Feu Claude Liauzu : «Une loi de règlement de comptes»
L’historien Claude Liauzu nous expliquait que «c’est une loi de règlement de compte…» «A l’aube du XXIe siècle, on prend en otages d’une guerre de mémoire, qui n’a jamais cessé depuis 1962, les petits-enfants des protagonistes, on prend en otage la nation au profit d’activistes de la nostalgérie». (El Watan de jeudi 14 avril 2005, ndlr)… Et aussi «le lobby pied-noir veut avoir une revanche. Il a compris le modèle de la dénonciation du génocide, le modèle de la loi sur l’esclavage. Quand on lit l’article 4 de la loi du 23 février 2005, on s’aperçoit que c’est le même texte que la loi sur l’esclavage, que ce sont les mêmes termes. Une grande majorité des politiques ne veut pas d’ennuis avec les harkis, ni avec les pieds-noirs parce qu’ils veulent être élus »… «C’est un combat d’arrière garde, mais qui veut dire que pour que personne n’ait rien dit, on est à la merci de remontées xénophobes, dans une société où les communautarismes avec des effets boomerang – vont fleurir. Le passé colonial de la France ne parvient pas à être digéré».
Feu Gilbert Meynier : «L’historien ne se reconnaît pas dans l’affrontement des mémoires»
«La loi n°2005-158 portant 'reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés' risque, surtout en ses articles 1er et 4, de relancer une polémique dans laquelle les historiens dignes de ce nom ne se reconnaîtront guère : en officialisant le point de vue des groupes de mémoire liés à la colonisation, elle risque d’attirer en retour des simplismes symétriques émanant de groupes de mémoire antagonistes, et dont l’histoire officielle telle que l’envisage la loi fait des exclus de l’histoire.»…
… «L’historien ne se reconnaît pas dans l’affrontement des mémoires – pour lui, les mémoires ne sont que des documents historiques à traiter comme tels ; il ne se reconnaît pas dans l’anachronisme qui veut tout arrimer au passé ; il ne se reconnaît pas dans le manichéisme, qu’il provienne de la nostalgérie électoraliste vulgaire qui a présidé à la loi du 23 février 2005, ou qu’il provienne des simplismes symétriques qui surfent sur les duretés du présent pour emboucher les trompettes agressives d’un ressentiment déconnecté de son objet réel.» (Extraits d’un article paru dans le Monde du 12 mai 2005).
Mohamed Harbi : «Les officiels français devraient donner l’exemple» et «se départir d’un rapport schizophrénique» à leur histoire
L’historien Mohamed Harbi rappelait que «depuis des années, nous essayons de parvenir à un dégel et de faire travailler ensemble des historiens algériens et français. Cette loi vient au secours du parti de la glaciation ici comme en Algérie». (El Watan du jeudi 14 avril 2005, ndlr). Dans un autre entretien relatif à la commémoration du 60e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945 à Sétif, Kherrata et Guelma, alors que nous demandions si la déclaration de l’ambassadeur de France, sur le caractère inexcusable des massacres du 8 Mai 1945, lui semblait augurer d’une véritable reconnaissance des méfaits de la colonisation (le 26 février 2005 à Sétif, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, alors qu’il venait de parapher une convention entre l’université Ferhat- Abbas et l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand sur les mathématiques appliquées, avec l’accord des plus hautes autorités de son pays, reconnaissait que le 8 mai 1945, il y eut un massacre à Sétif relevant de la responsabilité française, (El Watan du 27 février 2005), Mohamed Harbi, soulignait : «Je l’ai personnellement interprété comme une avancée certes timide vers la réinterprétation du passé colonial. Comme Algérien, je sais la difficulté qu’il y a à repenser une histoire chez nous. Les résistances politiques que cela suscite. Mais dans la mesure où des officiels français invitent d’autres pays à réviser leur histoire, ils devraient donner l’exemple et se départir d’un rapport schizophrénique à la leur. L’article IV de la loi du 23 février 2005, adoptée par la représentation nationale, n’est pas un pas dans la bonne direction. Fort heureusement, cette loi a suscité une levée de boucliers chez les historiens. Ecoutons Jacques Le Goff qui écrivait en 1990 en préface à un ouvrage A l’Est la mémoire retrouvée : ‘Si nous nous penchons sur notre mémoire collective à nous, peuples et nations d’Occident, nous y voyons aussi beaucoup de mensonges, de silence, de blancs. Les Français, sans être les pires, n’ont pas encore mis au propre, pour ne parler que du passé récent, leur mémoire de la colonisation, de la guerre et de l’occupation, de la guerre d’Algérie.»
Collectif d’historiens français et algériens : «Pour une histoire critique et citoyenne»
«Il y a des passés qui ne passent pas. Ils ne passent pas parce que, de manière nullement désintéressée, des lobbies de mémoire continuent à attiser la braise. Les Etats, de leur côté, ne jouent pas décisivement la carte de la clarification et de la sérénité. Si l’ambassadeur de France en Algérie a eu à Sétif des mots justes pour évoquer le drame du Constantinois de Mai 1945, les élus de la nation ont accouché de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés», relevaient les organisateurs d’un colloque international dont le thème était «Pour une histoire critique et citoyenne. Au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire. Le cas de l’histoire algéro-française. A la mémoire de Charles-André Julien, Maxime Rodinson, Xavier Yacono», réunissant des historiens de renom, qui s’est tenu au printemps 2006 sous la présidence d’honneur de Charles-Robert Ageron, Mahfoud Kaddache, Mostefa Lacheraf, Ali Merad, André Nouschi, Annie Rey-Goldzeiguer, Pierre Vidal-Naquet.
Le groupe organisateur initial, qui comprenait les historiens Omar Carlier, Jacques Frémeaux, Mohammed Harbi, Claude Liauzu, Sylvie Thénault, indiquait que ce projet de colloque est né en France du mouvement de protestation du collectif d’historiens qui s’est constitué contre la loi du 23 février 2005. Il est fondé sur l’idée que «la recherche et l’enseignement doivent rester libres de toute injonction politique». Il vise ainsi à promouvoir «l’histoire des historiens, qui reste souvent confinée dans les cercles restreints de l’université et autres instituts de recherche ; cela pour mettre à la disposition du public une histoire s’efforçant d’être honnête». Le comité scientifique pressenti était composé des historiens suivants : Omar Carlier, Daho Djerbal, Jacques Frémeaux, Fatima Zohra Guechi, Mohammed Harbi, Jean-Charles Jauffret, Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Valérie Morin, Gérard Noiriel, Fouad Soufi, Ouanassa Siari-Tengour, Benjamin Stora, Sylvie Thénault.