorielle est entravée très souvent par la politique et les activités diplomatiques». «Est-ce que la poursuite du travail historique va réussir précisément à contenir les difficultés politiques ou diplomatiques ? C’est le véritable enjeu dans les jours qui viennent, dans les semaines qui viennent», a assuré M. Stora.

Pour sa part, Fabrice Riceputi, historien spécialiste des questions coloniales et postcoloniales en France, a décortiqué le contexte de l’annonce de la France. «Le président Macron a choisi une date capitale pour la société algérienne, le 1er Novembre, pour reconnaître l’assassinat d’un personnage vénéré en Algérie, un des héros tragiques de la lutte pour l’indépendance algérienne.

Il la fait aussi dans un contexte diplomatique tendu, qui explique en grande partie  cette troisième reconnaissance d’un crime du même type, après celles de Maurice Audin et Ali Boumendjel. Il tente de faire un contrepoids à son ralliement aux postions marocaines en ce qui concerne le Sahara occidental, considéré par l’Algérie comme un casus belli», a-t-il affirmé dans une déclaration à la chaîne France 24.

Il a exprimé des doutes que ce «geste suffise à se réconcilier avec l’Algérie, avec laquelle les relations sont extrêmement tendues actuellement». «Du côté algérien, il y a une certaine étrangeté à voir la France procéder de cette manière de goutte à goutte mémoriel, avec la reconnaissance d’un crime tous les deux ou trois ans, alors que les Maurice Audin, les Larbi Ben M’hidi et les Ali Boumendjel ont été plusieurs milliers», a-t-il ajouté.

Interrogé sur le refus de la France de reconnaître et condamner les crimes de la colonisation dans son ensemble, l’historien a estimé que la politique des petits gestes mémoriels cache une autre visée. «Tous ces gestes symboliques successifs, à mon avis, pour le pouvoir français, qui ne concernent pas uniquement Emmanuel Macron, servent uniquement à éviter d'avoir à faire ce qu’elle a fait pour la complicité de Vichy avec la Shoah et de l’esclavagisme, c’est-à-dire de ne pas reconnaître solennellement et de ne pas condamner la colonisation», a-t-il expliqué. 

 

 

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