Pour Francis Perrin, chercheur à IRIS, qui s’exprimait hier sur les ondes de la radio française RTL, «les autorités russes n’iront pas jusqu’à fermer délibérément le robinet, parce qu’elles savent qu’économiquement ce ne serait pas bon pour elles (...)».
Après la cascade de sanctions économiques contre la Russie, l’Union européenne craint une réaction aux conséquences lourdes venant de Moscou et consistant à couper les livraisons de pétrole et de gaz vers le Vieux Continent. L’UE a d’ailleurs pris soin de ne pas inclure les paiements de gaz et de pétrole russes de l’exclusion du système Swift, contrairement à d’autres secteurs.
Une action qui confirme que la dépendance européenne aux produits hydrocarbures russes n’est pas facile à défaire. Des voix se sont exprimées en Europe et ailleurs sur l’éventualité de l’arrêt des approvisionnements en gaz russe vers l’UE en plein hiver. Une question qui mérite d’être posée en attendant de voir ce que fera réellement Moscou en guise de représailles.
Pour Francis Perrin, chercheur à IRIS, qui s’exprimait hier sur les ondes de la radio française RTL, «les autorités russes n’iront pas jusqu’à fermer délibérément le robinet, parce qu’elles savent qu’économiquement ce ne serait pas bon pour elles. Et en termes de crédibilité en tant qu’exportateur fiable, ce serait très mauvais pour elles».
Le même expert affirme qu’il n’y pas de dépendance à sens unique, mais une double dépendance à la fois de l’Europe vis-à-vis des hydrocarbures russes, mais également des entreprises russes vis-à-vis du marché européen. «Au moment où nous parlons, les exportations de gaz, de pétrole et de produits raffinés continuent à couler vers l’Europe», dit-il, notant toutefois qu’en temps de guerre, «il faut s’attendre à tous les scénarios possibles… car une guerre c’est imprévisible».
M. Perrin souligne que la Russie, et avant elle l’URSS, n’ont jamais cessé d’approvisionner l’Europe, à l’exception de deux épisodes où Moscou avait arrêté pour un petit moment ses livraisons de gaz et pétrole à l’Ukraine, en janvier 2006 et janvier 2009, à l’occasion de crise gazière, et avait donc cessé de livrer à l’Europe du gaz transitant par l’Ukraine. Ces faits confirment que le marché européen est important pour la Russie. Il représente 60% des exportations russes en hydrocarbures, contre 20% à destination de la Chine.
«D’ailleurs, le contrat qui vient d’être signé entre Gazprom et la Chine ne porte que sur la livraison de 50 milliards de mètres cubes de gaz par an, contre 180 milliards de mètres cubes exportés vers l’Europe par an. On ne peut donc pas poser le problème en termes de remplacement du marché européen par celui asiatique, car pour Gazprom, il s’agit de garder le marché européen d’une part et développer une autre clientèle en Asie», ajoute M. Perrin.
Interrogations
De l’autre côté de l’Atlantique, la même question de savoir si la Russie va couper ses livraisons se pose, mais sous un angle politique. «Si la Russie ralentit ou coupe l’approvisionnement du pétrole et du gaz vers l’Ouest, cette mesure sera vue comme une escalade qui vise à briser la cohésion des alliés», estime Anessa Kimball, professeur au département des sciences politiques et directrice internationale de l’université Laval, qui s’exprimait sur Radio Canada. Avec des exportations de 5 millions de barils par jour de pétrole et 2,85 millions de barils par jour de produits pétroliers, Kimball affirme que la Russie détient «un levier de pression dans sa boîte à outils».
Analyses contradictoires
Contrairement à l’analyse de Perrin, Mark Manger, professeur au Munk School oF Global Affairs & Public Policy, à Toronto, estime que les exportations russes vers l’Europe ne représentent que 7% du revenu brut de l’économie russe. «Ce pourrait être tentant pour la Russie de couper l’approvisionnement en gaz, car cela ne lui fera pas de mal si elle perd 7% de la valeur des exportations», dit-il en notant que cela poserait problème à l’Europe, qui dépend à hauteur de 40% du gaz russe. Toutefois, nuance-t-il, la Russie aura du mal à exporter son gaz ailleurs, car elle ne disposerait pas des infrastructures nécessaires.
Il ajoute qu’il faut distinguer exportation de gaz et exportation de pétrole. Si pour le gaz, la Russie pourrait se passer du marché européen, pour le pétrole ce ne sera pas possible. «Environ 60% des revenus tirés des exportations de la Russie proviennent de la vente du pétrole. Ainsi, les exportations de pétrole font rouler l’économie russe, et ce, depuis très longtemps…
Cette dépendance aux exportations de pétrole est l’une des plus grandes faiblesses de la Russie. 60% des exportations pétrolières de la Russie sont destinées à l’Europe. Et cette dernière peut facilement trouver du pétrole ailleurs.»
Pour ces experts, la Russie risquerait d’anéantir son économie si elle décidait d’arrêter de fournir l’Europe en gaz et en pétrole. JP Morgan a averti que si les exportations russes étaient réduites de moitié, les prix du pétrole pourraient atteindre 150 dollars le baril.