Laidi Aoudeche. Président du Syndicat national des magistrats (SNM) : «La justice pénale internationale est devant un défi existentiel»

30/11/2023 mis à jour: 00:30
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Photo : D. R.

Qualifiée de «Conférence humanitaire indépendante», l’initiative algérienne devant aboutir à l’élaboration d’une plainte devant la Cour pénale internationale (CPI) contre l’entité sioniste pour les crimes génocidaires commis contre les Palestiniens a drainé plus de 500 avocats, magistrats et professionnels du droit, algériens, mauritaniens, tunisiens, libyens, jordaniens, palestiniens et français. Très engagé dans cette action, Laidi Aoudeche, président du Syndicat national des magistrats (SNM), revient dans cet entretien sur la conférence, les objectifs, le rôle du SNM dans cette action, la procédure devant la CPI et les chances d’aboutissement de celle-ci.

  • Vous prenez part avec de nombreux magistrats à cette conférence internationale, dont les travaux d’atelier, débutés hier, devront aboutir à la rédaction de la plainte contre Israël pour les crimes génocidaires commis contre la population civile palestinienne. Peut-on en savoir plus sur cette action ?

C’est une conférence humanitaire et indépendante. Elle intervient en réponse à l’appel du président de la République, lancé à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, en direction des hommes de droit pour traîner en justice l’entité sioniste pour les crimes génocidaires qu’elle a commis contre les Palestiniens. L’Algérie a été le premier pays à s’engager sur cette voie.

Le Syndicat des magistrats et l’Union des avocats n’ont pas été insensibles à cet appel. L’idée était d’organiser une grande conférence afin de discuter des conditions d’une action judiciaire devant la CPI. Pour qu’elle soit plus élargie, nous avions décidé d’inviter des confrères de nombreux pays, qui partagent nos préoccupations.

Les participants viennent de Palestine, de Mauritanie, de Tunisie, du Liban, de Jordanie, de Libye et d’Egypte, mais aussi de France. Cette conférence constitue la première étape de la démarche. Le vrai travail interviendra après, une fois que les comités d’experts et d’enquêteurs seront constitués pour se charger de la rédaction des notes d’information adressées au procureur de la CPI.

  • Est-il possible que cette plainte soit acceptée, sans que le plaignant ait la qualité d’Etat partie ou de victime ?

Nous avons opté pour la voie du bureau du procureur de la CPI. Ce dernier a le pouvoir de déférer cette affaire devant la CPI. Nous n’allons pas le faire au nom de l’Algérie, qui n’est pas Etat partie de cette juridiction. Le procureur agit sur la base des notes d’information transmises par les ONG internationales, les associations des droits de l’homme et les personnalités qui activent dans le domaine des droits de l’homme.

La seule condition est que ces associations, mouvements ou militants des droits de l’homme détiennent des preuves et des documents qui informent sur les faits. Le bureau du procureur reçoit des dizaines de notes d’information, mais seules celles qui répondent au canevas et qui comportent des éléments avérés sont acceptées.

Les autres sont souvent rejetées pour vice de forme ou pour la légèreté de leur contenu. Lorsqu’elles répondent aux normes, le procureur est obligé de les diriger vers le département préliminaire de la CPI, qui joue un rôle prépondérant, étant donné que c’est lui qui donne le quitus pour l’ouverture d’une enquête.

  • Il s’agit donc d’une nouvelle initiative qui n’a aucun lien avec la plainte déposée le 9 novembre dernier par plus de 300 avocats, à leur tête Me Gilles Devers, invité d’ailleurs à cette conférence ?

C’est une nouvelle initiative menée en coordination, avec les démarches similaires afin de lui donner plus d’échos et de force. Tous les efforts seront scindés afin d’optimiser les résultats. Avec Me Devers, par exemple, nous verrons comment il a agi et quelle procédure il a engagée pour coordonner nos efforts et renforcer notre coopération, et être en synergie, même si chacun a sa propre plainte.

Il faut juste être sur la même longueur d’onde. Le statut de Rome n’a pas ouvert la porte uniquement aux avocats, qui constituent la vitrine de toutes les plaintes et les notes d’information. Toutes les associations gouvernementales ou non qui agissent dans le domaine des droits de l’homme peuvent saisir le procureur de la CPI.

Ce sont les actes préliminaires qui permettent à ceux qui ont transmis des notes d’information sur des présumés crimes de convaincre le procureur d'ouvrir une enquête. Le rôle de l’avocat dévient obligatoire lorsque l’enquête commence. Sa mission est de défendre les victimes et leurs droits. Cela étant, il est important que l’avocat soit présent à tous les niveaux. Nous sommes encore à l’étape de la présentation des premiers actes de la procédure. Ces derniers doivent être bien établis pour convaincre le procureur à ouvrir une enquête.

Même les magistrats présents à travers leur organisation ont un rôle à jouer. Il faut savoir que la mission essentielle d’un juge à travers le monde est de concrétiser l’indépendance de la justice. Aujourd’hui, si l’Union internationale des magistrats (UIM), dont le syndicat est membre, ne réagit pas face à une affaire humanitaire comme celle que nous vivons, quand le fera-t-elle ?

  • Justement, en tant que membre de cette Union, l’avez-vous interpellée sur cette question ?

Nous comptons demander à l’Union, qui défend les principes d’indépendance de la justice et de justice, de réagir. Les magistrats israéliens, qui font partie de cette organisation, ne réagissent pas en tant que magistrats épris de justice et d’équité, mais en tant que machine entre les mains des dirigeants militaires et civils sionistes afin de priver les Palestiniens de leurs droits les plus élémentaires, à travers des condamnations à perpétuité, la confiscation de leurs terres, après rejet de leurs plaintes, la ségrégation, etc. Un syndicat de magistrats qui accepte cette situation ne mérite pas de siéger à l’Union. C’est pour cette raison que nous demanderons le gel de sa participation.

  • Etes-vous convaincu que votre initiative puisse aboutir, sachant que la CPI a été sévèrement critiquée pour ses lourdes lenteurs, presque dix ans pour une plainte lorsqu’il s’agit d’épingler Israël, et sa célérité, en 2 mois dans le traitement du dossier lié au conflit ukrainien, en délivrant un mandat d’arrêt international contre le président russe ?

Cette plainte aura un impact et une continuité à travers le temps. Notre but n’est pas de faire une conférence à effet médiatique, mais de préparer la plateforme de la procédure à venir. Ce n’est que le début du lancement. L’ensemble des experts invités le demandent et c’est ce que nous voulons. Aujourd’hui, la justice pénale internationale est devant un défi existentiel. Ou la CPI existe ou elle va disparaître.

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