Présenté devant un public intéressé, le film documentaire Les témoins de la mémoire, produit en 2004,
avait réussi à réhabiliter la mémoire des anciens déportés algériens en Nouvelle-Calédonie.
Malgré le poids des années, Saïd Oulmi garde toujours la verve de ce réalisateur hors pair et bouillonnant d’idées, très connu pour avoir ravivé les mémoires à une certaine époque à travers ses films documentaires percutants, dont le plus célèbre demeure celui consacré à l’histoire poignante des Algériens déportés en Nouvelle-Calédonie durant l’occupation française.
Une œuvre qui avait marqué des milliers de téléspectateurs lors de sa diffusion en prime time par la télévision algérienne en 2004, provoquant une merveilleuse nostalgie auprès des descendants de ces déportés qui, malgré le temps et l’éloignement, n’ont pas oublié ni renié leurs racines.
Une série qui a rappelé la saga de l’auteur américain Alex Haley dans le roman Racines adapté à la télévision raconte l’histoire du descendant d’un esclave noir qui est allé à la recherche de ses origines en Afrique. Le film documentaire Chouhoud Edhakira (Les témoins de la mémoire) de Saïd Oulmi produit sous forme d’une série de huit parties de 52 minutes chacune, dont des séquences ont été projetées récemment lors de la 4e rencontre du «Café Cinérama» de la ville de Aïn M’lila, dans la wilaya d’Oum El Bouaghi, a été qualifié par certains intervenants de référence historique qui demeure encore d’actualité plus de 20 ans après sa première diffusion.
La rencontre, animée par Djamel Eddine Hazourli, ancien producteur et présentateur de la célèbre émission radiophonique Cinérama, laquelle a connu une nouvelle naissance, grâce à l’initiative de Karim Messaoud Debbih, passionné de cinéma et gérant du Café Cinérama, ayant réussi à créer un espace de rencontres conviviales, a été marquée par la présence de nombreuses personnes de divers horizons réunis par le 7e art. L’invité du jour n’est pas à présenter pour ceux qui ont suivi ses œuvres dans les années 2000, même s’il demeure encore inconnu par la jeune génération.
Lors d’une brève projection, Saïd Oulmi est revenu sur la genèse de son film et les péripéties ayant marqué son tournage. «La problématique posée avant d’entamer la production de ce travail était basée sur la question de savoir si le film documentaire peut devenir une passerelle pour commémorer et réhabiliter la mémoire puis la transmettre. Pouvons-nous briser le mur du silence et de l’oubli autour de cette partie de notre mémoire oubliée ? Le film documentaire peut-il détruire la mémoire coloniale et reconstruire la mémoire des déportés algériens.
Est-ce que cette série pourra contribuer à la réhabiliter et quel sera l’impact de ce travail historique sur l’opinion publique ?», s’est-il interrogé. L’intervenant est revenu sur les nombreux défis auxquels il avait dû faire face, à commencer par la difficulté de trouver des documents d’archives, en l’absence de mémoires ou d’écrits, mais aussi le problème des témoignages en raison de la sensibilité du sujet, les souffrances subies par les descendants des déportés, l’oubli, le silence et la honte, sans oublier les problèmes de financement et les soucis techniques.
Contexte historique de la déportation
Pour imprégner l’assistance de la politique adoptée par l’administration coloniale française vingt ans à peine après la prise d’Alger et les méthodes appliquées contre les Algériens qui ont mené une farouche résistance, Saïd Oulmi a mis en avant le contexte historique et juridique de la déportation.
Il a rappelé les trois lois coloniales décrétées à l’époque, dont la loi du 8 juin 1850 sur les déportés politiques, celle du 30 mai 1854 sur la déportation et les travaux forcés et celle du 27 mai 1885 sur les crimes mineurs.
Le caractère injuste et inhumain du colonialisme français apparaît clairement dans l’article 6 de la loi du 30 mai 1854 où il est mentionné : «Tout individu condamné à moins de huit années de travaux forcés sera tenu à l’expiration de sa peine de résider dans la colonie dans un temps égal à la durée de sa condamnation».
Ce qui veut dire que le condamné, qui avait déjà vécu les dures épreuves de la déportation en mer, puis les conditions pénibles dans les bagnes situés dans les régions tropicales et inhospitalières, devra subir une deuxième condamnation privative et préméditée pour l’empêcher de revenir à son pays. Dans ces conditions, des centaines d’Algériens avaient péri rongés par les maladies et la famine. «L’histoire des bagnes de la Calédonie et de Cayenne est restée gravée dans la mémoire collective en Algérie, surtout que leur nombre était le plus important.
A titre d’exemple, sur les 70 000 déportés en Guyane, 25% étaient des Algériens», a expliqué Saïd Oulmi. «Le but de ce film documentaire destiné au grand public, mais aussi aux chercheurs et étudiants était d’éclairer l’opinion publique sur une page de notre histoire oubliée, contribuer à la destruction de la mémoire coloniale, corriger la déformation historique et reconstruire une partie de la mémoire nationale en brisant le mur du silence», a-t-il précisé. Il était question de faire revivre les voix de ces pères et grands-pères déportés qui n’ont plus revu leur terre d’origine, réconcilier leurs descendants avec leur histoire et leur identité. Une manière de leur rendre une justice symbolique.
Une dimension humaine
Comme pour toute œuvre documentaire, le film est passé par les étapes de la recherche documentaire, la fixation de l’angle d’attaque pour le scénario, la préparation de la production, le tournage, le montage, la publicité et la diffusion.
La documentation s’est basée sur les lettres, les photos, les témoignages vivants, la visite des lieux de mémoire, les rencontres avec les historiens et les chercheurs et les archives audiovisuelles. «Nous avons dû consulter 18 livres, rencontrer et interviewer 44 historiens et chercheurs et exploiter 42 documents écrits et 142 photos, sans compter les déplacements en Algérie, en France et en Nouvelle-Calédonie.
Notre but était de montrer également la dimension humaine et les sentiments des familles des déportés et raconter leurs histoires personnelles, leurs souffrances et leur résilience face à cet héritage, à l’oubli et au silence. Ce tournage a fait revivre une mémoire vivante, mais blessée», a révélé Saïd Oulmi. La rencontre avec les descendants des déportés en Nouvelle-Calédonie était très émouvante.
Ces derniers ont montré un attachement infaillible envers la terre de leurs ancêtres, leur identité et leurs racines, alors qu’ils vivent à plus de 22 000 km. Le réalisateur du film a rapporté que des signes d’appartenance étaient visibles sur les lieux de mémoire, à travers la pratique de la Fantazia, les noms, l’omniprésence du croissant et de l’étoile (symboles de la religion islamique), mais aussi le cimetière qui rappelle la fidélité à leurs parents et grands-parents.
Une fidélité qui s’était ancrée en dépit des tentatives coloniales d’interdire les noms arabes et tout ce qui a un lieu avec les origines algériennes. Les propos de certains d’entre eux rapportés dans le film en sont une preuve de ce qu’ils avaient enduré pendant des décennies. «Pourquoi le silence, c’est pour se reconstruire sur cette terre étrangère marquée par la honte puis l’oubli pour protéger la génération future», dira Tayeb Aïfa.
«Nous sommes orphelins d’une partie de notre vrai passé dans un pays où le non-dit est présent, un passé trop lourd à porter», avoue Dominique Flotta. «Notre destin est suspendu depuis si longtemps, entre un passé trop lourd à porter et un avenir incertain», ajoute Christophe Sand. «Notre histoire se terminera une fois que le tournage de ce film aura pris fin», conclut Yasmine Mistoura.
Faire la lumière sur une vérité historique
«Le film documentaire sur les déportés algériens en Nouvelle-Calédonie, qui avait contribué à faire la lumière sur une vérité historique marginalisée est un hommage qui leur avait été rendu et une manière de réhabiliter leur mémoire et briser le mur du silence sur une page de notre histoire ; à travers cette œuvre, nous avons révélé les crimes du colonialisme français contre les Algériens», a déclaré Saïd Oulmi lors des débats animés au «Café Cinérama». Des crimes qu’on a tendance à oublier du côté de l’Hexagone où l’extrême droite continue de s’acharner ces derniers temps contre l’Algérie en semant la haine et divulguant des contrevérités.
«Ces vieux Algériens arrachés de chez eux, envoyés à l’autre bout du monde, ont symboliquement été réhabilités par l’Algérie quand leur histoire est passée en prime time sur les écrans de la télévision à travers la série Les témoins de la mémoire de Saïd Oulmi et Fatiha Si Youcef», avait déclaré Christophe Sand. «Notre histoire prend enfin un sens, nos vieux ont trouvé une place reconnue dans l’histoire de la terre algérienne», notera avec satisfaction Tayeb Aïfa.
Le film avait eu le grand mérite d’ouvrir la voie du retour pour certains descendants de déportés pour voir les lieux où habitaient leurs grands-parents et rencontrer leurs proches. Un retour symbolique aussi à travers une pensée à leurs ancêtres 150 ans après leur déportation.
Les téléspectateurs algériens qui avaient vu cette série en 2004 se rappellent encore de ces moments de liesse populaire et de forte émotion lors de rencontres dans diverses régions d’Algérie marquées par la joie, les larmes, le baroud, la musique et d’autres faits qui demeurent encore indescriptibles. Le film documentaire de Said Oulmi avait décroché la médaille d’or au Festival des télévisions arabes au Caire en 2006.
Pour la mémoire, une stèle avait été inaugurée le 5 juillet 2021 pour rappeler l’histoire de ces déportés. Lors de la rencontre du Café Cinérama, un appel a été lancé pour diffuser ce genre de films documentaires dans les écoles, les collèges et les lycées afin que les jeunes générations apprennent la vraie histoire de leur pays. Un message adressé au ministère de l’Education.