Procès de l’affaire Djamel Bensmain : Les accusés entre confirmation et rejet des aveux

16/10/2023 mis à jour: 01:00
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L'affaire revient une année après avoir été jugée par le tribunal criminel de première instance - Photo : D. R.

Le procès en appel des auteurs présumés de l’assassinat de Djamel Bensmain le 11 août 2021, à Larbaâ Nath Irathen, s’est ouvert, hier, devant chambre criminelle près la cour d’Alger. Plus d’une dizaine d’accusés, condamnés en première instance à la peine capitale, se sont succédé à la barre.

Le procès des 94 accusés poursuivis dans l'affaire de l’assassinat de Djamel Bensmain le 11 août 2021, à Larbaâ Nath Irathen, à Tizi Ouzou, dont 75 en détention et 19 en liberté, s’est ouvert hier au tribunal de Dar El Beïda. La décision de le délocaliser de la cour d’Alger a été prise à la demande des avocats, vu le nombre important des mis en cause.

L’affaire revient une année après avoir été jugée par le tribunal criminel de première instance, et à la suite de l’appel introduit contre le verdict par toutes les parties (partie civile, procureur général et accusés). Avant même que la présidente entame les auditions, Me Mokrane Aït Larbi lui demande de libérer les accusés des menottes qui ligotent leurs mains.

«Vous devez tous comprendre que ces menottes ont été maintenues pour des raisons de sécurité, vu le nombre important d'accusés», lui répond la présidente. Me Mustapha Bouchachi emboîte le pas à son confrère : «Durant toute ma carrière, je n’ai jamais vu des accusés à l’audience avec des menottes, entourés de centaines de policiers.» La présidente : «Je vous défie de me trouver cette centaine de policiers. Il y a 47 condamnés à mort dans la salle.»

«Certes, pour moi, l’affaire reste celle du droit commun et sa seule spécificité est le nombre important des détenus. L’accusé qui viendra devant la barre n’aura pas les menottes. S’il se sent fatigué, il aura une chaise et le temps nécessaire pour qu’il se repose. Concentrez-vous sur ce qui est principal, pas sur des détails», suggère-t-elle, avant d’appeler Aghiles Zetri, qui apparaît sur les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux avec un pull marqué aux lettres dorées «AX». «J’ai suivi la foule jusqu’au commissariat, où un policier m’a demandé d’aller voir ce qui s’y passait.

Je suis rentré normalement par la fenêtre, dans le fourgon de la police où se trouvait le défunt», déclare-t-il, tout en niant avoir donné deux coups de couteau à Bensmain, mais la présidente le confronte aux enregistrements vidéos qui l’impliquent.

Il lâche : «Il n’y a aucune preuve de ce que vous dites.» Puis il éclate en sanglots : «Les policiers voulaient me déshonorer. Ils m’ont dicté ce que je devais dire.» La présidente lui demande pourquoi il est entré dans le fourgon par la fenêtre et Aghiles ne cesse de ressasser que c’est le policier qui le lui a demandé et nie totalement avoir assené des coups au défunt en précisant, toutefois, «avoir frappé» Bensmain «avec les doigts».

«J’ai agi sous l’effet de l’alcool»

La juge appelle Iddir Ouardi, qui apparaissait sur les vidéos en train de couper la tête du corps calciné du défunt avec un cutter. Lui aussi nie toutes ses déclarations lors de l’instruction. «Vous aviez déclaré que quelqu’un vous a remis un cutter pour trancher la tête de la victime…», demande la présidente. Ouardi : «Le corps était déjà calciné. J’étais ivre et sous pression. Tout le monde autour de moi criait et m’incitait à l’égorger.

Des voix me disaient ''coupe lui la tête, dépèce-le''. Je n’étais pas dans mon état. Lorsque je me suis rendu compte de ce que j’ai fait, j’ai pris le cutter et je l’ai jeté.» La juge : «Vous aviez dit que lorsque le cutter s’est cassé, vous aviez donné des coups de pied à la victime pour détacher la tête de son corps.» L’accusé : «J’ai commis une erreur. Oui, je l’ai fait sous l’effet de l’alcool. J’ai reconnu les faits.»

Il affirme avoir «trouvé le corps déjà calciné. J’ai insulté ceux qui l’ont brûlé». La juge : «Vous aviez insulté la victime en lui disant que vous alliez en faire une brochette et la manger, puis vous avez marché sur son corps.» «J’étais dans un état second. Je ne sais pas ce que j’ai dit à la police», rétorque-t-il. Prenant la parole, le procureur général lui lance : «Vous aviez déclaré que c’est Nabila Merouane qui vous a donné le cutter et qui vous incitait à égorger le défunt.»

L’accusé dit ne pas se rappeler, avant que Nabila, infirmière de son état, ne se présente à la barre. «J’ai été pour aider les sinistrés. Je me suis retrouvée le soir au centre-ville qui grouillait de monde. J’entendais certains dire ''nous allons brûler tout Arabe qui vient chez nous''. Ils me soupçonnaient d’être des ''moukhabarate'' (services de renseignement)», dit-elle. La juge : «Vous incitiez les gens à égorger la victime. Il faut du courage pour assister à de telles scènes.» «J’avais peur de subir le même sort. On me disait de filmer. J’avais peur. Ce que j’ai fait était dicté par la peur», justifie-t-elle.

Le procureur général lui lance : «Vous lui disiez ''égorgez-le et buvez son sang'', puis vous aviez donné des coups au corps du défunt.» Elle lui répond : «J’avais peur. Je ne l’ai pas frappé.» Ameziane Chaibi, qui au moment des faits remuait à l’aide d’un bâton la flamme qui brûlait le corps de Bensmain, est appelé à la barre. Il déclare : «Il était déjà calciné. Je l’ai touché avec le bâton. J’étais sous le choc.»

«J’étais terrorisée»

Confronté aux photos qui le montrent en train d’attiser la flamme, il affirme : «Je n’ai pas vu ces photos.» Il cède sa place à Tayeb Toriche. «Ils m’ont frappé et demandé de mettre des branches et du carton sur le corps du défunt qui brûlait pour la seconde fois. J’étais terrorisé», avoue-t-il. A la barre, Ourdia Nassi, l’accompagnatrice de Nabila, défendait celle-ci en disant qu’elle était «terrorisée». A propos de la vidéo qu’elle a diffusée sur la Toile, elle affirme : «Je l’ai juste partagée.»

Accusé d’avoir saccagé la Clio à bord de laquelle se trouvait Bensmain et ses deux compagnons, Abdennouri Hamani nie tous les faits, avant de céder sa place à Tahar Khoualdi, qui apparaissait dans le fourgon avec le défunt, portant une casquette, le cou tatoué et remettant un couteau à un des agresseurs de Bensmain.

«Vous aviez déclaré que c’est Zine Gaya qui a fait sortir la victime du véhicule de police», lance la juge, mais l’accusé nie. «Vous aviez diffusé une vidéo dans laquelle vous disiez avoir tué Bensmain parce qu’il brûlait la forêt et que vous aviez des preuves de ce que vous avanciez.» L’accusé : «J’étais sous l’effet de la drogue et l’alcool. J’ai dit ce que j’ai entendu.»

La présidente exhibe des photos et demande à l’accusé s’il se reconnaît. Réponse : «Ce n’est pas moi.» «C’est votre visage et votre casquette.» Il lui répond : «ça peut être un montage.» Ahmed Guers est appelé à la barre. Il déclare que ses aveux ont été faits sous la pression. «Je n’ai jamais vu de caméra. Ils me dictaient ce que je devais dire», dit-il. La juge le ramène aux photos.

«J’ai mis du carton sur le corps du défunt pour le couvrir…», argue-t-il. La juge : «La flamme était allumée…» L’accusé : «Oui, c’est vrai, le carton attisait le feu, mais je ne savais pas ce que je faisais.» «Quand ils l’ont fait sortir du véhicule, les gens ont commencé à le (Bensmain) frapper. Je les poussais pour qu’ils ne montent pas dans le véhicule.» Les auditions se poursuivaient en fin de journée et reprendront aujourd’hui avec un autre groupe d’accusés.


 

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