Moussa Boukrif. Professeur des universités, directeur du laboratoire de recherche en management et techniques quantitatives, à l’université de Béjaïa : «Il est crucial de désenclaver les zones à fort potentiel oléicole»

03/03/2025 mis à jour: 21:14
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Dans l’entretien accordé à El Watan, Moussa Boukrif, Professeur des universités, directeur du laboratoire de recherche en management et techniques quantitatives, à l’université de Béjaïa, évoque les freins qui empêchent l’émergence d’une industrie oléicole.

 «Malgré cette richesse, le secteur reste marqué par des méthodes archaïques. Ainsi, 85% des exploitations sont familiales et artisanales, avec des rendements moyens de 2,5 tonnes d’huile par hectare, bien en-deçà des standards tunisiens ou espagnols», note-t-il. Et de suggérer : «Il est également crucial de désenclaver les zones à fort potentiel oléicole, comme la Kabylie et les Hauts-Plateaux, en développant les infrastructures et en mettant en place des systèmes d’irrigation durables.»
 

Propos recueillis par  Omar Arbane

 

Qu’est-ce qui a empêché ou freiné l’émergence d’une industrie oléicole en Algérie ?

L’activité agricole en Algérie est aussi vieille que les populations autochtones de l’Afrique du Nord. C’est une tradition ancestrale qui a façonné un patrimoine agricole et fait que la filière oléicole est parmi les plus importantes filières des arbres fruitiers représentant 45% de la superficie globale dédiée aux arbres fruitiers, avec une surface estimée à 442 900 ha, principalement concentrés dans les régions de Kabylie, Oran, Tiaret et Sétif. Malgré cette richesse, le secteur reste marqué par des méthodes archaïques.

Ainsi, 85% des exploitations sont familiales et artisanales, avec des rendements moyens de 2,5 tonnes d’huile par hectare, bien en-deçà des standards tunisiens ou espagnols. La production annuelle oscille entre 100  000 et 150 000 tonnes, plaçant le pays au 5e rang mondial, mais seule une fraction (10 000 tonnes en 2022) est exportée, essentiellement, vers l’Europe et le Golfe. Par ailleurs, la plupart des exploitations sont situées dans des régions montagneuses, notamment en Kabylie aux accès difficiles, ce qui complique l’entretien des arbres et rend la cueillette dangereuse, souvent effectuée sur des terrains escarpés. 

Cette réalité décourage les jeunes générations, peu enclines à reprendre des exploitations familiales exigeantes physiquement et peu rentables. Cette désaffection aggrave le manque de main-d’œuvre, déjà critique dans un secteur vieillissant. A cela s’ajoute un outil de production obsolète : huileries vieillissantes, méthodes de cueillette manuelles et techniques de stockage inadaptées qui dégradent la qualité finale. Le secteur subit également les aléas climatiques, stress hydrique, pluviométrie irrégulière, aggravés par des techniques d’irrigation et de fertilisation peu modernisées. En parallèle, la préférence locale pour l’huile artisanale non filtrée maintient un marché informel dominant, au détriment d’une production industrielle standardisée.

L’Algérie a-t-elle les moyens pour relancer la filière oléicole et concurrencer les pays ayant de l’avance dans ce domaine, notamment ceux de la rive nord du bassin méditerranéen ?

Oui, l’Algérie a les moyens de relancer la filière oléicole, et elle a déjà commencé à prendre des mesures pour réduire l’écart avec des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce.  Le ministère de l’Agriculture a lancé en 2024 un programme ambitieux visant à implanter un million d’oliviers. Il a noté aussi que les pouvoirs publics proposent des subventions, encouragent pour l’irrigation goutte-à-goutte et l’importation de variétés espagnoles (Picual, Arbequina), plus productives que la variété locale Chemlal (80% des plantations). 

En parallèle, un label «Huile d’olive algérienne» a été introduit en 2023 pour renforcer la visibilité à l’international, tandis que des parcs oléicoles high-tech, comme celui de Relizane, ambitionnent de moderniser la transformation.  

D’autres initiatives sont aussi à signaler, telles que le projet l’Agropole de Draâ Ben Khedda, doté de chaînes de trituration certifiées ISO, ou le Festival de l’huile d’olive d’Azeffoun, illustrant une dynamique locale de valorisation du terroir. Cependant, cet effort doit être accompagné par des politiques de modernisation et de structuration pour en faire un véritable levier économique. 

D’abord, la formation aux métiers liés à l’oléiculture est essentielle. Nous avons besoin d’experts en production, en extraction, en conditionnement et en commercialisation pour améliorer la qualité et la compétitivité de notre huile. Aujourd’hui, nos méthodes de récolte et de stockage restent souvent traditionnelles, ce qui nuit à la conservation et à la valorisation du produit.  

Ensuite, nous devons structurer le marché local pour faciliter la commercialisation de l’huile d’olive. Actuellement, de nombreuses petites exploitations familiales produisent essentiellement pour leur propre consommation et peinent à écouler leur surplus. Il est donc nécessaire de créer des circuits de distribution accessibles aux petits producteurs, en intégrant l’huile d’olive dans les grandes surfaces et en favorisant des coopératives qui peuvent mutualiser la mise en marché. 

Par ailleurs, l’Algérie doit investir dans une véritable industrie de conditionnement, notamment en produisant des bouteilles spécialisées localement, afin de réduire la dépendance aux importations et améliorer l’image de notre produit sur le marché international. La mise en place de labels de qualité et de certifications est également une priorité pour garantir l’authenticité de notre huile et la rendre plus compétitive à l’export. Enfin, l’Etat doit accompagner cette dynamique en simplifiant les procédures administratives pour encourager les investissements et favoriser l’accès aux marchés étrangers. Avec une stratégie cohérente et une volonté politique forte, l’Algérie peut non seulement rattraper son retard, mais aussi devenir un acteur majeur de l’oléiculture en Méditerranée.

Quelles recommandations feriez-vous, en tant qu’expert, aux pouvoirs publics, oléiculteurs et aux autres acteurs du secteur, pour permettre à l’Algérie de se positionner parmi les leaders de l’industrie oléicole ?

Le développement de l’oléiculture en Algérie doit reposer sur une vision stratégique intégrée, combinant modernisation, valorisation et compétitivité. La première priorité est de structurer la filière en mettant fin au morcellement excessif des terres agricoles, qui réduit leur rentabilité économique. L’Algérie doit instaurer une législation interdisant ce morcellement et favorisant le maintien des terres en indivision, tout en encourageant la formation de coopératives agricoles grâce à des incitations fiscales. 

Parallèlement, il est essentiel de poursuivre le développement de grandes exploitations agricoles, à l’image de celles de Djelfa et Ouargla, qui permettent une production à grande échelle et un meilleur accès aux marchés nationaux et internationaux. Il est également crucial de désenclaver les zones à fort potentiel oléicole, comme la Kabylie et les Hauts-Plateaux, en développant les infrastructures et en mettant en place des systèmes d’irrigation durables. Pour attirer une nouvelle génération d’agriculteurs, nous proposons des incitations fortes, notamment des prêts à taux zéro, des formations ciblées et un accompagnement technique adapté. Sur le plan commercial, la mise en place d’un label national certifié et d’une marque collective, comme «Algerian Olive Oil», garantirait la qualité et la traçabilité de notre production à l’export. 

De plus, la simplification des procédures d’exportation, la lutte contre le marché informel et la conclusion de partenariats avec des organismes internationaux, tels que la FAO et l’Union européenne, permettraient d’accéder aux segments premium. Un autre enjeu majeur est la sécurité des travailleurs saisonniers, souvent exposés à des accidents graves, voire mortels, notamment lors de la récolte des olives. Nous proposons la création d’une police d’assurance spécialisée, adaptée aux activités saisonnières, afin de garantir une couverture adéquate et d’assurer une prise en charge en cas d’accident.  Enfin, l’adaptation au changement climatique passe par la recherche sur des variétés résistantes et l’intégration des nouvelles technologies, comme l’agriculture de précision et l’irrigation intelligente. 

Avec une volonté politique forte et une coordination efficace, l’oléiculture algérienne peut devenir un levier économique majeur, créateur d’emplois et véritable ambassadeur du patrimoine national.

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