Les nouvelles politiques économiques que l’administration républicaine devrait mettre en œuvre à partir du 21 janvier 2025 auront un impact majeur sur les économies américaine et des autres pays dans le monde. Les Etats-Unis disposent de la plus grande économie du monde, émettent la monnaie de réserve internationale et abritent les plus grandes banques et entreprises de la planète.
De tels atouts lui confèrent une influence économique planétaire. Ipso facto, des changements mineurs au niveau de la politique intérieure des Etats-Unis ne manquent pas d’avoir une résonance bien au-delà de leurs frontières. A fortiori, les ambitions du président élu Trump de remodeler les échanges commerciaux mondiaux, d’insuffler une nouvelle dynamique aux marchés des capitaux américains, de dérèglement de l’environnement des affaires et de recomposer la circulation de la main-d’œuvre vont avoir d’énormes ramifications au niveau mondial.
Ces changements favoriseront certains pays mais pénaliseront d’autres. Dans l’intervalle, si les marchés financiers américains font déjà montre d’un certain optimisme en anticipant des gains économiques et financiers, les Bourses européennes affichent plus de prudence au vu des dommages économiques que pourraient causer les intentions de Trump de réduire les impôts et de favoriser les milieux d’affaires.
En ce qui concerne l’Algérie, l’économie sera doublement affectée de façon indirecte par la nouvelle politique énergétique des Etats-Unis et l’appréciation du dollar. Face à cela, il appartiendra à l’Algérie de mettre en œuvre des réformes macroéconomiques et structurelles cohérentes pour se protéger de l’impact de ces nouveaux chocs. Discutons de ces questions.
Remodelage des échanges commerciaux, déréglementation de l’environnement des affaires et recomposition de la circulation de la main-d’œuvre
Les échanges commerciaux : les initiatives protectionnistes de Trump incluent des hausses de droits de douane de 10 à 20% (et jusqu’à 60% pour la Chine dont le surplus est de 85 milliards de dollars à fin septembre 2024) sur tous les biens importés. L’objectif de ces mesures serait de contraindre les pays affichant de gros excédents commerciaux vis-à-vis des Etats-Unis à renégocier leurs accords commerciaux et à réduire les déficits bilatéraux.
Pour le Canada (avec un déficit de 5,7 milliards de dollars) et le Mexique (fortement dépendant des Etats-Unis pour ses exportations de biens et services et de main-d’œuvre, et dont le déficit a atteint 85 milliards de dollars en septembre 2024), Trump veut les contraindre aussi à prendre des mesures fortes pour stopper les flux de drogue et d’immigrants illégaux en provenance de ces pays. En Europe, l’Allemagne (avec un déficit de 112 milliards de dollars en septembre 2024) serait la plus affectée par cette initiative. Si ces augmentations de droits de douane sont mises en œuvre, elles marqueraient les plus fortes hausses depuis les années 1930.
La déréglementation de l’environnement des affaires : elle pourrait également donner aux entreprises américaines un avantage en termes de coûts par rapport aux entreprises étrangères. M. Trump a promis de réduire les règles environnementales et les coûts de l’énergie aux Etats-Unis, ce qui pénaliserait les entreprises européennes qui souffrent déjà de la hausse des prix de l’électricité. Si davantage les Etats-Unis ralentissent le processus de transition énergétique, les autres concurrents européens seront également mis en difficulté dans le secteur manufacturier.
Le durcissement de la politique migratoire : la promesse de Donald Trump d’expulser des millions d’immigrants illégaux pourrait avoir de graves conséquences pour le Mexique et l’Amérique centrale, où les transferts de fonds envoyés par les immigrants aux Etats-Unis représentent une part importante des capitaux irriguant l’économie locale.
Un tel durcissement de la politique migratoire entraînerait une augmentation du chômage et de l’instabilité économique et sociale dans cette partie du monde. Par contre, les positions de Trump concernant l’immigration des travailleurs hautement qualifiés restent floues. Ceci étant, si ces restrictions se durcissent à leur égard, les Etats-Unis se priveraient de l’apport en travailleurs qualifiés en provenance du Canada, de l’Australie et de la Grande-Bretagne qui opteraient de rester dans leurs pays.
Une nouvelle politique énergétique visera à augmenter la production des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) aux Etats-Unis par le biais d’un assouplissement des réglementations environnementales, renforcer l’indépendance énergétique des Etats-Unis et leur influence en termes de prix mondiaux. Ainsi, cette nouvelle politique favoriserait les pays importateurs et pénaliserait les pays producteurs.
En revanche, cela aggraverait la pollution, les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement de la planète et ralentirait le développement des énergies renouvelables aux Etats-Unis (faute de soutien aux projets en la matière). Sur le plan géostratégique, l’indépendance énergétique accrue des Etats-Unis pourrait réduire leur implication dans les conflits régionaux sur fond d’approvisionnement en pétrole et compliquerait les relations avec les pays qui privilégient les énergies vertes.
Enfin, si la nouvelle politique énergétique devrait créer des emplois dans le secteur des énergies fossiles, elle ralentirait la croissance des industries écologiques et compromettrait la durabilité à long terme.
L’exubérance des marchés financiers américains et la prudence des Bourses européennes
Les marchés financiers ne sont pas le reflet des fondamentaux d’une économie, mais simplement les perceptions des investisseurs sur les impacts des événements et politiques publiques.
Contrastant avec l’incertitude ressentie après l’élection de 2016, les marchés financiers américains ont accueilli cette fois-ci la réélection de Trump avec optimisme avec des gains significatifs sur les principaux indices, portés par les attentes de croissance économique et de déréglementation dans un contexte de bonne tenue de l’économie américaine et de faiblesse de la Chine et de la zone euro. A contrario, les marchés européens restent prudents. Après quelques gains initiaux, les actions ont chuté au vu des risques de hausses de droits de douane et de mesures protectionnistes sous Trump.
L’euro a fortement baissé par rapport au dollar, enregistrant sa plus grande chute depuis la pandémie de Covid-19. Les investisseurs restent inquiets quant aux effets négatifs des politiques commerciales de Trump sur les exportations européennes. En outre, la pression pour que les alliés européens augmentent leurs dépenses de défense a exacerbé ces inquiétudes.
Les conséquences de la nouvelle politique économique des Etats-Unis Au-delà de l’exubérance des marchés financiers américains, des doutes sont permis quant à l’efficacité des droits de douane comme levier de réduction des déficits commerciaux.
De nombreuses études ont montré que bien que les droits de douane puissent contribuer à «rapatrier» les chaînes d’approvisionnement et à stimuler la production locale, ils se traduisent par des pertes d’emplois dans certains secteurs, des perturbations dans les échanges commerciaux entre pays et le déclenchement de guerres commerciales qui déstabilisent les marchés internationaux. Par ailleurs, l’émergence de déséquilibres macroéconomiques en chaîne n’est pas à exclure.
L’aggravation du déficit budgétaire américain – un sujet passé sous silence pendant la campagne présidentielle – combinée aux pressions inflationnistes associées à l’augmentation des tarifs douaniers et du coût du travail (en raison des restrictions migratoires) pourrait inciter la Réserve fédérale à maintenir des taux d’intérêt élevés. Cette mesure renforcerait la valeur du dollar et attirerait les investisseurs.
En revanche, cela pénaliserait les pays les plus pauvres, avec une hausse du coût de leurs importations et une baisse de leurs recettes d’exportations (de nombreuses matières premières sont libellées en dollars).
Pour les pays émergents ayant emprunté en dollars, ils devront faire face à une forte augmentation de la valeur de leurs dettes qui pourrait contraindre un recul de leurs activités économiques.
De plus, la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis rendrait le reste du monde moins attractif, entraînant des sorties de capitaux et forçant les Banques centrales de ces pays à relever leurs taux d’intérêt pour soutenir des devises déjà affaiblies par la détérioration de leurs balances commerciales. Cette dynamique limiterait ainsi les prêts et les investissements dans ces pays.
L’impact de la nouvelle politique économique des Etats-Unis sur l’Algérie A fin août 2024, les exportations de l’Algérie vers les Etats-Unis ont atteint 1,7 milliard de dollars tandis que les importations en provenance de ce partenaire atteignaient 866 millions de dollars, soit un déficit de 1,6 milliard de dollars. Un tel déficit n’est pas de nature à causer des frictions commerciales entre les deux pays.
Par contre, la nouvelle politique économique de Trump pourrait affecter l’Algérie à travers : (1) une baisse de la demande mondiale de pétrole et de gaz (liée à l’augmentation des droits de douane) et ipso facto une baisse des exportations algériennes. De plus, l’augmentation des coûts de production mondiaux pourrait perturber l’industrie pétrolière algérienne, qui est sensible aux fluctuations des prix.
Enfin, une récession dans les principaux marchés commerciaux de l’Algérie pourrait aussi diminuer la demande pour ses exportations ; (2) une baisse des prix mondiaux du pétrole consécutive à une hausse de la production américaine de pétrole et de gaz ne manquerait pas de pénaliser l’Algérie et (3) un réalignement des relations mondiales en matière d’énergie affaiblirait la position de l’Algérie sur ce même marché mondial de l’énergie. La baisse des prix, la réduction des transferts de fonds et un ralentissement économique global pourraient donc affecter négativement l’Algérie.
Une feuille de route pour se prémunir contre les chocs liés à la nouvelle politique économique des Etats-Unis La réponse de l’Algérie devrait se concentrer sur le renforcement de la résilience à long terme par la diversification, le renforcement des industries nationales et la création de nouveaux partenariats économiques. En mettant en œuvre des réformes macroéconomiques et structurelles, l’Algérie peut ainsi minimiser les impacts des chocs que ne manqueraient pas de déclencher les initiatives de Trump sur le plan économique et migratoire. Les mesures magiques n’existant pas, il faut se résoudre à conduire un processus de transformation du modèle économique et social actuel.
A court terme, il est urgent de renforcer les fondamentaux macroéconomiques. A ce titre, la politique budgétaire devra cibler une baisse progressive du déficit budgétaire pour s’ajuster au choc pétrolier, en coordination avec les politiques monétaire et de change afin de minimiser l’impact négatif sur la croissance.
La politique monétaire aura pour objectif d’assurer une bonne gestion de la liquidité (notamment par des outils de financement basés sur le marché comme l’émission d’obligations) pour contenir l’inflation (objectif de 4%), tout en soutenant les objectifs budgétaires. La politique de change visera une dépréciation contrôlée pour soutenir l’ajustement externe, gérer les ressources extérieures et contenir la demande en importations.
A moyen terme, il est vital de diversifier et renforcer la résilience de l’économie du pays en : (1) renforçant la qualité de la politique budgétaire par des mesures en faveur d’une augmentation des recettes fiscales (baisse des exonérations, renforcement de l’administration fiscale et réforme de la politique fiscale pour compenser la baisse des revenus pétroliers), d’une rationalisation des dépenses courantes au niveau des salaires et des subventions (91% des dépenses publiques courantes) et d’un renforcement de la gestion des investissements publics pour augmenter leur efficience ; (2) conduisant des réformes monétaires et de change pour améliorer la gestion des liquidités bancaires, réduire l’écart entre les taux de change officiels et parallèles et progresser vers l’unification des marchés et renforcer la supervision bancaire pour plus de stabilité bancaire et financière, et (3) renforcement de l’offre globale dans un contexte de diversification à travers : (i) une simplification des formalités pour encourager les investissements et l’activité des entreprises privées ; (ii) un meilleur accès au financement, ce qui implique de moderniser les banques et de diversifier les sources de financement pour les petites entreprises ; (iii) un encouragement à l’entrepreneuriat afin de favoriser l’innovation et la réduction des obstacles pour les entreprises ; (iv) une plus grande inclusion des femmes afin de les encourager à participer au marché du travail et (v) une réforme du secteur des entreprises publiques.