L'écosystème des médias d'extrême droite : La post-vérité en porte-voix réactionnaire

19/03/2025 mis à jour: 02:46
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 Quel est donc cet organe d’extrême droite auquel l’écrivain Boualem Sansal s’est livré sans retenue en octobre dernier ? . Le journaliste Raphaël Llorca construit une analyse sans concession du site et magazine Frontières. Lorsque la réalité des faits est manipulée pour conditionner les consciences.

 

En octobre dernier, c’est sur le site d’extrême droite Frontières qu’au détour d’un entretien vidéo, l’écrivain algérien Boualem Sansal avait dit, en parlant de l’Algérie : «C’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire»… 

Mettant en parallèle le grand Etat qu’«est» le Maroc et estimant que «quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara». En France, et c’est le cas jusqu’à aujourd’hui, ses amis (dont le ministre Retailleau qui s’en réclame chaque jour et injurie sans cesse l’Algérie) ont prétendu que c’est la liberté d’expression d’un auteur !. 

Aucun média n’a vraiment décortiqué ce qu’est le média auquel Sansal s’est confié. «Dans la galaxie des médias proches de l’extrême droite, on s’est beaucoup penchés sur Valeurs actuelles, le Journal du Dimanche ou CNews. Mais un autre titre joue un rôle central dans cet écosystème : Frontières – anciennement connu son le nom de Livre Noir. Se situant quelque part entre le média, l’agence de com’, le think tank et le parti politique, Frontières a lancé son magazine trimestriel», écrit sur son blog «Lire les Barbares», Raphaël Llorca, essayiste et journaliste. 

Cette newsletter mensuelle critique la production intellectuelle réactionnaire, en analysant les figures et ouvrages influents de la droite. En lisant six numéros de Frontières, il précise que «ce magazine s’impose comme un acteur clé de la bataille culturelle menée par l’extrême droite contre la République (...). Il diffuse une vision du monde identitaire et anti-immigration, quitte à manipuler les faits et à instrumentaliser le débat public». Dans une note sur ce travail, David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias Fondation Jean-Jaurès, écrit que «l’extrême droite n’a jamais renoncé à la bataille culturelle. Bien au contraire, elle en a fait une priorité stratégique, multipliant les canaux, les formats et les discours pour imposer ses thèses dans le débat public».


UNE OPPOSITION MALSAINE ENTRE HABITANTS DE «SOUCHE» ET IMMIGRES

Avec le racisme violent poussé à l’exacerbation de la haine. Montant en épingle «la coexistence conflictuelle de ‘‘deux peuples’’ sur une même terre, la France. D’un côté, il y aurait le peuple des ‘‘Français de souche’’, celui qui ‘‘habite les terres gauloises depuis des millénaires, qui vécut la défaite de Vercingétorix, le baptême de Clovis, la Guerre de Cent Ans, la construction de Versailles et l’épopée impériale». 

De l’autre, il y aurait un deuxième peuple, «venu par bateau ou par avion, principalement de l’autre côté de la Méditerranée». A la lecture de cette description par David Medioni, on comprend mieux la campagne insensée contre l’Algérie depuis le mois de septembre dernier, portée par un clan nourri par Frontières et la sphère Bolloré, qui irriguent d’idées malsaines, et fausses, la société en inoculant leurs thèses jusque dans des sphères médiatiques et politiques éloignées de ces extrêmes.

Marquer l’opinion est le challenge de ce média qui rejoint les autres organes qui sèment le mensonge et l’outrance. On est dans la post-vérité. Une situation dans laquelle, selon la définition, il est donné plus d’importance aux émotions, aux opinions qu’à la réalité des faits. Ainsi, David Medioni ajoute une citation de Frontières sur des «barbares», «d’autant plus décriés qu’ils sont sans cesse pointés du doigt dans leur refus de s’intégrer à la société française, légitimant en retour le principe, pour les ‘‘vrais Français’’, de s’en prendre à eux».  Le danger véhiculé est réel. Frontières entend aussi proposer des solutions folles, «martiales»  ou fascistes, organisées en bande ou forces de l’ordre se manifesteraient contre les indésirables. 

Ou comment la fiction deviendrait réalité. Les six numéros étudiés par Raphaël Llorca «sont parsemés d’images, extrêmement bien léchées, de chaos, de violence, d’agressivité. Flammes, police, armée : la pulsion de mort est partout, tout le temps. Et ‘‘l’ennemi de l’intérieur’’, extrêmement bien identifié : il porte une barbe longue et un turban».


UN ORGANE LABORATOIRE, «MACHINE DE GUERRE CULTURELLE»

Ainsi Frontières est «un outil d’influence, une chambre d’écho pour les théories les plus radicales de la droite identitaire, et un laboratoire d’expérimentation où se fabriquent les éléments de langage destinés à irriguer l’ensemble du champ médiatique réactionnaire. En un mot, Frontières (…) est une machine de guerre culturelle, pensée pour peser sur le cours des idées et préparer, sur le terrain symbolique, une recomposition politique à droite». 

David Medioni argumente que Frontières «cherche à imposer un récit, une cosmogonie politique où se joue rien de moins que la légitimité du cadre républicain».

Ainsi le quatrième numéro, titré «La haine du Blanc» (17 juillet 2024), défend et cherche à renforcer «un prétendu racisme anti-Blanc qui sévirait dans l’Hexagone, l’une des vieilles rengaines de l’extrême droite portée par feu Jean-Marie Le Pen». 

En faisant un ignoble parallèle avec l’Afrique du Sud, suggérant que «l’apartheid existe toujours bel et bien, mais dans l’autre sens». En plein dans ce qu’on appelle depuis Trump la «vérité alternative», et qu’on appelait simplement mensonge jadis.

UNE HYSTÉRIE XÉNOPHOBE

Le magazine (internet et papier) a beaucoup joué dans l’hystérie médiatique teintée de xénophobie autour de la bagarre sanglante à Crépol, près de Romans (Drôme), en novembre 2023, où un jeune «Blanc» avait été tué. Le hors-série du 30 janvier 2025, rappelle David Medioni, est consacré à la recherche des «coupables de l’invasion migratoire» et «forge un nouveau concept, celui d’Etat profond de l’immigration», désignant «ceux qui pilotent l’invasion migratoire de notre pays». 

Et il cite les traîtres parmi lesquels les avocats qui conseillent les étrangers et il réalise une «cartographie française des prétoires les plus laxistes». Frontières dénonce aussi des journalistes. L’un d’eux, de la rédaction de Mariane, en fait les frais. 

Par ailleurs, fidèle à la ligne «identitaire», cet organe est aussi un ennemi de la République : «On retrouve à l’intérieur des pages de Frontières la même critique implacable des principes de 1789, la même hantise de la décadence, le même attachement aux traditions, la même rhétorique guerrière contre l’étranger, la même condamnation de l’‘‘anti-France’’, la même aspiration au rétablissement violent de l’ordre.» Qui, après cette description, aurait envie d’accorder le moindre entretien à ce média répugnant ?

 

France  / de notre correspondant 

 Walid Mebarek

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