Projeté pour la première fois à Constantine sur le grand écran de l’emblématique cinémathèque Ennasr de la rue du 19 Juin 1965, dans la soirée du 30 avril, le film Mémoires de scènes du réalisateur Abderahim Laloui n’a laissé personne indifférent parmi les nombreux passionnés du 7e art qui ont tenu à venir voir cette œuvre pleine d’émotion.
Certains ont même versé des larmes face aux images qui ont rappelé une période triste de l’histoire de l’Algérie, celle de la décennie noire des années 1990. Selon Widad Lalmi, directrice de la cinémathèque Ennasr de Constantine, cet événement est organisé par le Centre algérien de la cinématographie (CAC) et le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), sous le patronage du ministère de la Culture.
«C’est un honneur pour moi de venir projeter le film à Constantine ; une ville historique très connue pour son énorme apport à la culture algérienne ; dans ce film, des images peuvent choquer, mais il ne suffit pas de regarder le film, il faut le lire entre les lignes», a déclaré Abderahim Laloui, présent, dimanche, à la cinémathèque Ennasr, en compagnie de plusieurs comédiens du film qui ont fait également le déplacement à Constantine, dont Amel Wahbi, Nacima Chems, Hafida Bendiaf, Fawzi Saïchi, Aziz Boukrouni, Mohamed Ourdache, Abdennour Chelouche et Laïd Kabouche.
Ancien comédien, Abderahim Laloui réalise ici sa première œuvre cinématographique, produite en 2015, après de longues péripéties. Le film Mémoires de scènes a réuni une pléiade d’acteurs de trois générations. Il restera marqué par la prestation de deux grandes dames du théâtre et du cinéma algériens, les regrettées Chafia Boudraâ et Farida Saboundji. L’événement a été aussi une occasion pour des retrouvailles entre comédiens qui ne se sont pas vus depuis des années, et qui se sont finalement rencontrés dans une salle qui garde encore toute sa symbolique puisqu’elle a abrité le 1er Festival du cinéma après l’indépendance, et qui a été organisé à Constantine.
Par l’art et l’amour du beau
Mémoires de scènes revient sur une triste période qu’a vécu l›Algérie dans les années 1990. Des années qui ont vu la montée de l’intégrisme religieux ayant mené à l’intolérance, puis à la violence armée. De nombreux artistes et intellectuels qui ont refusé de céder à la menace islamiste ont été assassinés. Le film raconte l’histoire d’Azzedine, journaliste de profession et metteur en scène qui se bat au début d’une période marquée par la violence aveugle dans l’histoire de l’Algérie, pour monter une adaptation de la pièce de théâtre de Molière Tartuffe et la présenter au public au théâtre municipal de la ville. Il active avec ses amis, des comédiens amateurs.
Des gens humbles dont on y trouve des enseignants, un artiste, un pharmacien, un imprimeur, un chef de gare, un chauffeur de taxi, un conducteur de bus et autres étudiants passionnés du 4e art. Azzedine, qui se retrouve face à la menace du maire islamiste de fermer le théâtre et des menaces de mort, décide d’aller jusqu’au bout et présenter sa pièce, aidé par tous ses amis qui ont choisi de faire face à la violence par l’art et l’amour du beau.
Mais le jour de la générale, Azzedine sera assassiné avec sa femme près de sa maison, devant sa mère et ses enfants. Le débat animé avec brio par l’inévitable Lounis Yaou, président de l’association Numidi Art, a montré à tel point le film a marqué les esprits, rappelant les drames de la triste décennie noire, avec ses psychoses au quotidien pour ceux qui l’avaient vécue. Plus de vingt ans après, cette décennie est encore méconnue par la jeune génération. «L’histoire du film est assez complexe.
Elle englobe une image théâtrale et une image cinématographique. Il n’a pas été facile pour moi de réaliser ce film avec toutes les difficultés que j’ai rencontrées. Même les comédiens ont souffert, car je leur ai imposé une certaine discipline ; il faut dire qu’il était aussi difficile de jouer un rôle dans une pièce théâtrale à l’intérieur même du film. Quant au choix de la pièce de Tartuffe, il n’était pas fortuit, car à travers cette pièce j’ai voulu dénoncer l’hypocrisie de certains religieux et pas tous, car je considère qu’il ne peut pas y avoir de foi sans raison», a expliqué Abderahim Laloui.
Des intervenants n’ont pas manqué de saluer ce film pour avoir été l’un des rares à aborder la décennie noire, mais aussi pour avoir rendu hommage à des personnalités culturelles assassinées, à l’exemple de Azzedine Medjoubi, Abdelkader Alloula et Tahar Djaout, et qui seront suivis par d’autres. Chose qui a fait dire à l’un des intervenants qu’il faut encore d’autres films pour mémoriser cette triste époque pour les jeunes générations et lutter contre l’amnésie qui a tendance à s’installer dans la mémoire collective.