Selon le Bureau gouvernemental des médias à Ghaza, le nombre de journalistes tués dans les raids israéliens s’élève à 96. A préciser toutefois que ces journalistes ne sont pas tous morts dans l’exercice de leur fonction.
Il ne se passe quasiment pas un jour sans que l’on n’annonce la mort d’un ou d’une journaliste en Palestine. Selon le Bureau gouvernemental des médias à Ghaza, le nombre de professionnels des médias tués dans les raids israéliens s’élève désormais à 96. Certaines organisations internationales de journalistes, comme RSF, précisent toutefois que les journalistes tués ne l’ont pas tous été en exerçant leur métier.
Toujours est-il que dans de nombreux cas soigneusement documentés, les reporters qui couvrent l’actualité sanglante à Ghaza ont délibérément été pris pour cibles. Cela rappelle le cas de la journaliste Shirine Abou Akleh. La correspondante d’Al Jazerra en Cisjordanie occupée avait été tuée par des tirs israéliens le 11 mai 2022 alors qu’elle témoignait de l’assaut donné par l’armée sioniste sur le camp de Jénine.
La direction de la chaîne qatarie avait aussitôt accusé l’armée israélienne de «ciblage intentionnel» et de «meurtre flagrant» commis de «sang-froid». Al Jazeera avait par la suite soumis au procureur de la Cour pénale internationale un dossier incriminant l’armée israélienne.
Au cours de la guerre menée sans relâche depuis maintenant 73 jours contre la Bande de Ghaza, le travail de journaliste est devenu de plus en plus périlleux, pour ne pas dire suicidaire, surtout avec les bombardements massifs, intensifs et sans discernement qui pilonnent Ghaza sans ménagement, n’épargnant ni enfants, ni personnes âgées, ni malades, ni secouristes, ni travailleurs humanitaires, ni abris de l’UNRWA, ni cimetières, ni hôpitaux, ni mosquées, ni paroisses, ni écoles…
Devant un tel déluge d’atrocités, comment s’étonner que les reporters et les équipes de télévision ne soient pas épargnés, même en arborant un gilet avec la mention «Press». Le cameraman d’Al jazeera – encore elle – Samer Abou Daqa l’a appris à ses dépens et a payé de sa vie son attachement à faire son métier. Samer a été tué vendredi 15 décembre dans une école de Khan Younès attaquée par un drone israélien. Il avait été blessé par des éclats d’obus et est resté étendu sur le sol pendant cinq heures, se vidant inexorablement de son sang jusqu’à s’éteindre. Les équipes de secours n’avaient pas pu intervenir sur le lieu de l’attaque pour l’évacuer.
«Ils étaient au courant de notre présence et nous ont ciblés»
Il y avait avec lui l’héroïque Wael Al Dahdouh, autre visage emblématique d’Al jazeera qui avait perdu sa femme et ses enfants dans un bombardement le 25 octobre dernier et qui a continué à s’acquitter courageusement de sa mission, ne prenant même pas le temps de faire son deuil et de reprendre ses esprits. Wael Al Dahdouh a été blessé lui aussi en même temps que Samer, et il a pu être miraculeusement secouru à temps.
Samer Abou Daqa a été enterré samedi à Ghaza. Sur l’amas de terre qui recouvrait sa dépouille était posé, en guise de pierre tombale, son casque dérisoire qui était censé le protéger. Le bras en charpie mais toujours stoïque, Wael a tenu à assister à l’enterrement de son fidèle coéquipier. Et c’est même lui qui prononcera l’oraison funèbre.
Après avoir loué le dévouement et le professionnalisme de son ami, il a insisté sur le fait que l’armée israélienne était parfaitement au courant de leur présence dans cette école. Wael Al Dahdouh affirme qu’il y ait une «coordination et un accord préalable sur notre présence à cet endroit en compagnie des équipes de secours de la Protection civile». Il répète qu’ils étaient bien «en mission officielle approuvée».
Comme elle l’a fait pour Shirine Abou Akleh, la chaîne Al Jazeera a annoncé qu’elle saisira de nouveau le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) au sujet de son cameraman «exécuté» à Khan Younès. A noter que l’organisation Reporters Sans Frontières avait annoncé dès le 31 octobre dernier qu’elle saisissait la CPI au sujet des nombreux journalistes tués à Ghaza dans l’exercice de leur métier.
«L’ampleur et la gravité des crimes visant les reporters, surtout à Ghaza, appellent une enquête prioritaire de la CPI», déclarait en effet cette ONG sur le réseau X. Dans son bilan annuel publié jeudi dernier, RSF a souligné : «A Ghaza, les journalistes paient un lourd tribut parmi les civils. Nous constatons que le nombre des journalistes tués dans le cadre de leurs fonctions y est très élevé (…). Nous avons déposé plainte auprès de la Cour pénale internationale pour établir la réalité des faits, et en quoi les journalistes ont été sciemment visés.»
La FIJ et le CPJ documentent les violences contre les médias
De son côté, la FIJ (Fédération internationale des journalistes) s’applique à documenter minutieusement toutes les atteintes au droit d’informer dans les Territoires palestiniens occupés et les violences infligées aux travailleurs des médias dans la Bande de Ghaza.
Un travail que la FIJ mène en «étroite collaboration avec le PJS (le syndicat des journalistes palestiniens, ndlr)», précise-t-elle, pour «vérifier les informations en temps réel et documenter tous les meurtres».
Le verdict de la FIJ est effarant quant au traitement réservé aux journalistes présents à Ghaza. «La guerre à Ghaza a déjà fait beaucoup plus de morts parmi les professionnels des médias que n’importe quel autre conflit», constate l’organisation basée à Bruxelles. La FIJ a pris soin de dresser une longue liste, régulièrement actualisée, de tous les journalistes tués en Palestine.
Le même travail est effectué par une autre organisation internationale dont le siège est aux Etats-Unis : le CPJ (Comittee to Protect Journalists). «Au 17 décembre, les enquêtes préliminaires du CPJ ont montré qu’au moins 64 journalistes et professionnels des médias figuraient parmi les plus de 19 000 personnes tuées depuis le début de la guerre, le 7 octobre», écrit le Comité pour la protection des journalistes.
Le Bureau gouvernemental des médias à Ghaza accuse ouvertement Israël de cibler délibérément les journalistes «pour les empêcher d’informer l’opinion internationale sur la situation à Ghaza» et pour «occulter le récit palestinien».