Les combats entre milices pro-turques et forces kurdes s’exacerbent en Syrie : Plus de 100 morts dans des affrontements à Manbij

06/01/2025 mis à jour: 21:19
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Les combats continuent de faire rage entre les forces kurdes et les milices soutenues par la Turquie - Photo : D. R.

«Les combats sont très violents dans le sud et le sud-est de Manbij. Les avions de guerre turcs y participent pour tenter d’empêcher l’avancée des Forces démocratiques syriennes (kurdes) et d’ouvrir la voie aux factions pro-turques», indique l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Près d’un mois après la chute de Bachar Al Assad, et alors que les Syriens continuent à célébrer avec ferveur la fin de la dictature du Baâth, dans les régions nord du pays où le gros de la communauté kurde est implanté, la paix n’est toujours pas revenue. Les combats continuent de faire rage en effet entre les forces kurdes et les milices soutenues par la Turquie. Les premières sont menées principalement par les Forces démocratiques syriennes (FDS) et les Unités de protection du peuple, le bras armé du Parti de l’union démocratique kurde (branche syrienne du PKK).

Quant aux factions pro-turques, elles sont dominées par l’Armée nationale syrienne qui est une émanation de l’ASL, l’Armée syrienne libre. Les derniers affrontements entre ces deux camps ont fait plus de 100 morts en deux jours, soit vendredi et samedi, rapportait hier l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). «Les combats sont très violents dans le sud et le sud-est de Manbij.

Les avions de guerre turcs y participent pour tenter d’empêcher l’avancée des FDS et d’ouvrir la voie aux factions pro-turques. Au cours des deux derniers jours, au moins 100 personnes ont été tuées des deux côtés, dont 85 combattants pro-turcs tués par des drones appartenant aux FDS ainsi que l’artillerie des Forces démocratiques syriennes», a déclaré ce dimanche le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane, sur Facebook.

Les forces kurdes syriennes, précise-t-il, ont enregistré 16 morts dans leurs rangs durant ces deux jours d’affrontements où elles se sont employées à «stopper la progression des groupes (soutenus par Ankara, ndlr) qui avancent au sud et au sud-est de Manbij pour tenter d’atteindre le barrage de Tashreen et de contrôler la ville de Maskana». Dans un communiqué relayé par l’AFP, les FDS ont affirmé avoir repoussé «toutes les attaques des mercenaires de la Turquie appuyés par les drones et l’aviation turcs».

Un conflit attisé par la chute d’Al Assad

Il convient de souligner que les milices arabes syriennes qui combattent pour la Turquie ont lancé leurs attaques contre les forces kurdes au nord et au nord-est de la Syrie le 27 novembre 2024, soit le jour même du début de l’offensive de la coalition dominée par Hayat Tahrir al Sham (HTS) contre le régime de Bachar el Assad. Elles ont réussi à s’emparer des villes de Manbij et Tal Rifaat, au nord du gouvernorat d’Alep. Et les combats ne font que s’exacerber depuis. «Nous ne savons pas si la bataille vise à atteindre Ayn_el Arab (Kobani) ou bien Raqqa, l’ancienne capitale de Daech qui est désormais contrôlée par les FDS avec l’appui de la coalition internationale.

Des renforts américains ne cessent d’affluer vers toutes les zones de la présence US dans la région», indique Rami Abdel Rahmane. La ville stratégique de Kobani se révèle difficile d’accès pour les forces soutenues par la Turquie car, observe-t-il, les FDS sont appuyés par les Américains justement «et les troupes américaines ont été envoyées très massivement» vers Kobani. «Les forces américaines continuent de se déployer sur le territoire syrien dans les zones situées à l’est de l’Euphrate», appuie-t-il.

En évoquant la situation dans les territoires du nord et du nord-est de la Syrie embrasés par ce conflit avec la Turquie, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme pose un sérieux problème, à savoir l’intégrité territoriale de la Syrie. «Le problème n’est pas Ahmad al Sharaa et le gouvernement de transition à Damas. C’est la question des factions de l’Armée nationale syrienne (allusion à celle fondée par l’opposition sous Bachar el Assad et soutenue par Ankara). Une armée pro-turque qui travaille sous le commandement des forces turques qui participe aux bombardements (du nord de la Syrie) avec des avions, des drones et des tirs d’artillerie».

Rami Abdel Rahman pose un autre problème connexe : le contrôle des points de passage terrestres le long de la frontière avec la Turquie. «Les points de passage gouvernementaux avec la Turquie sont contrôlés par les factions de l’Armée nationale syrienne et par le Gouvernement du Salut (qui a été installé par Hayat Tahrir al Sham à Idlib en 2017, ndlr), qui est devenu le gouvernement de transition à Damas», relève le militant des droits de l’homme dans une publication diffusée hier sur la page Facebook de l’OSDH. Il signale dans la foulée que d’autres postes-frontières sont contrôlés par les Forces démocratiques syriennes «comme le point de passage de Qamishli».

La Turquie voit dans les FDS et les Unités de protection du peuple une organisation terroriste au service du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan fondé en 1978 par Abdullah Ocalan, et qui mène une guérilla contre la Turquie depuis 1984. Le président turc Recep Tayyip Erdogan est déterminé à éradiquer ce qu’il appelle «le terrorisme kurde». Pour cela, l’armée turque mène régulièrement des incursions en Irak et en Syrie accompagnées de frappes ciblant les positions kurdes. Ankara veut à tout prix instaurer une zone tampon aux frontières avec la Syrie et s’assurer de la démilitarisation des forces kurdes syriennes.

«Le problème, ce n’est pas la ‘‘kurdicité’’»

De son côté, le nouveau pouvoir à Damas, dirigé par Ahmad al Sharaa, soutenu lui aussi par la Turquie, s’est engagé à désarmer toutes les milices syriennes et les intégrer au sein d’une nouvelle armée régulière. Une mesure qui concerne directement les FDS et les autres factions kurdes. Mais celles-ci ne semblent guère souscrire à cette option, surtout que le Rojava qui regroupe les territoires kurdes syriens, vit depuis une dizaine d’années maintenant sous une administration semi-autonome. C’est l’AANES : l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie. Aujourd’hui, ce sont les FDS qui dirigent l’AANES. Ils se sont donné pour mission de combattre à la fois les terroristes de Daech et les groupes proturcs.

En Syrie, les Kurdes sont estimés à 3 millions d’âmes, soit environ 15% de la population. Ils sont implantés dans trois principales régions : Al Djezireh, Kobani et Afrîn. En outre, un demi-million de kurdes vivent à Damas (à Haï al Akrad et Zorava). A Alep, la communauté kurde occupe notamment le quartier Sheikh Maqsoud. Côté religion, dans leur écrasante majorité, les Kurdes sont musulmans sunnites.

Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des conflits contemporains, indiquait dans un récent entretien sur France-Culture que les affrontements auxquels l’on assiste «opposent, d’un côté, des milices kurdes dominées par le PKK, en lutte contre la Turquie depuis les années 1980, et, de l’autre côté, des milices sous le contrôle de la Turquie».

Ankara «a pour objectif, depuis des années, de construire une zone tampon sur sa frontière, quitte à déplacer de gré ou de force des populations kurdes, comme on l’a vu à Afrin il y a quelques années. Son souhait est d’assurer la sécurité de sa frontière. Dans la phase actuelle, c’est l’occasion rêvée pour la Turquie d’en finir avec ces groupes kurdes, d’où cette offensive. Manbij est tombée, et maintenant c’est la ville de Kobani, sur la frontière, qui est visée et qui risque de tomber dans les prochains jours».

Analysant la politique de la nouvelle administration sous l’égide de HTS installée à Damas, il explique : «A ce jour, on n’a aucun règlement de compte ethnique, contrairement à ce qu’on annonçait. Ça n’arrive pas parce que HTS et d’autres groupes ont une stratégie très claire, qui à pour objectif la réunification nationale. Il n’y a pas de politique anti-chrétienne, anti-alaouite, ni anti-kurde. Le problème, ce n’est pas la ‘’kurdicité’’ pour les gens de Damas mais le maintien d’une force militaire autonome qui attaque la Turquie.

(…) La volonté à Damas de réunification du territoire passe nécessairement par l’expulsion ou le désarmement des milices kurdes. Mais du point de vue du nouveau pouvoir syrien, cela peut se faire par la négociation, de manière assez souple, alors que les milices contrôlées par la Turquie dans le nord sont extrêmement violentes, malgré leur efficacité militaire assez limitée».

Une ONG alerte sur le risque qui pèse sur la vie du Dr Abu Safiya

La vie du Dr Hussam Abu Safiya est menacée par la torture et une intervention internationale immédiate est nécessaire pour sa libération, a alerté l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, Euro-Med Human Rights Monitor. L’Observatoire met en garde contre «le risque grave qui pèse sur sa vie», à la suite d’assassinats délibérés et de décès sous la torture dont ont été victimes d’autres médecins et membres du personnel médical arrêtés à Ghaza depuis octobre 2023 par les forces sionistes.

Le Dr Hussam Abu Safiya a été kidnappé, fin décembre, par les forces sionistes lors de leur assaut sur l’hôpital Kamal Adwan et ses alentours après des semaines de siège, de bombardements aériens et de tirs d’artillerie, et d’attaques ciblées contre le personnel médical et technique travaillant dans l’hôpital. Selon des témoignages recueillis par Euro-Med Monitor, le Dr Abu Safiya a été soumis à de violents passages à tabac, notamment à l’aide d’un fil de fer épais couramment utilisé pour le câblage électrique des rues.

«Les soldats l’ont délibérément humilié devant d’autres détenus, y compris des membres du personnel médical», soutient l’ONG, affirmant même que des informations reçues de détenus récemment libérés du camp militaire de Sde Teyman confirment que le Dr Abu Safiya a été «soumis à de graves tortures, entraînant une détérioration significative de son état de santé».

Euro-Med Monitor exprime, dans ce contexte, sa «profonde inquiétude» quant au fait que le Dr Abu Safiya pourrait être assassiné pendant sa détention, comme ce fut le cas pour le Dr Adnan Al Bursh, chef du département d’orthopédie à l’hôpital Al Shifa, dans la ville de Ghaza, qui est mort sous la torture en avril 2024.

Pour cette organisation, la détention du Dr Abu Safiya «doit être comprise dans le contexte du génocide (sioniste) en cours à Ghaza», qui dure depuis près de 15 mois. «Son arrestation, sa torture et son exécution potentielle font partie d’une stratégie plus large visant à détruire le peuple palestinien de Ghaza, tant physiquement que psychologiquement, et à briser sa volonté», a-t-elle expliqué.

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