L’Europe désarçonnée

26/02/2022 mis à jour: 05:36
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Cette déclaration du chef de l’armée de terre allemande peut résumer à elle seule l’état d’esprit de l’Europe après l’offensive militaire russe en Ukraine. «Je n’aurais jamais cru, après 41 ans de service en période de paix, devoir faire l’expérience d’une guerre et que l’armée, que je dirige, soit plus ou moins nue (…). Les options que nous pouvons offrir aux pouvoirs politiques sont extrêmement limitées.» 

Hébétude et sentiment d’impuissance. Il y a bien un seuil psychologique et doctrinal que Vladimir Poutine a piétiné en la matinée de ce jeudi 24 février et les Européens ne pensaient pas qu’il irait aussi loin. Jusqu’à la veille, les dirigeants du vieux continent prenaient acte des avertissements et annonces américains sur l’imminence d’une entrée en action de l’armée russe sans trop s’en alarmer. 

D’augustes experts ont, à l’appui, relativisé la possibilité d’une confrontation armée, en puisant des certitudes dans le capital diplomatique acquis après la Deuxième Guerre mondiale, pour déclarer improbable une offensive menée sur le flanc droit de l’Europe. 

Mais la réalité est là, brutale, violente, déconcertant des dirigeants habitués à la toute-puissance de la dissuasion politique appuyée par le poids militaire de l’OTAN. Une Otan que l’intraitable président de la Fédération de Russie ne veut pas voir «annexer» une place aussi forte et aussi proche de ses frontières que la riche Ukraine. 

Plusieurs chefs d’Etat européens sont désormais contraints d’affronter une situation qu’ils ont quelque peu créée en assurant l’Ukraine d’un soutien suffisamment décisif pour éviter la guerre. Les voix de la Grande-Bretagne et de la France ne trouvent plus de mots assez puissants pour exprimer une fermeté à la mesure de l’étonnante audace russe. 

Emmanuel Macron, qui reconnaît qu’on est bien face à «un tournant dans l’histoire de l’Europe», assure que la France ne laissera pas sans défense l’allié ukrainien. Des «sanctions massives» sont annoncées par Boris Johnson, le Premier ministre britannique, contre le «dictateur barbare» de la Fédération de Russie. Joe Biden, de sa lointaine Amérique, promet à Vladimir Poutine un destin de «paria» sur la scène internationale. Aucun dirigeant cependant n’évoque une implication militaire directe dans le conflit. 

Le président ukrainien, hier matin sous la menace d’une irruption des soldats russes dans ses bureaux, prenait à témoin le monde entier sur la solitude dans laquelle l’ont plongé les engagements de soutien non tenus par l’Occident. Dans le profond désarroi de sa capitale assiégée, il en appellera à la mobilisation d’«Européens aguerris» pour venir combattre en Ukraine.

 L’Europe réapprend brutalement à traiter avec la guerre sur son territoire, convaincue qu’elle a suffisamment fait pour éloigner son risque et le contenir dans les limites des velléités. C’est aussi le monde entier qui voit ressurgir des schémas de positionnement que l’on pensait historiquement caducs jusqu’à ce coup de Trafalgar osé par Poutine. 

La Chine trouve de la logique à la démarche «défensive» du tenant du Kremlin face aux menées expansionnistes de l’OTAN. Les leaders de l’Occident, quant à eux, affublent la Russie du syndrome nazi. La voix des quelques «non-alignés», concept qui revient discrètement dans le contexte actuel, reste inaudible et sans effet. 

La guerre en Ukraine est un tournant dans l’histoire de l’Europe, mais elle est aussi une nouvelle démonstration des limites du pouvoir onusien et de ses liens platoniques avec la gravité de ce qui peut agiter le monde. 

C’est à l’Otan, dans les bureaux de l’UE et des institutions financières d’une part, et au palais du Kremlin, d’autre part, que va s’aggraver ou se contenir la crise.

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