L’Union européenne l’a annoncée hier : Une «feuille de route» pour assouplir les sanctions sur la Syrie

28/01/2025 mis à jour: 06:25
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Les appels à la levée des sanctions se sont multipliées ces dernières semaines au-delà des frontières européennes - Photo : D. R.

L’UE veut aider à la reconstruction et nouer des relations avec ses nouveaux dirigeants qui plaident régulièrement pour la levée de ces sanctions. Certains Etats membres ont toutefois exprimé des réserves…

La Syriedirigée désormais par Ahmed El Charaa, leader du groupe islamiste Hayat Tahrir El Cham (HTC), devrait bientôt bénéficier d’un assouplissement des sanctions économiques imposées par l’Union européenne (UE). L’Union européenne s’est accordée hier sur une «feuille de route» pour assouplir les sanctions imposées à la Syrie sous le régime de Bachar al-Assad, a annoncé la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas.

Ces mesures avaient été imposées au gouvernement de Bachar al-Assad et à des pans entiers de l’économie syrienne durant la guerre civile. «Les ministres des Affaires étrangères de l’UE viennent de s’accorder sur une feuille de route visant à alléger les sanctions européennes visant la Syrie», a indiqué Kaja Kallas sur X. L’UE veut aider à la reconstruction du pays ravagé par la guerre et nouer des relations avec ses nouveaux dirigeants qui plaident régulièrement pour la levée de ces sanctions.

Certains Etats membres ont toutefois exprimé des réserves sur le retrait des sanctions, réclamant des gages concrets de la part du nouveau pouvoir syrien dans sa transition politique. «Nous voulons agir rapidement, mais la levée des sanctions pourra être annulée si des mauvaises décisions étaient prises», a averti la cheffe de la diplomatie européenne.

Le chef de la diplomatie syrienne a salué la décision de l’Union européenne visant à assouplir les sanctions qui avaient été imposées sous le régime déchu de Bachar al-Assad. «Nous saluons la mesure positive de l’Union européenne visant à suspendre les sanctions imposées à la Syrie pendant un an en vue de leur levée définitive», a déclaré Assaad al-Chaibani sur X.

«Nous espérons que cette décision aura un impact positif sur l’ensemble des aspects du quotidien du peuple syrien et garantira un développement durable», a ajouté le ministre. Plus tôt en janvier, les États-Unis ont assoupli certaines restrictions pour une période de six mois afin de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, lesventes d’énergie et les envois de fonds personnels vers la Syrie.

Le départ de Bachar Al Assad, qui s’est réfugié en Russie après plus de vingt ans de pouvoir, a laissé place à un gouvernement intérimaire porté par Ahmed Al Charaa dit Joulani. Ce dernier, ancien membre de Jabhat Al Nosra, un groupe affilié à Al Qaïda, tente aujourd’hui de redorer son blason et donner une image  de «modérée» qui puisse plaire aux dirigeants européens.

Al Charaa avait rejoint Al Qaïda en Irak en 2003 et créé par la suite la branche armée du groupe en Syrie, connue sous le nom de Jabhat Al Nosra. Ce dernier avait ensuite rompu ses liens avec Al Qaïda et s’était repositionné en HTS en 2017 avec d’autres factions.

Avant l’offensive éclair qui a mis fin au régime de Bachar Al Assad en décembre dernier, le groupe contrôlait la région nord-ouest d’Idlib, où il comptait jusqu’à 30 000 combattants. En 2020, l’UE avait condamné les pratiques de torture et de meurtres de civils dans les zones contrôlés par HTS qui y sévissait, déclarant que ces actes pourraient constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

Manque de ressources

Mais les engagements pris  par Al Charaa lors de la  récente visite de la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, et de son homologue français, Jean-Noël Barrot, à Damas, le 3 janvier, a visiblement convaincu une partie des Européens d’accompagner le nouveau maître de Damas. «Ces suspensions dans les sanctions doivent avoir pour contrepartie une transition politique qui associe toutes les Syriennes et tous les Syriens», a insisté Jean-Noël Barrot avant la réunion de Bruxelles. Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, estime que l’objectif est clair : «Nous voulons une feuille de route pour alléger les sanctions et aider à la reconstruction de la Syrie» . 
Les appels à la levée des sanctions se sont multipliées ces dernières semaines au-delà des frontières européennes.

L’Arabie Saoudite, via son ministre des Affaires étrangères, Fayçal Ben Farhan, a plaidé lors du Forum économique mondial de Davos pour un assouplissement de ces  restrictions. «Ces sanctions, à l’origine imposées pour protéger le peuple, sont aujourd’hui une entrave à sa survie», a -t-il déclaré. De son côté, le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères, Assad Hassan Chaibani, a aussi multiplié les rencontres internationales pour plaider en faveur d’un soutien extérieur. Selon lui, la levée des sanctions constitue «la clé» de la stabilité du pays.

Il est important de souligner que pour les Européens, l’enjeu dépasse la seule reconstruction économique du pays. Stabiliser la Syrie, c’est, à leurs yeux,  prévenir de nouveaux flux migratoires vers l’Europe. «Si les conditions se détériorent, les espoirs de transition pourraient rapidement s’effondrer», avertit Julien Barnes-Dacey, spécialiste du Moyen-Orient au Conseil européen des relations internationales.

Il est à souligner que les sanctions ont lourdement pesé sur l’économie syrienne depuis 2011. Aujourd’hui, plus de 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un PIB estimé à seulement 9 milliards de dollars, contre 60 milliards en 2010. La plupart des régions syriennes reçoivent seulement deux à trois heures d’électricité par jour. La nouvelle administration manque de ressources pour payer les fonctionnaires, reconstruire des villes en ruines, élaborer une feuille de route vers des élections ou garantir le chauffage pendant l’hiver.

Après la Russie et l’Iran, la Syrie est le troisième pays au monde le plus sanctionné. Les Etats-Unis avaient placé la Syrie sur leur liste des Etats soutenant le «terrorisme» dans les années 1970 en raison de l’occupation du Liban oriental. Plusieurs vagues de restrictions – imposées par les Etats-Unis et l’UE – ont suivi, notamment, pour le soutien d’Al Assad au Hezbollah, puis à cause de la répression des manifestations pro-démocratie en 2011.

Parmi les sanctions les plus handicapantes, figure le Caesar Act, adopté par les Etats-Unis en 2019, interdisant de facto aux Etats et aux entreprises privées de faire des affaires avec le gouvernement d’Al Assad. L’UE a imposé des sanctions sur les exportations, les importations, les projets d’infrastructures et le soutien financier au commerce.

35 exécutions sommaires en trois jours, selon une ONG

Des combattants affiliés au nouveau pouvoir islamiste en Syrie ont commis 35 exécutions sommaires lors des trois derniers jours, pour la plupart sur des officiers du régime de Bachar Al Assad, a affirmé une ONG dimanche. Les autorités mises en place par les rebelles islamistes, qui ont démis le président Bachar Al Assad le mois dernier, ont indiqué avoir mené des arrestations en nombre dans la région de Homs (ouest) ces derniers jours.

L’agence officielle syrienne Sana a indiqué que les autorités avaient accusé vendredi un «groupe criminel» ayant commis des crimes contre la population «en se faisant passer pour des membres des services de sécurité». Selon l’Observatoire syrien  des droits de l’homme, «ces arrestations font suite à de graves crimes et exécutions sommaires qui ont coûté la vie à 35 personnes dans les dernières 72 heures». La même ONG affirme que «des membres de minorités religieuses» ont subi des «humiliations».

La plupart des personnes exécutées sont d’anciens officiers du gouvernement de Bachar Al Assad, qui se sont présentés dans des centres mis en place par les nouvelles autorités, selon l’ONG basée à Londres et bénéficiant d’un réseau d’observateurs en Syrie. «Des dizaines de membres de groupes armés locaux sous le contrôle de la nouvelle coalition islamiste sunnite au pouvoir, qui avaient participé aux opérations de sécurité» dans la région de Homs, «ont été arrêtés», selon l’Observatoire. Selon la même source, ces groupes «ont mené à bien des représailles et réglé de vieux comptes avec des membres de la minorité alaouite à laquelle appartient le clan de Bachar Al Assad, profitant du chaos, de l’abondance d’armes et de leurs liens avec les nouvelles autorités».

L’ONG a mentionné «des arrestations arbitraires en masse, des attaques contre des symboles religieux, la mutilation de cadavres, des exécutions sommaires et brutales de civils» qui ont, selon elle, montré «un niveau sans précédent de cruauté et de violence». Le Groupe civil pour la paix, une organisation de la société civile, a indiqué dans un communiqué qu’il y avait eu des victimes civiles dans de nombreux villages de la région de Homs lors du changement de pouvoir.

Ce groupe a dénoncé, notamment, le meurtre d’hommes désarmés. Les nouvelles autorités syriennes ont cherché depuis leur accession au pouvoir à rassurer sur le fait qu’elles feraient respecter les droits des minorités religieuses et ethniques du pays. Des membres de la minorité alaouite ont exprimé leur crainte de représailles pour les abus commis pendant des décennies par le clan Al Assad.

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