Pour les obliger à accueillir les Palestiniens de Ghaza : Trump menace l’Égypte et la Jordanie de leur couper l’aide américaine

12/02/2025 mis à jour: 16:14
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Le président Trump signant des décrets dans son bureau à Washington - Photo : D. R.

«Je pense que je pourrais conclure un accord avec la Jordanie. Je pense que je pourrais conclure un accord avec l’Egypte.  Vous savez, nous leur donnons des milliards et des milliards de dollars par an», a déclaré Trump dans une interview accordée à Fox News. Il laisse ainsi clairement entendre qu’il n’hésiterait pas à recourir au chantage pour obliger ses partenaires arabes à accepter son deal et aller au bout de son plan d’une nouvelle Nakba.

Décidément, il ne se passe pas un jour sans que le président américain, Donald Trump, ne se fende d’une nouvelle décision ou déclaration polémique, avec son lot de réactions plus outrées les unes que les autres. Car hormis Netanyahu et l’establishment israélien, pour l’heure, il n’y a pas grand monde qui applaudit aux suggestions hasardeuses du milliardaire à la mèche rousse, même ses alliés les plus sûrs comme la Grande-Bretagne ou l’Arabie saoudite.

Moins de vingt-quatre heures après avoir fait part de sa détermination à «acheter et posséder Ghaza», Trump a menacé l’Egypte et la Jordanie de leur couper les aides américaines si Le Caire et Amman ne consentaient pas à accueillir les Palestiniens de Ghaza. «M. Trump a indiqué qu’il pourrait supprimer l’aide à la Jordanie et à l’Egypte si ces pays n’accueillaient pas des réfugiés palestiniens, affirmant qu’un grand nombre de Palestiniens voudraient quitter Ghaza si un endroit sûr leur était offert», a rapporté hier Al Jazeera.

L’AFP confirme : «Donald Trump a déclaré lundi qu’il allait ‘peut-être’ arrêter les aides à l’Egypte et à la Jordanie si elles n’accueillent pas les Palestiniens de Ghaza, ce que les deux pays refusent à ce stade.» «Le président américain, dans le cadre de son plan pour l’enclave, souhaite déplacer les Ghazaouis dans ces deux pays. Mais l’Egypte a rejeté plus tôt lundi «tout compromis» portant atteinte aux droits des Palestiniens vivant à Ghaza», ajoute l’agence française.

«Les Palestiniens ne pourront pas revenir à Ghaza»

Dans une interview accordée à Fox News qui a été diffusée lundi, Donald Trump est revenu sur son plan pour Ghaza en le présentant comme un «projet de développement immobilier pour l’avenir», rapporte l’AFP. Il a confirmé sa détermination à «prendre possession» de la bande de Ghaza. Dans la foulée, il a assuré qu’il pourrait y avoir jusqu’à «six sites différents où les Palestiniens pourraient vivre en dehors de Ghaza» dans le cadre du scénario qu’il est en train de préparer.

Au journaliste qui lui demande si les Palestiniens déplacés auront «le droit au retour» après la reconstruction de Ghaza, Trump a répondu catégoriquement : «Non, ils n’en auraient pas, car ils auront des logements bien meilleurs.» «En d’autres termes, je parle de leur construire un endroit permanent parce que s’ils doivent revenir maintenant, il faudrait des années avant qu’ils puissent le faire. Ce n’est pas habitable», a-t-il ajouté.

Les Etats-Unis, a-t-il poursuivi, veulent construire de «belles communautés» pour les deux millions d’habitants de Ghaza. «Il pourrait y en avoir cinq, six ou deux. Mais nous construirons des communautés sûres, un peu à l’écart de l’endroit où ils se trouvent, là où est tout ce danger», a-t-il précisé, avant de lancer : «Il faut le voir comme un développement immobilier pour l’avenir. Ce serait un terrain magnifique. Il n’y aurait pas de dépenses importantes.» En recevant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu la semaine dernière, Donald Trump avait mis le feu aux poudres en déclarant que les Etats-Unis allaient «prendre le contrôle de la bande de Ghaza».

Depuis, il n’a fait que confirmer que ses propos étaient à prendre très au sérieux. Avant-hier, il a avoué à des journalistes à bord de l’Air Force One qui le transportait en Nouvelle-Orléans où il devait assister à la finale du Super Bowl : «Je suis déterminé à ce que les Etats-Unis achètent Ghaza et en prennent possession.

Quant à la reconstruction, nous pourrions demander à des pays du Moyen-Orient d’en construire une partie, peut-être que d’autres pays le feront aussi, sous nos auspices. Mais nous sommes déterminés à posséder Ghaza, à en prendre le contrôle et à nous assurer que le Hamas ne revienne pas.»

Le Caire et Amman ne cèdent pas Malgré la réponse ferme de l’Egypte et de la Jordanie à son injonction d’accueillir les Palestiniens de Ghaza, Trump n’en démord pas et semble prêt à tous les moyens pour les faire plier. «Je pense que je pourrais conclure un accord avec la Jordanie. Je pense que je pourrais conclure un accord avec l’Egypte.

Vous savez, nous leur donnons des milliards et des milliards de dollars par an», a-t-il glissé. Trump laisse clairement entendre qu’il n’hésiterait pas à recourir au chantage pour obliger ses partenaires arabes à accepter son deal et aller au bout de son plan d’une nouvelle Nakba. Malgré les pressions du président américain, l’Egypte a réitéré son rejet total des visées de Donald Trump sur le territoire palestinien.

Ce lundi, le ministre égyptien des Affaires étrangères Badr Abdelati l’a encore rappelé lors de son entretien à Washington avec son homologue américain Marco Rubio. Dans un communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères, il est indiqué que «les deux ministres ont discuté des développements régionaux à Ghaza, en Syrie, en Libye, au Soudan, dans la Corne de l’Afrique et dans la mer Rouge.

En ce qui concerne la question palestinienne, le ministre Abdelati a souligné la constance de la position égyptienne, arabe et islamique sur la question palestinienne, et l’importance de réaliser les aspirations légitimes du peuple palestinien, exprimant la disponibilité de l’Egypte à coordonner avec l’administration américaine, afin d’œuvrer à la réalisation de la paix juste souhaitée au Moyen-Orient d’une manière qui réponde aux droits légitimes du peuple palestinien, principalement son droit à établir un Etat indépendant sur l’ensemble de son territoire national».

Le chef de la diplomatie égyptienne, ajoute le communiqué, «a mis l’accent sur l’importance d’accélérer le processus de redressement rapide, de déblayer les décombres et de reconstruire l’enclave en présence des Palestiniens de Ghaza, compte tenu de leur attachement à leur terre et de leur rejet total du déplacement, avec le soutien total du monde arabe et islamique et de la communauté internationale».

«1,44 milliard de dollars d’aide à l’égypte en 2024»

Côté américain, un court communiqué a été publié par le département d’Etat sur cette rencontre dans lequel il est notamment précisé : «Le secrétaire d’Etat Marco Rubio a rencontré aujourd’hui (lundi, ndlr) le ministre égyptien des affaires étrangères Badr Abdelati. Le secrétaire d’Etat et le ministre des Affaires étrangères (égyptien) ont affirmé l’importance du partenariat entre les Etats-Unis et l’Egypte, qui comprend la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région.

Le secrétaire d’Etat a remercié le ministre des Affaires étrangères pour les efforts de médiation déployés par l’Egypte en vue de la libération des otages, pour le maintien des livraisons d’aide humanitaire dans la bande de Ghaza et pour l’acceptation des évacuations médicales.

Le secrétaire d’Etat a réaffirmé l’importance d’une coopération étroite pour faire progresser la planification post-conflit de la gouvernance et de la sécurité de Ghaza, et souligné que le Hamas ne pourra plus jamais gouverner Ghaza ni menacer Israël.» A noter que le roi de Jordanie Abdallah II était attendu hier à Washington où il devait s’entretenir avec le président américain Donald Trump.

Réagissant au plan de Trump pour Ghaza, la Jordanie avait d’emblée exprimé son rejet catégorique de tout projet de transfert forcé des Palestiniens. «La solution à la question palestinienne se trouve en Palestine. La Jordanie est pour les Jordaniens et la Palestine est pour les Palestiniens», avait tranché dimanche le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi.

L’aide américaine dont bénéficient l’Egypte et la Jordanie, et que le président américain menace de supprimer si les deux Etats refusaient de se soumettre à son plan, est très substantielle. Un document officiel de la Chambre américaine du commerce en Egypte indique : «Depuis 1946, les Etats-Unis ont fourni à l’Egypte plus de 85 milliards de dollars d’aide étrangère bilatérale, l’aide militaire et économique ayant augmenté de manière significative après 1979.»

«L’aide annuelle des États-Unis à la Jordanie a triplé»

Le document précise toutefois que «l’aide étrangère des Etats-Unis a considérablement diminué au cours des deux dernières décennies, car les fondamentaux économiques de l’Egypte ont continué à s’améliorer de manière spectaculaire, et les relations bilatérales ont commencé à mettre l’accent sur la notion de commerce, pas d’aide».

Et de souligner : «Au cours de l’exercice 2023, l’aide de toutes les agences américaines s’est élevée à 1,43 milliard de dollars, et 1,44 milliard de dollars a été demandé pour l’exercice 2024. Actuellement, l’Egypte occupe la troisième place dans la région MENA, après Israël et la Jordanie, en termes de fonds d’assistance demandés pour l’exercice 2024.»

En septembre 2024, Reuters rapportait que «l’administration Biden a notifié le Congrès américain de la fourniture à l’Egypte d’une aide militaire de 1,3 milliard de dollars sans conditions, pour la remercier notamment des efforts de médiation dans la guerre entre Israël et le Hamas».

Pour ce qui est de la Jordanie, un document officiel du département d’Etat fait savoir : «Les Etats-Unis sont le principal fournisseur d’aide bilatérale à la Jordanie, avec plus de 1,65 milliard de dollars pour l’exercice 2021, dont plus de 1,197 milliard de dollars alloués par le Congrès américain à la Jordanie par l’intermédiaire de l’USAID dans le budget de l’exercice 2021, et 425 millions de dollars de fonds du département d’Etat pour le financement militaire à l’étranger.

Les Etats-Unis ont également fourni près de 1,7 milliard de dollars d’aide humanitaire pour soutenir les réfugiés syriens en Jordanie depuis le début de la crise syrienne. Cela comprend plus de 265 millions de dollars d’aide humanitaire aux organisations qui aident les réfugiés syriens et non syriens en Jordanie et les communautés d’accueil jordaniennes au cours de l’année fiscale 2021.

En 2018, les Etats-Unis et la Jordanie ont signé un protocole d’accord non contraignant pour fournir 6,375 milliards de dollars d’aide étrangère bilatérale à la Jordanie sur une période de 5 ans, en fonction de la disponibilité des fonds.» 
Un document du Congrès américain précise de son côté : «L’aide annuelle des Etats-Unis à la Jordanie a triplé en des termes historiques au cours des 15 dernières années.

Les Etats-Unis fournissent une aide économique et militaire à la Jordanie respectivement depuis 1951 et 1957. L’aide bilatérale totale des Etats-Unis (supervisée par les départements d’Etat et de la Défense) à la Jordanie jusqu’à l’année fiscale 2020 s’élevait à environ 26,4 milliards de dollars. La demande de budget du président pour l’exercice 2025 comprend 1,45 milliard de dollars pour la Jordanie.

Le 16 septembre 2022, les Etats-Unis et la Jordanie ont signé leur quatrième protocole d’accord régissant l’aide étrangère américaine à la Jordanie. L’accord septennal, soumis aux crédits du Congrès, engage l’administration à rechercher un total de 1,45 milliard de dollars d’aide économique et 
militaire annuelle pour la Jordanie.»

ONU : Plus de 53 milliards de dollars nécessaires pour reconstruire Ghaza

Le relèvement et la reconstruction de la bande de Ghaza dévastée par plus d’un an d’agression nécessiteront plus de 53 milliards de dollars, dont plus de 20 milliards sur les trois premières années, selon une estimation de l’ONU publiée hier.

«Les sommes nécessaires au relèvement et à la reconstruction à court, moyen et long terme dans la bande de Ghaza sont estimées à 53,142 milliards de dollars. Sur ce montant, le financement nécessaire à court terme pour les trois premières années est estimé à environ 20,568 milliards de dollars», écrit le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un rapport à l’Assemblée générale, citée par l’AFP.

Dans une résolution adoptée en décembre réclamant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel à Ghaza, l’Assemblée avait demandé au secrétaire général de lui fournir dans les deux mois une évaluation des besoins de Ghaza à court, moyen et long terme.

«Bien qu’il n’ait pas été possible, dans le contexte actuel, d’évaluer pleinement l’ensemble des besoins qui seront nécessaires dans la bande de Ghaza, l’évaluation intermédiaire rapide donne une première indication de l’ampleur considérable des besoins en matière de relèvement et de reconstruction dans le territoire», a noté le rapport publié hier.

Alors que «plus de 60% des habitations» ont été détruites depuis octobre 2023, le secteur du logement nécessitera environ 30% des besoins de reconstruction, soit 15,2 milliards, selon le rapport. Viennent ensuite le commerce et l’industrie (6,9 milliards), la santé (6,9), l’agriculture (4,2), la protection sociale (4,2), les transports (2,9), l’eau et l’assainissement (2,7)  et l’éducation (2,6).

Le rapport a noté également les coûts particulièrement élevés anticipés pour les secteurs de l’environnement (1,9 milliard), «en raison de l’importante quantité de décombres contenant des engins non explosés et du coût élevé associé à l’enlèvement des débris». L’ONU estime que le conflit a généré «plus de 50 millions de tonnes de débris, sous lesquels des restes humains côtoient des engins non explosés, de l’amiante et d’autres substances dangereuses».

Antonio Guterres insiste par ailleurs sur le fait que «pour qu’il soit viable, tout effort de relèvement et de reconstruction doit être fermement ancré dans un cadre politique et sécuritaire plus large», avec Ghaza comme «partie intégrante d’un Etat palestinien pleinement indépendant, démocratique, d’un seul tenant, viable et souverain».

«Il est indispensable que l’Autorité palestinienne soit un acteur central de la planification et de la mise en œuvre des activités de relèvement et de reconstruction de la bande de Ghaza», ajoute-t-il dans ce rapport daté du 30 janvier, soit avant les déclarations de Donald Trump qui a annoncé vouloir prendre «possession» du territoire.

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