Durant son premier mandat présidentiel (2016-2020), Donald Trump avait multiplié les gestes de soutien à Israël aux dépens des Palestiniens. L’un des plus décriés était la proclamation unilatérale, en décembre 2017, de Jérusalem comme capitale éternelle et indivisible d’Israël. En mai 2018, il avait ordonné le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à la ville sainte palestinienne. En août de la même année, Washington coupait les vivres à l’UNRWA.
Fin du suspense aux Etats-Unis : c’est Donald Trump qui succède donc à Joe Biden. Une des questions qui coule de source après la victoire écrasante du candidat républicain est : comment va-t-il gérer le dossier explosif du Moyen-Orient ? Et, d’abord, est-ce qu’il a l’intention d’œuvrer pour ramener la paix à Ghaza et à quel prix ? De quels atouts disposerait-il comparativement à son prédécesseur pour faire fléchir Netanyahu s’il veut réellement mettre un terme à la guerre qui décime les Ghazaouis par dizaines de milliers ?
Une chose est sûre : les Palestiniens ne gardent pas un bon souvenir de son premier passage à la Maison-Blanche (2016-2020). Donald Trump, faut-il le rappeler, c’est l’homme qui avait multiplié les gestes hostiles envers le peuple palestinien. On se souvient que c’est lui qui avait proclamé de façon unilatérale Jérusalem capitale éternelle et indivisible de l’Etat d’Israël. C’était le 6 décembre 2017. Et pour donner plus de poids à cette décision, il avait fait transférer l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. C’était le 14 mai 2018.
L’autre fait majeur qu’on retient du premier passage de Trump à la Maison-Blanche, c’est bien sûr les fameux Accords d’Abraham, baptisés «l’Accord du siècle», qu’il avait initiés lors de la dernière année de son mandat, en 2020. Ces accords de normalisation avec Israël avaient été conclus avec quatre pays arabes. Le 15 septembre 2020, un «traité de paix» a été signé à Washington entre les Emirats arabes unis et Israël, et entre le Bahreïn et l’Etat hébreu. Ils ont conduit à l’établissement de relations diplomatiques avec Tel-Aviv. Ce premier accord sera suivi peu après par un deuxième accord de normalisation, cette fois entre le Maroc et Israël puis entre le Soudan et l’entité sioniste.
14 décisions hostiles à la Palestine
Autre décision lourde de conséquences : en août 2018, l’administration Trump coupait les vivres à l’UNRWA. Les Etats-Unis étaient jusqu’alors le principal donateur de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. En 2017, la contribution américaine aux finances de l’UNRWA s’élevait à 350 millions de dollars. Washington avait indiqué alors vouloir de concert avec les Nations unies et «d’autres acteurs» réfléchir à «de nouveaux modèles et de nouvelles approches, qui peuvent inclure une aide bilatérale directe des Etats-Unis et d’autres partenaires».
On se souvient de cette autre décision malheureuse : en août 2018 toujours, le dirigeant milliardaire a supprimé une aide d’un montant de 200 millions de dollars qui devait être allouée à l’Autorité palestinienne. «Cette administration est en train de démanteler des décennies de vision et d’engagement américains en Palestine», avait protesté Houssam Zomlot, représentant de l’OLP à Washington. «Après Jérusalem et l’UNRWA, ceci ne fait que confirmer l’abandon de la solution à deux Etats et l’adhésion complète à l’agenda anti-paix de Netanyahu», s’était-il insurgé. Il sera expulsé peu de temps après, lui et sa famille, des Etats-Unis, et le bureau de l’OLP à Washington est fermé dans la foulée.
En novembre 2020, l’agence turque Anadolu avait listé en tout 14 décisions défavorables aux Palestiniens prises sous l’administration Trump durant sa présidence de l’époque. «Malgré le fait que la politique américaine soutienne traditionnellement Israël, de manière inconditionnelle et flagrante, et ce, depuis la fondation de l’Etat hébreu en 1948, les Palestiniens considèrent Trump comme le pire président de tous les temps», notait alors l’agence turque.
Parmi les 14 décisions anti-palestiniennes sériées par Anadolu : «La reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien» en mars 2019; «la légalisation de la colonisation» en reconnaissant comme légales les colonies israéliennes, le 19 novembre 2019 ; l’appui à l’«annexion unilatérale de la Cisjordanie» en 2020. Il y a aussi «l’arrêt du soutien financier aux hôpitaux de Jérusalem». «Le 7 septembre 2018, explique l’agence Anadolu, le Département d’État américain a annoncé qu’il suspendait l’aide de 25 millions de dollars, qui devaient être versés pour soutenir financièrement les 6 hôpitaux palestiniens de Jérusalem qui fournissaient une assistance médicale aux Palestiniens résidant en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et dans la bande de Ghaza.»
«Qu’il arrête la guerre en quelques heures comme il l’a promis»
Malgré ce lourd passif anti-palestinien, le Hamas a déclaré, dans un communiqué laconique rendu public hier, qu’il jugera le président américain sur les actes. «Notre position vis- à-vis de la nouvelle administration américaine dépendra de ses positions et de son comportement dans la pratique envers le peuple palestinien, ses droits légitimes et sa juste cause», a fait savoir le mouvement de résistance palestinien.
Un porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, a déclaré de son côté que la victoire du candidat républicain à l’élection présidentielle américaine «le met face à un test pour traduire ses déclarations selon lesquelles il peut arrêter la guerre en quelques heures». Le dirigeant islamiste a critiqué, par ailleurs, le parti démocrate en lui reprochant son soutien aveugle à l’entité sioniste : «La défaite du Parti démocrate est le prix naturel des positions criminelles de leurs dirigeants à l’égard de Ghaza», a soufflé Abu Zuhri à Reuters, appelant Trump à «bénéficier des erreurs» de Joe Biden. Bassem Naïm, membre du bureau politique du Hamas, a souligné pour sa part dans une déclaration à l’AFP : «Ce soutien aveugle (des Etats-Unis) pour l’entité sioniste doit prendre fin, car il se fait aux dépens de l’avenir de notre peuple ainsi que de la sécurité et la stabilité de la région.»
A Ghaza, la nouvelle a déçu beaucoup de monde. «Les Palestiniens, en guerre avec Israël depuis plus d’un an, ont exprimé leur crainte face au retour de Donald Trump à la Maison- Blanche, tandis que les dirigeants du groupe militant Hamas et de l’Autorité palestinienne l’ont exhorté à agir en faveur de la paix», indique Reuters. Et l’agence britannique de rapporter cette réaction d’un déplacé rencontré à Khan Younès, au sud de la bande de Ghaza : «La victoire de Trump est une nouvelle catastrophe dans l’histoire du peuple palestinien. Malgré les destructions, les morts et les déplacements dont nous avons été victimes, ce qui s’annonce sera plus difficile.»
Le professeur Ayman Salama, expert égyptien en relations internationales, interrogé par le site d’information RT Arabic à propos des répercussions de l’élection de Trump sur la situation au Moyen-Orient, répond : «La victoire de Trump est un moment historique de refonte de la démocratie américaine. Elle aura de sérieuses répercussions, d’autant plus que ses politiques précédentes ont grandement affecté des questions telles que le conflit israélo-palestinien, les relations avec l’Iran, les alliances régionales et les relations avec les pays du Golfe.» Et de faire remarquer : «Trump est l’un des présidents américains les plus pro-israéliens. Au cours de son premier mandat, il a pris des mesures sans précédent, telles que le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan.
Il devrait poursuivre cette approche en renforçant le soutien militaire, économique et politique à Israël.» Ayman Salama estime par ailleurs que «le soutien accru de Trump pourrait encourager Israël à prendre des mesures unilatérales, telles que l’annexion de davantage de terres palestiniennes ou l’expansion des colonies, rendant la création d’un Etat palestinien indépendant non viable». L’expert égyptien ajoute que Donald Trump «entretient des liens étroits avec les Etats du Golfe, par le biais d’énormes contrats d’armement et d’une forte coopération économique et énergétique. Il continuera de renforcer ces relations en mettant l’accent sur la lutte contre l’influence iranienne dans la région».
Scénario d’une occupation militaire de Ghaza
Une analyse très fouillée publiée par The Guardian dans son édition d’hier relève : «Le résultat des élections américaines est lourd de conséquences pour le Moyen-Orient et constitue avant tout une victoire pour Benyamin Netanyahu, qui n’a pas cherché à cacher sa préférence pour une victoire de Trump».
Le journal britannique attire l’attention sur le risque d’aggravation de la situation humanitaire à Ghaza sous Trump en écrivant : «Il est presque certain que la nouvelle administration ne défendra pas l’Unrwa. Trump a coupé le financement américain de l’agence en 2018 et il n’a été rétabli par Biden que trois ans plus tard. L’ONU et l’ensemble des efforts de secours dans la région pourraient bien être confrontés à une crise de financement.» The Guardian n’écarte pas la possibilité de voir le retour de Trump aux affaires à la tête de la première puissance mondiale encourager Israël dans «l’annexion potentielle d’au moins une partie de Ghaza et de la Cisjordanie».
The Guardian révèle également le rôle problématique que vont jouer les hommes de l’ombre du président américain dont quelques conseillers au profil clairement extrémiste : «On est loin de savoir qui dirigerait la politique au Moyen-Orient dans la nouvelle administration Trump, mais dans le pool autour du président élu se trouvent des partisans notables du mouvement des colons, comme son gendre Jared Kushner (qui a parlé du potentiel immobilier d’une ‘‘propriété en bord de mer’’ à Ghaza) et l’ancien ambassadeur en Israël David Friedman, dont la candidature à un nouveau poste dans la future administration a pris la forme d’un livre vantant le droit d’inspiration divine d’Israël de s’emparer de la Cisjordanie.» Et l’auteur de l’article de souligner : «Le coup de pouce donné à l’aile annexionniste de l’extrême droite israélienne pourrait être la ramification la plus immédiate et la plus importante d’une victoire de Trump pour le Moyen-Orient, en raison de son potentiel à redessiner la carte de la région.»
Le quotidien britannique nous apprend également que «dans une lettre adressée à M. Netanyahu au plus fort de la campagne, il (M. Trump) a déjà clairement indiqué qu’il souhaitait que la campagne de Ghaza soit terminée au moment où il prendrait ses fonctions, même si M. Trump accepterait très probablement un résultat fortement en faveur d’Israël, y compris le contrôle militaire de la bande de Ghaza».
L’autre grand gagnant au Moyen-Orient à l’issue de l’élection présidentielle US «a été la monarchie saoudienne qui a beaucoup investi dans la famille Trump», affirme The Guardian. L’Arabie Saoudite «dispose désormais d’un allié proche à la Maison-Blanche qui fera pression pour un accord de normalisation israélo-saoudien qui s’ajoutera aux Accords d’Abraham avec d’autres Etats du Golfe», conclut-il.