Jeuner et mourir sous les bombes : Chronique d’un Ramadhan épouvantable à Ghaza

09/04/2024 mis à jour: 09:24
1630
(Photos: dr )

Le Ramadhan 2024 touche à sa fin et les Ghazaouis en garderont certainement un goût affreux. Depuis le début du mois sacré, il n’y a pas eu un seul jour sans morts, sans peur, sang et larmes à Ghaza. Pendant plusieurs semaines, rappelez-vous, il y avait l’espoir d’une trêve qui serait conclue avant le Ramadhan, et il n’en fut rien. Puis vint après moult rounds de tractations une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU – la «2728» – qui appelait à «un cessez-le-feu humanitaire immédiat pendant le mois du Ramadhan, qui soit respecté par toutes les parties et mène à un cessez-le-feu durable». 

Le texte avait été adopté presque à l’unanimité le 25 mars, soit deux semaines après le début du mois de carême, et l’espoir renaissait pour les Palestiniens de connaître enfin un peu de paix et de passer la deuxième moitié du Ramdhan dans le calme et le recueillement. Et là encore, il n’en fut strictement rien. 

La machine de guerre israélienne a persisté dans ses crimes, fauchant en moyenne une soixantaine de vies d’innocents par jour. Parmi les faits les plus marquants de ce Ramadhan meurtrier à Ghaza, la destruction complète de l’hôpital Al Shifa, le plus grand complexe médical de l’enclave palestinienne. L’armée israélienne a mené une opération d’envergure dans et autour de l’hôpital, causant des dégâts inouïs et laissant derrière elle un véritable charnier.

 Ce mois de Ramadhan a été marqué également par l’assassinat de 7 travailleurs humanitaires de l’ONG World Central Kitchen. C’était le 1er avril dernier, lorsque des drones israéliens ont ciblé trois véhicules de l’ONG américaine à Deir El Balah. 

Quelque 200 travailleurs humanitaires ont été tués depuis le début de la guerre contre Ghaza. Avant ce crime de guerre, on a vu se  multiplier pendant le mois sacré les attaques contre des civils aux points de distribution de l’aide humanitaire à Ghaza. Ainsi, le 14 mars dernier, les troupes israéliennes ont ouvert le feu sur une foule affamée qui ne faisait qu’attendre un convoi humanitaire au rond-point «Al Koweït», près de la ville de Ghaza. La tuerie avait fait 20 morts et 155 blessés. 


Un deuil infini

Et tandis que le Ramadhan est connu pour ses mets exquis, ses tablées animées dans la joie des retrouvailles le soir autour de l’iftar, ainsi que ses veillées festives agrémentées de pâtisseries délicates dans la gaieté d’une soirée en famille ou bien une sortie entre potes, rien de tel pour les Ghazaouis. Les soirées palestiniennes n’auront été que de longues et répétitives veillées funèbres durant ce Ramadhan 2024 qui nous quitte. Un deuil infini. Outre les cortèges quotidiens de morts et de blessés, la famine a continué à déchiqueter les entrailles des survivants des massacres qui se suivent. Le Bureau central palestinien des statistiques rapportait ce dimanche qu’«au moins 31 décès dus à la malnutrition et à la déshydratation, dont 28 enfants»  ont été recensés dans la bande de Ghaza ces dernières semaines. 

Selon le Programme alimentaire mondial, la famine touche 1,1 millions de personnes dans l’enclave martyrisée. 70% de la population du nord du territoire assiégé est confrontée à une terrible détresse humanitaire provoquée par une famine aiguë. On avait assisté pourtant à une légère accélération des flux d’aide destinée à la population civile de Ghaza. Plusieurs pays ont décidé de procéder à des largages humanitaires par parachute, y compris les Etats-Unis. Mais ce procédé a montré ses limites. Outre les quantités dérisoires de denrées larguées par voie aérienne, les colis alimentaires sont parfois difficiles à récupérer, surtout lorsqu’ils atterrissent en mer. 

Récemment, 12 personnes ont péri par noyade au large des côtes palestiniennes en essayant de récupérer ces ballots échoués en mer. Le Hamas a appelé à cesser ces largages, insistant sur la nécessité de privilégier la voie terrestre. Plusieurs ONG et agences onusiennes ont alerté également sur le caractère inefficace de ces solutions alternatives et ont plaidé pour l’augmentation des flottes de camions autorisés à entrer dans Ghaza. On a vu aussi au tout début du Ramadhan une autre solution entrer en action.

 C’est le corridor maritime entre Chypre et Ghaza mis en place par l’Union européenne, et dans lequel Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, plaçait beaucoup d’espoir. Un premier bateau humanitaire, celui de l’ONG espagnole Open Arms, est parti le 12 mars du port chypriote de Larnaca à destination de la Palestine et il a accosté le 15 mars au port de Ghaza avec des airs de triomphe. Le bateau remorquait une barge chargée de 200 tonnes de vivres.

 Cette opération pilote a été organisée, rappelle-t-on, conjointement avec l’ONG World Central Kitchen (WCK), oui, celle-là même dont 7 membres de différentes nationalités ont été tués dans les raids assassins du 1er avril. Suite à cet attentat, WCK a décidé de suspendre ses opérations, de même que son partenaire, l’ONG Open Arms. Les Etats-Unis avaient promis la construction d’un port temporaire à Ghaza pour intensifier l’acheminement des aides humanitaires par mer, mais celui-ci nécessite deux mois de travaux pour être mis sur pied. Par conséquent, il est loin d’être opérationnel. 


Ainsi, le quotidien des Palestiniens depuis le 7 octobre n’a pas bougé d’un iota en ce mois de miséricorde et de solidarité, avec son lot de bombardements, de faim et aussi de répression quand on songe aux dizaines d’arrestations opérées quotidiennement par les troupes israéliennes en Cisjordanie. 

En cette veille d’Aïd, point de joie donc ni de sourires sur les visages des enfants de Ghaza. Point de célébrations ni de décorations de fête ; point de visites familiales ni d’embrassades bruyantes, ni pas même de recueillement sur les morts, les cimetières eux-mêmes n’ayant pas échappé à la barbarie israélienne. Et ce décor apocalyptique risque d’être le lot des Ghazaouis pendant un long moment encore.  


Un Aïd noir 

La journée d’hier a été une nouvelle fois marquée par les mêmes brutalités et les mêmes raids assassins auxquels les Ghazaouis sont exposés depuis 185 jours. Dans la nuit de dimanche à hier, 32 morts et 47 blessés ont été enregistrés, portant le bilan général provisoire de la guerre contre Ghaza à 33 207 morts et 75 933 blessés. Selon l’agence Wafa, des attaques ont été menées hier contre le camp d’Al Shujaiya dans la ville de Ghaza.

 Au centre de l’enclave, une série d’attaques se sont concentrées sur le camp de Nusseirat et celui d’Al Maghazi ainsi qu’une zone d’habitation de la ville de Deir Al Balah. Dans le sud du territoire encerclé par les flammes, des frappes aériennes ont ciblé la ville de Rafah où des sites résidentiels ainsi que des exploitations agricoles ont été visées. L’un de ces raids a ciblé le secteur d’Al Brahma, de même que le périmètre de l’hôpital Koweïtien. L’aviation israélienne a en outre bombardé hier des zones urbaines de la localité d’Al Qarara, au nord de Khan Younès. 

Rappelons que les troupes israéliennes viennent de se retirer de la ville de Khan Younès, laissant derrière elles un chaos indescriptible. «Dimanche, aussitôt après le retrait israélien, des dizaines de Palestiniens réfugiés à Rafah sont retournés à Khan Younès. A pied, en voiture ou sur des charrettes tirées par des ânes», relate l’AFP, décrivant une ville transformée en «champ de ruines». «Toutes les rues ont été rasées au bulldozer. Et l’odeur... J’ai vu des gens creuser et sortir les corps», témoigne Maha, une habitante de Khan Younès, à l’AFP. Selon Al Jazeera, au moins 35 corps de civils tués ont été exhumés des décombres dans divers quartiers de Khan Younès après le retrait des forces d’occupation. 


«L’abîme de l’enfer à Ghaza se creuse de jour en jour»

Face à ces scènes d’horreur recommencées, les agences de l’ONU ont de nouveau donné l’alerte dans l’espoir que la conscience du monde dit «libre» réponde. «Le déni de besoins fondamentaux – nourriture, carburant, assainissement, abri, sécurité et soins de santé – est inhumain et intolérable», s’est indigné le chef de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, cité par l’APS. «La mort et les blessures graves de milliers d’enfants à Ghaza (...) resteront une tache sur (le front de) l’humanité tout entière», a-t-il ajouté. 

Le commissaire général de l’Unrwa, Philippe Lazzarini, a déclaré de son côté : «L’abîme de l’enfer à Ghaza se creuse de jour en jour.»  «Toutes les lignes – y compris les lignes rouges – ont été franchies» et la situation est «aggravée par la famine due au siège qui dévore les corps des bébés et des jeunes enfants», a-t-il fustigé. La directrice exécutive de l’Unicef, Catherine Russel, a posté samedi ce message poignant sur le réseau X : «La guerre à Ghaza aurait tué plus de 13 000 enfants et en aurait blessé d’innombrables autres. Maisons, écoles et hôpitaux en ruine. 

Enseignants, médecins et humanitaires tués. La famine est imminente. L’ampleur et la rapidité de la destruction sont choquantes. Les enfants ont besoin d’un cessez-le-feu maintenant.» L’espoir d’une trêve est brièvement revenu à la faveur d’une annonce faite dimanche par des médias égyptiens qui ont parlé dans un premier temps de «progrès significatifs» dans l’évolution des négociations alors que les pourparlers avaient repris au Caire. Mais des responsables des deux parties ont tempéré les ardeurs de la presse égyptienne. 

Hamas a réitéré son intransigeance en revendiquant une fois de plus «un cessez-le-feu complet, un retrait israélien de Ghaza, un retour des déplacés et un accord ‘‘sérieux’’ d’échange d’otages et de prisonniers palestiniens détenus par Israël», indique l’AFP. Côté israélien, Benyamin Netanyahu s’est dit une nouvelle fois opposé à tout accord de cessez-le-feu «sans la libération de tous les otages». 
 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.